Un an et demi après sa
défaite à l’élection présidentielle, le Parti socialiste français reste profondément
divisé. Le parti se réunira en congrès à Reims du 14 au 16 novembre pour élire
une nouvelle direction. L’actuel président du parti, François Hollande, quitte
la direction du parti.
Le choix de la nouvelle
direction et l’orientation du parti soulèvent des questions internes complexes.
Depuis l’été, six motions différentes ont été soumises aux militants du
parti, chaque motion étant défendue par un candidat au poste de premier
secrétaire du parti. Après les débats dans les sections locales et départementales
du parti, les adhérents ont voté le 6 novembre sur ces motions. Quatre factions
se sont dégagées au sein du parti avec un soutien pratiquement identique.
Ségolène Royal, la
candidate présidentielle de 2007, est arrivée en tête avec 29 pour cent du
vote. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, et la maire de Lille, Martine Aubry,
la talonnent de près avec 25 pour cent chacun. Benoît Hamon, 41 ans, considéré
comme le porte-parole de l’aile gauche du parti a également fait un score
relativement bon en remportant près de 20 pour cent des voix. La participation au
vote a été relativement faible avec seulement 128.000 votants sur les 233.000
adhérents du parti qui étaient appelés à voter.
Lors du congrès qui va
avoir lieu cette semaine, (un congrès se tient tous les trois ans) une version
définitive du programme sera débattue et adoptée et une nouvelle instance
dirigeante sera élue. Le 20 novembre, le premier secrétaire du parti sera
désigné par un vote des militants.
Derrière les débats
politiques sur les projets de programme et les formules à employer et dont les
différences sont à peine compréhensibles aux observateurs, se cache une lutte
amère pour le pouvoir entre des groupes d’intérêts concurrents pour
gagner de l’influence et déterminer le rôle futur du parti.
Depuis les élections
présidentielles de l’année passée, Ségolène Royal préconise une
coopération avec le Mouvement démocrate (MoDem) du politicien de centre-droit,
François Bayrou. Elle a déclaré que le vieux modèle socialiste du parti était
« dépassé » et aspirait à une « modernisation. » Son bon
résultat qui a créé la surprise est interprété comme étant l’expression
d’un nouveau tournant à droite du Parti socialiste. Il était toutefois bien
inférieur aux 60 pour cent des voix que Royal avait obtenues pour devenir la
candidate socialiste à la présidentielle.
Royal quant à elle, s’efforce
de minimiser son image droitière en ne touchant que l’apparence et non le
contenu. Elle porte à présent des vêtements plus amples au lieu des tailleurs
BCBG qu’elle portait lors de la campagne présidentielle.
Bertrand Delanoë a longtemps
été le favori pour le poste de premier secrétaire du parti. Il a joui du
soutien affiché du premier secrétaire sortant, François Hollande, ainsi que de
l’ancien premier ministre Lionel Jospin qui avait annoncé au dernier
moment qu’il ne participerait pas au vote à la course pour la direction
du PS.
En règle générale, le
maire de Paris est qualifié de traditionaliste, signifiant qu’il
représente une politique sociale-démocrate de droite. Mais contrairement à
Royal, Delanoë ne soutient pas une alliance avec le MoDem et préfère une
nouvelle version de l’ancienne coalition avec le Parti communiste et les
Verts. Le vote au sein du parti a montré que l’influence de Delanoë qui a
bénéficié du soutien des médias, ne va pas au-delà des limites de la ville de
Paris.
Le bastion de Martine
Aubry se trouve dans le nord du pays et est une puissante fédération
socialiste. La fille de l’ancien président de la Commission européenne,
Jacques Delors, compte deux courants opposés dans ses rangs. D’une part, elle
a courtisé les partisans de Dominique Strauss-Kahn, un ancien ministre des
Finances et l’actuel directeur du Fonds monétaire international (FMI), un
partisan de l’Union européenne. D’autre part, elle bénéficie du
soutien de Laurent Fabius, un ancien premier ministre qui s’était
prononcé en 2005 contre la Constitution européenne et le Traité de Lisbonne. Tout
comme Delanoë, Aubry passe pour être une sociale-démocrate de droite.
Benoît Hamon est l’étoile
montante du parti. Lors des débats qui ont précédé le congrès du parti, il avait
déployé une vaste rhétorique anti-capitalise qui, au vu de l’aggravation
de la crise financière, lui valu du soutien. Mais Hamon a également laissé
entendre qu’il pourrait s’accommoder d’une alliance avec
Ségolène Royal au nom de la modernisation du parti. Sa seule condition étant
que Royal renonce à ses projets d’alliance avec le MoDem.
Au congrès de Reims les
tractations entre les différentes factions, groupes et cliques du parti, se
multiplieront quant à qui soutiendra qui et à quel prix. Les débats officiels
et les votes du parti sur les projets de programmes et les amendements ne sont
que les ratifications formelles d’accords d’ores et déjà passés en
coulisse.
