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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Le secrétaire américain à la Défense étend la doctrine de la guerre préventive et y inclut l’usage de la bombe atomique

Par Alex Lantier
3 novembre 2008

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Dans un discours remarquable sur la politique nucléaire prononcé le 28 octobre devant le Carnegie Endowment for International Peace (CEIP), le secrétaire d’Etat à la Défense, Robert Gates, a dressé un sombre tableau de la situation internationale et a argumenté en faveur d’une extension de la doctrine de la guerre préventive formulée par l’administration Bush à l’utilisation de frappes nucléaires.

On dit un peu partout que, dans l’éventualité d’une victoire du démocrate Barack Obama à l’élection présidentielle, celui-ci garderait Gates comme ministre de la Défense. Le discours prononcé par Gates dans ces derniers jours de la présidence Bush a ainsi le caractère d’une déclaration politique de la part de la prochaine administration.

Gates a commencé son discours en établissant des parallèles nombreux et de mauvais augure entre la situation mondiale actuelle et celle qui régnait lors de la fondation de l’Institut Carnegie en 1910, quatre ans avant le début de la Première Guerre mondiale. A l’époque, a-t-il remarqué, Wall Street se trouvait dans la panique boursière de 1910-1911 et était confronté à une crise du crédit, les Etats-Unis venaient de réprimer une insurrection aux Philippines qui avait coûté la vie à 4200 Américains, un bilan comparable à celui des combats en Iraq, et « l’Europe, s’armant jusqu’aux dents, formait une suite d’alliances aux implications évidentes pour ceux qui voulaient bien les voir. »

Gates avança l’argument que les illusions pacifistes promues par le fondateur du CEIP, Andrew Carnegie, un magnat de l’acier du tournant du siècle, très notoire dans le mouvement ouvrier pour la répression brutale de la grève de Homestead contre sa société (1892), ne devaient pas empêcher les Etats-Unis de préparer une guerre plus générale.

Il remarqua: « En août 1913, Carnegie dit que "la seule mesure requise aujourd’hui pour le maintien de la paix mondiale est un accord entre trois ou quatre des puissances civilisées… engagées à coopérer contre ceux qui dérangent la paix mondiale". » Gates dit que, dans une lettre adressée quatre ans plus tard au président Woodrow Wilson, élu en 1916 sur la base d’un programme de maintien des Etats-Unis hors de la guerre mondiale, « le même Andrew Carnegie encourageait le président dans les termes les plus fermes à déclarer la guerre, parce que, écrivait-il, "il n’y a qu’une seule manière directe de régler les choses" ».

Puis, se tournant vers la politique nucléaire, Gates dit : « tant que d’autres pays ont des armes nucléaires, nous devons garder une certaine quantité de ces armes nous-mêmes, afin de dissuader les adversaires potentiels et de rassurer plus d’une vingtaine d’alliés et de partenaires qui dépendent de notre parapluie nucléaire pour leur sécurité, rendant inutile qu’ils développent leur propre arme [nucléaire] ».

Ce commentaire donne une idée du caractère tendu et instable des relations internationales et de la paranoïa des responsables américains. Les inquiétudes de Gates quant à une prolifération d’armes nucléaires ne s’arrêtent pas aux programmes existants qui sont le fait d’« adversaires potentiels » et parmi lesquels Gates inclut « les Etats voyous comme la Corée du Nord, l’Iran ou les programmes stratégiques de modernisation russes ou chinois ». Ses craintes s’étendent à la politique nucléaire de tous les Etats, y compris celle d’Etats clients des Etats-Unis.

Gates revint sur ce point par la suite: « Il est impossible de prédire l’avenir […] nos adversaires et d’autres nations rechercheront toujours les avantages qu’ils pourront obtenir quels qu’ils soient. Sachant cela, nous devons nous préparer à des situations imprévues que nous n’aurons même pas prises en considération. »

La liste donnée des Etats amis de Washington qui ont choisi de ne pas développer la bombe atomique est significative: la Corée du Sud, l’Argentine, l’Afrique du Sud et la Libye. Deux des pays les plus évidents dans cette catégorie, les ex-ennemis de la Deuxième Guerre mondiale, le Japon et l’Allemagne, n’y figuraient pas. Gates n’a pas expliqué quelles considérations politiques l’avaient conduit à les omettre.

Puis, Gates proféra cette menace étonnante : « Tant que d’autres Etats possèdent ou bien cherchent à posséder des armes nucléaires et peuvent nous menacer nous, nos alliés et nos amis, de façon potentielle, nous devons avoir une capacité dissuasive qui montre clairement que mettre les Etats-Unis au défi dans le domaine nucléaire ou à l’aide d’autres armes de destruction massive, peut avoir pour conséquence une riposte massive et catastrophique. »

Selon Gates, les Etats-Unis doivent être capables de menacer de façon crédible d’un holocauste atomique tout Etat qui « défie » les Etats-Unis dans le domaine nucléaire ou avec d’autres « armes de destruction massive ». Selon ses propres paroles, un tel défi ne signifie pas qu’une nation attaque les Etats-Unis. Cela ne demande même pas qu’une nation possède l’arme atomique ou d’autres armes de destruction massive. Il suffit simplement qu’une nation « cherche » à obtenir de telles armes pour qu’elle devienne la cible potentielle d’une « réponse massive et catastrophique » de la part des Etats-Unis.

