La moitié de tous les enseignants de France, soit quelque
400 000 personnels de l’éducation nationale ont fait grève et 200 000
ont défilé dans les rues d’une centaine de villes jeudi dernier lors de la
quatrième journée d’action en l’espace de deux mois dans l’éducation. Ont aussi
participé à ce mouvement quelques enseignants du privé.
C’était une grève à l’appel de tous les syndicats de
l’éducation pour protester contre les attaques sur l’éducation perpétrées par
le gouvernement du président Nicolas Sarkozy, dont les suppressions
draconiennes de postes d’enseignants. Ils ont été rejoints par des lycéens, des
étudiants et des parents d’élèves.
Après avoir supprimé 11 200 postes d’enseignants en 2008,
le ministre de l’Education Xavier Darcos prévoit d’en supprimer 13 500
supplémentaires en 2009. La suppression de 3000 postes de RASED (Réseaux
d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) a tout particulièrement indigné
les enseignants du primaire. Dans les lycées, enseignants et élèves sont
concernés par les réductions d’heures de cours dans diverses matières qui
permettent au gouvernement de supprimer des postes.
Darcos a fait une série de déclarations laissant entendre
qu’il y a beaucoup trop d’enseignants ayant une formation trop poussée. Il a
suggéré qu’il n’était pas nécessaire d’avoir un diplôme universitaire pour
s’occuper d’enfants en maternelle où l’on dispense un enseignement public
gratuit, souvent avant l’âge de trois ans. Il a proclamé, « les
enseignants n’ont pas besoin d’être à bac +5 pour faire faire des siestes à des
enfants ou leur changer les couches. »
Dans une déclaration provocatrice faite jeudi, il a ajouté,
« La question n’est pas de savoir combien ils sont mais comment ils vont.
Les courbes qui m’intéressent, ce sont les courbes des résultats, ce ne sont
pas les courbes de nombre des enseignants. »
De telles déclarations sont tout à fait dans la ligne de la
politique de Sarkozy qui avait écrit dans une lettre aux enseignants en 2007: « Dans
l'école que j'appelle de mes vœux où la priorité sera accordée à la qualité sur
la quantité, où il y aura moins d'heures de cours, où les moyens seront mieux
employés parce que l'autonomie permettra de les gérer davantage selon les
besoins, les enseignants, les professeurs seront moins nombreux. »
Un aspect sinistre de cette journée d’action a été la
tentative du gouvernement d’appliquer la loi sur le service minimum d’accueil
(SMA) forçant les communes à organiser l’accueil des élèves du primaire dont
les enseignants sont en grève. Les communes à majorité socialiste ou communiste
ont, en grande partie, refusé de prendre cette responsabilité. Darcos a menacé
de sanctions les communes récalcitrantes. Mais les tentatives des préfets
d’engager des poursuites judiciaires contre elles ont été rejetées par les
tribunaux. Les communes conduites par l’UMP (Union pour un mouvement populaire)
ont organisé cet accueil avec du personnel municipal n’ayant aucune formation
pour s’occuper de jeunes enfants.
Durant ces dernières décennies, il y a eu toute une série de
mouvements de masse contre les attaques sur l’éducation de la part de
gouvernements successifs. Les syndicats ont étouffé, isolé et fragmenté ces
mouvements, de celui contre Claude Allègre (ministre de l’Education nationale du
gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin) et son projet de
« dégraisser le mammouth, » jusqu’à la défaite de la grève de six
semaines en 2003 pour la défense des retraites. Il y a eu ensuite en 2006
l’opposition à ce qui s’appelle la Loi sur l’égalité des chances lors du
mouvement anti CPE (Contrat première embauche), puis une succession de journées
d’action séparées à l’appel des syndicats depuis l’élection de Sarkozy en mai
2007.
Le principal syndicat de l’éducation, la FSU (Fédération
syndicale unitaire) qui a des liens avec le Parti communiste (PCF) est le
premier responsable de cet état de fait avec la CGT (Confédération générale du
travail, proche du PCF), la CFDT (Confédération française démocratique du
travail, proche du Parti socialiste), FO (Force ouvrière) et l’UNSA (Union
nationale des syndicats autonomes, proche du Parti socialiste.)
Le NPA (Nouveau Parti anticapitaliste) d’Olivier Besancenot a produit
un tract qui ne fait aucune référence aux trahisons des syndicats ni à la crise
économique et ne donne aucune perspective socialiste pour renverser le
capitalisme. Le tract se contente de déclarer que la grève du 20 novembre doit
fournir « l’occasion de construire une convergence d’action pour la
défense des services publics, entre usagers et salariés ».
Tous les syndicats collaborent étroitement avec Sarkozy et ses
ministres depuis son élection. Cette dernière grève fait partie d’une longue
série de protestations consciencieusement séparées les unes des autres avec
pour objectif d’empêcher que de nombreuses grèves en cours ne se cristallisent
en un mouvement unifié contre le gouvernement.
Cette semaine en est un exemple significatif. Lundi les
pilotes d’Air France en étaient à leur quatrième et dernière de grève journée contre
le passage de l’âge du départ à la retraite de 60 à 65 ans. Samedi les
travailleurs de la Poste manifestaient contre la privatisation, les fermetures
de bureaux de poste et la dégradation des conditions de travail.
Mardi, il devait y avoir un appel à la grève d’une partie des
conducteurs de train contre les attaques sur les conditions de travail dans le
fret, qui préparent à la privatisation et au démantèlement de l’ensemble du
service ferroviaire national. Ce mouvement a été reporté à vendredi, dans
l’attente du résultat des négociations.