Les problèmes sociaux et
politiques qui marquent la vie des gens au quotidien, le chômage, la perte de
pouvoir d’achat, la récession, les attaques du gouvernement droitier, ne seront
nullement le sujet des débats du congrès. Le Parti socialiste s’est déjà
détaché irréversiblement des craintes et des intérêts des travailleurs. A la
veille du congrès, les luttes internes sont l’expression de son
incapacité à s’identifier politiquement avec l’indignation sociale
qui se manifeste inlassablement dans les vagues de protestations et de grèves.
Le Parti socialiste avait
atteint son zénith en 1981 avec l’élection de François Mitterrand à la
présidence de la République sur la base d’un programme réformiste. Il fut
soutenu par le Parti communiste. Toutefois, les illusions du « programme
commun » ne durèrent qu’un an, après quoi Mitterrand entreprit un revirement
radical de 180 degrés sous la pression des marchés financiers internationaux pour
suivre un cours droitier bénéfique au patronat. A la fin de ses 14 années de
présidence, les socialistes étaient discrédités à tel point que les gaullistes
sous Jacques Chirac remportèrent à la fois la présidence et la majorité à
l’Assemblée nationale et au Sénat.
Mais Chirac avait ignoré
la classe ouvrière. En 1995, la grève des cheminots avait paralysé le pays
pendant des semaines et Chirac fut obligé de dissoudre l’Assemblée
nationale et d’organiser de nouvelles élections législatives. Les
socialistes remportèrent les élections et le secrétaire du Parti socialiste,
Lionel Jospin, cohabita pendant cinq ans en tant que premier ministre avec
Chirac, le président gaulliste, en soutenant la politique droitière de ce
dernier. En 2002, la facture fut acquittée. Jospin était devenu impopulaire au
point de réaliser au premier tour des élections présidentielles un score
inférieur à celui du candidat de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen. Les
socialistes ne se sont jamais remis de ce coup dur.
Au sein de l’élite
politique du pays, les craintes se multiplient selon lesquelles
l’opposition sociale pourrait emprunter une voie radicale si le Parti
socialiste continue à perdre de l’influence. Ceci est d’autant plus
le cas que le Parti communiste, autrefois le plus important appui de gauche des
gouvernements menés par les socialistes, n’est que l’ombre de
lui-même et a scissionné en de multiple factions. D’où les efforts pour
créer une nouvelle soupape de sécurité politique à la gauche du Parti
socialiste.
C’est dans ce
contexte que doit être vue la décision prise par un groupe de quitter le Parti
socialiste et de créer un nouveau mouvement d’après le modèle du Parti La
Gauche (Die Linke) allemand. Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez ont déclaré après
le vote du 6 novembre qu’il était impossible de contenir le tournant
droitier du Parti socialiste en promettant de fonder un nouveau parti
« sans concession face à la droite. »
Les origines politiques
de Mélenchon, né en 1951, remontent à l’Organisation communiste internationaliste
(OCI) dirigée par Pierre Lambert. Il avait rejoint le Parti socialiste vers le
milieu des années 1970 et fut ministre délégué à l’Enseignement
professionnel de 2000 à 2002 sous le gouvernement Jospin. Pour le moment, il
représente le Parti socialiste au Sénat.
Mélenchon et Dolez ont
appelé le Parti communiste et le Nouveau Parti anticapitaliste, NPA,
d’Olivier Besancenot à « la constitution d’un front de forces
de gauche pour les élections européennes, » de juin 2009. Les deux
porte-parole du NPA, Olivier Besancenot et Alain Krivine ont répondu de façon prudente
mais non désintéressée.
Besancenot a dit que le
NPA est pour « un rassemblement des forces anticapitalistes européennes »,
mais qu’il ne veut pas suivre le modèle du Parti La Gauche allemand que
soutient Mélenchon. « Nous ne voulons pas faire Die Linke en France, nous
voulons une gauche anticapitaliste qui ne s’inscrit pas dans le jeu
d’alliance avec le PS, » a-t-il dit.
Alain Krivine s’est
également montré intéressé par l’offre de Mélenchon. Le NPA est « ouvert
à une discussion » sur les élections européennes, a-t-il dit. Ceci devra
se faire « sur des bases claires. » Il faudrait clarifier « les
revendications [communes] et [la question d’] une participation à une
coalition gouvernementale avec les sociaux-démocrates. » Ce dernier point est
rejeté par le NPA.
Le NPA sera
officiellement fondé en janvier 2009. Il remplacera la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR), section française du Secrétariat unifié pabliste de la
Quatrième Internationale. Krivine et Besancenot veulent une organisation qui
recueille les restes des appareils bureaucratiques de « gauche » tout
en attirant les jeunes politiquement inexpérimentés. Compte tenu du cap droitier
du Parti socialiste, ils trouvent qu’une coalition avec les socialistes
n’est, du moins pour le moment, pas recommandable. Toutefois, la réponse
des dirigeants du NPA aux avances de Mélenchon, membre influent du Parti
socialiste depuis trente ans et ancien ministre, montre que la position adoptée
est de nature purement tactique.