Les implications d’une telle doctrine sont immenses non seulement pour ce qui est des programmes nucléaires militaires américains, mais pour l’ensemble de la politique étrangère américaine. Elle stipule que toute nation dans le monde doit croire qu’une tentative de développer l’arme atomique entraînera une attaque nucléaire américaine. Ainsi, les Etats-Unis seraient, pourrait-on argumenter, obligés d’attaquer à l’arme nucléaire les pays qu’ils accusent de développer une bombe atomique, comme l’Iran et la Corée du Nord, sinon le reste du monde en conclurait que les Etats-Unis ne mettront pas leurs menaces à exécution.

Gates complète la doctrine de la guerre préventive de Bush, annoncée avant l’invasion non provoquée de l’Irak et s’appuyant sur le mensonge à propos de l’existence de prétendues armes de destruction massive, avec la clause qu’une attaque préventive américaine peut impliquer le recours à grande échelle de la bombe atomique.

Il appela dans son discours à une augmentation appréciable des dépenses allouées aux armes nucléaires, ainsi qu’à la reprise des essais nucléaires. « Il n’est absolument pas possible de maintenir une dissuasion crédible en réduisant en même temps le nombre d’armes dans nos réserves sans soit recourir aux essais nucléaires pour notre stock soit poursuivre un programme de modernisation », a-t-il déclaré.

Parlant de pronostic « sombre » pour ce qui était de surmonter les problèmes techniques et de personnel des programmes stratégiques nucléaires américains, Gates expliqua que sa politique comprenait les armes américaines les plus volumineuses et les plus puissantes : « Le programme que nous proposons ne concerne pas les nouvelles capacités, les bombes-valise, les bombes anti bunker ou les bombes atomiques tactiques [...]. Il s’agit de la crédibilité future de notre dissuasion nucléaire. »

Gates a aussi répondu à des inquiétudes sur la structure de commandement des forces nucléaires de l’aviation américaine, causées par le limogeage le 5 juin de plusieurs hauts responsables de l’armée de l’air. Ceci se produisit après qu’on ait découvert le transport à Taïwan de pièces composantes d’ogives nucléaires américaines. Le World Socialist Web Site avait à l’époque soulevé la question de savoir si cela faisait partie d’une politique extérieure officieuse de sections de l’armée américaine. La presse bourgeoise avait cependant accepté les explications officielles selon lesquelles il s’était agi d’une simple négligence technique.

Les explications données par Gates ne se sont pas concentrées sur un règlement du problème technique des protocoles de transport de l’armée de l’air, mais bien plutôt sur un contrôle de la politique de celle-ci. Il annonça des mesures destinées à centraliser « la politique et la supervision nucléaire », ce qui comprend un nouveau quartier général de l’armée de l’air et un centre pour armes nucléaires à la base aérienne de Kirkland (Nouveau-Mexique) qui aura pour tâche de « déblayer des chaînes de commandement ambiguës qui ont été la cause de problèmes dans le passé ».

Gates conclut sa conférence en énumérant plusieurs genres d’attaque que les Etats-Unis pourraient empêcher par une stratégie de dissuasion, nucléaire ou autre. Il mentionna le développement de réponses « appropriées » à des cyber-attaques sur les systèmes ordinateurs des Etats-Unis, de dissuader les attaques contre leurs satellites de communication (qui ne pourraient venir que de pays ayant des armées technologiquement avancées) et de développer « de nouvelles technologies afin d’identifier la signature » de matériel nucléaire, permettant aux Etats-Unis de « faire porter à tout Etat, tout groupe terroriste et tout autre agent non étatique ou individuel la pleine responsabilité de soutenir ou de permettre des menées terroristes dans le but d’obtenir ou d’utiliser des armes de destruction massive ».

Il est à noter que plusieurs de ces types d’attaques, en particulier les cyber-attaques et les attaques terroristes à l’aide d’armes de destruction massive sont, par nature, difficiles à identifier et qu’elles laissent la possibilité d’une manipulation de la part de Washington. L’exemple le plus connu dans ce domaine est celui des attaques à l’anthrax, effectuées en utilisant des spores issues d’un laboratoire militaire à Fort Detrick et dont on a finalement rendu responsable un scientifique civil employé à Fort Detrick, mais que les médias ont longtemps attribuées à des terroristes islamiques.

Une estimation des commentaires remarquablement belliqueux de Gates se doit de noter que sa justification d’une guerre nucléaire préventive n’est pas un fait isolé. En avril de cette année, Hillary Clinton, alors candidate démocrate à la présidence, dit que si l’Iran attaquait Israël, les Etats-Unis répondraient en « anéantissant » l’Iran. Ces commentaires sont une preuve de plus que la classe dirigeante américaine poursuivra une politique étrangère encore plus agressive après l’élection présidentielle de 2008.

(Article original paru le 30 octobre 2008)


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