D’autres syndicats de cheminots appellent leurs membres à une grève
reconductible sur cette question à partir de dimanche. Néanmoins les syndicats
limitent leurs appels à la grève aux seuls conducteurs de train et non pas à
tous les 160 000 cheminots, et ils n’envisagent aucunement une grève
unifiée, de tous les secteurs affectés, contre la politique d’austérité du
gouvernement.
La grève bien suivie de jeudi donne la mesure de la colère de
millions de travailleurs et de jeunes. Tandis qu’ils défilaient les bourses du
monde entier étaient en chute libre. Le CAC-40 perdait 5 pour cent de sa
valeur. La France doit actuellement faire face à de nombreuses fermetures
d’entreprises, de mise en chômage partiel et de licenciements dans les secteurs
de l’automobile, de la métallurgie, des transports routiers et encore d’autres
industries.
La classe dirigeante est contrainte d’accélérer et de
poursuivre plus encore ses attaques sur les conditions de vie des travailleurs
pour maintenir sa richesse. Alors que le gouvernement refuse d’augmenter le budget
de l’éducation qui s’élève à 59 milliards d’euros, il trouve 360 milliards d’euros
pour renflouer les banques et les grandes entreprises.
Des équipes de reporters du World Socialist Web Site
sont intervenues dans les manifestations de Paris et d’Amiens.
A Paris, jusque 40 000 manifestants, principalement des
enseignants accompagnés de forts contingents de lycéens et d’étudiants, ont
exigé le retrait du programme de réforme de Darcos.
Des enseignants du lycée Newton défilaient derrière une
banderole proclamant : « La réforme Darcos = La fin de l’égalité des
chances. » Frank qui tenait une extrémité de la banderole a dit « Je
suis là pour m’opposer aux 90 000 suppressions de postes sur six ans. »
Il a parlé de huit professeurs partis à la retraite dans son
établissement et qui n’ont pas été remplacés. Son établissement scolaire a
aussi été touché par la suppression de la carte scolaire qui exigeait jusqu’ici
que les élèves aillent dans l’établissement scolaire proche de leur domicile.
Trente élèves qui avaient choisi de s’inscrire ailleurs, n’avaient pas été
acceptés là où ils le souhaitaient faute de place. Son établissement avait donc
dû les reprendre, ce qui avait surchargé des effectifs de classe déjà bien
lourds.
Frank a dit, « Depuis 2003 tout est tiré vers le bas. La
gauche et la droite sont soumises aux lois du marché. Je suis pour la
nationalisation de l’économie. Tous les plans de sauvetage de l’économie sont
une énorme escroquerie. »
Emmy (à gauche) et ses amies
Emmy et ses amies, lycéennes en Seconde au lycée parisien
Maurice Ravel ont dit qu’elles pensaient que l’avenir des jeunes était très sombre.
« Les diplômes ont de moins en moins de valeur, » a dit Emmy. « C’est
le modèle américain. Nous voulons une bonne culture générale. Cette réforme va
créer deux sortes de lycées, les bons lycées et les mauvais. »
« La crise devrait frapper les banquiers, pas les gens
ordinaires », a-t-elle dit.
Mathieu, professeur pour enfants en difficulté
Eva et Anita, étudiantes en droit à l’Université de Paris 2
étaient particulièrement inquiètes des suppressions de postes. Eva a dit,
« Les gouvernements de gauche et de droite font leur politique, mais il
n’y a aucune remise en question du système capitaliste fondé sur les profits.
Ils laissent le système en place. »
Anita a ajouté, « On va devoir réfléchir à comment pouvoir
le remplacer. »
A Amiens 3 000 personnes ont manifesté.
Un tract du NPA dénonçant la suppression de 6000 postes
d’enseignants cette année ne faisait aucune revendication politique, se
contentant d’exiger de : « Poser systématiquement la question de la
reconduction de la grève dans les assemblées générales…Le rapport de force doit
durer dans le temps et s’élargir à d’autres secteurs. »
Eddy, élève au Lycée Michelis
Mathieu, professeur de RASED, a dit que les enfants en
difficulté dans les quartiers défavorisés étaient spécialement vulnérables, du
fait des suppressions de postes d’enseignants. « Je ne suis pas syndiqué,
mais Marx avait raison sur la crise économique du capitalisme. Je pense que
beaucoup de gens s’en rendent compte. Nous avons besoin d’un vrai changement
économique avant un changement politique. »
Eddy, scolarisé au Lycée Michelis d’Amiens a dit, « Pour
défendre les emplois, les Français doivent se mobiliser et les licenciements
doivent être interdits par la loi si les entreprises font des profits. Et les
dividendes doivent être partagés avec les salariés. Il faut augmenter leurs
salaires autant que ceux des patrons. »
Emilien, 16 ans du Lycée Delambre
Emilien, 16 ans du Lycée Delambre a dit, « On a besoin
d’un référendum pour nous débarrasser de ce gouvernement. Trente élèves par
classe, ce n’est pas acceptable. C’est le capitalisme, et le Parti socialiste
est en train d’exploser, et le PCF de son côté ne vaut plus rien. Quant à
Olivier Besancenot, il n’est pas crédible. Il faut qu’on s’unisse parce qu’en
temps de crise, les étrangers deviennent les boucs émissaires pour les
problèmes sociaux. »
(Article original anglais paru le 22 novembre
2008)