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WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

La honte du Canada : l’incarcération, la torture et l’expulsion d’Abousfian Abdelrazik

Par Guy Charron et Keith Jones
24 octobre 2008

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Pendant plus de cinq ans, l’Etat canadien a persécuté Abousfian Abdelrazik, un citoyen canadien de 46 ans d’origine soudanaise et a, par ces actions, nié et illégalement redéfini les droits canadiens de citoyenneté.

En août 2003, Abdelrazik fut arrêté sur l’ordre du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) par le Soudan, un pays que le Canada condamne régulièrement pour violations flagrantes des droits de l’homme. Par la suite, des agents du SCRS ont voyagé vers le Soudan pour participer à son interrogatoire.

Les autorités soudanaises ont tout d’abord détenu Abdelrazik pendant 11 mois, où il fut brutalement torturé. Il fut relâché en juillet 2004, seulement pour être arrêté une seconde fois à la fin de 2004 et emprisonné et torturé pour un autre 7 mois.

Peu après sa première libération, le gouvernement soudanais a affirmé qu’il n’avait trouvé aucune preuve qui soutenait les allégations du Canada et des Etats-Unis selon lesquelles il était un terroriste islamiste. Ultimement, Khartoum a émis un document formel qui exonérait Abdelrazik de l’accusation d’être un agent d’Al-Qaïda.

Mais l’Etat canadien a systématiquement empêché Abdelrazik de retourner au Canada, le privant ainsi de ses droits fondamentaux de citoyenneté.

Abdelrazik n’a jamais été rendu coupable, ni même accusé, d’un quelconque crime au Canada ou au Soudan. Le gouvernement canadien n’a pas entrepris non plus de procédures initiales pour le priver de sa citoyenneté. (Les citoyens naturalisés qui ont obtenu leur citoyenneté frauduleusement ou qui ont commis certains crimes peuvent perdre leur statut de Canadiens.) Malgré tout, Ottawa a quand même empêché Abdelrazik de rejoindre sa femme et ses enfants au Canada et l’a condamné à vivre dans l’isolement et la misère au Soudan.

La « preuve accablante »

Des groupes pour les libertés civiles et le World Socialist Web Site ont allégué que, au nom de la « guerre contre le terrorisme », le gouvernement canadien a collaboré avec des gouvernements étrangers dans la détention sans accusation et la torture de citoyens canadiens.

Une longue enquête publique sur le cas de Maher Arar, un canadien d’origine syrienne qui fut appréhendé par les autorités américaines, ensuite « rendu » à la Syrie où il fut détenu et torturé pendant plus d’un an, a essentiellement blanchi le rôle joué par le SCRS, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le gouvernement canadien. Le juge Dennis O’Connor a récemment critiqué la GRC pour avoir étiqueté Arar comme un terroriste suspect et passé sans restriction cette information aux agences de renseignement américain. Malgré tout, il a quand même statué que les autorités canadiennes n’avaient joué aucun rôle dans la déportation d’Arar en Syrie et qu’elles avaient fait des erreurs de bonne foi en étant complice dans sa détention et son interrogatoire.

Dans le cas d’Abdelrazik cependant, des documents du SCRS, tout d’abord révélés par le Globe and Mail au printemps dernier, se vantent ouvertement que le gouvernement soudanais avait arrêté Abdelrazik « sur nos ordres ». L’été dernier, des avocats du gouvernement ont effectivement confirmé le rôle du SCRS dans l’arrestation d’Abdelrazik, ceux-ci n’ayant pas contesté l’affirmation de son avocat quant à la responsabilité du gouvernement, lors de procédures judiciaires destinées à forcer Ottawa à le rapatrier.

Abdelrazik, qui est venu au Canada en 1990 en tant que réfugié politique et qui est devenu citoyen canadien en 1995, était depuis longtemps sous enquête par les autorités canadiennes. En fait, la surveillance de l’Etat était devenue si lourde et agressive qu’elle fut apparemment un facteur dans sa décision de se rendre Soudan en mars 2003 pour visiter sa mère souffrante.

En incitant les autorités soudanaises à emprisonner Abdelrazik en août 2003, les responsables du SCRS ont pu contourner la Constitution canadienne, qui interdit la détention de personne sans accusation, et sous-traiter l’interrogatoire d’Abdelrazik à un régime qui, tout comme la Syrie, a été condamné à maintes reprises pour ses mauvais traitements de prisonniers.

La complicité de l’Etat canadien dans la torture d’Abdelrazik est soulignée par l’indifférence de l’actuel gouvernement conservateur aux traitements qui lui ont été infligés en prison.

Abdelrazik a dit avoir informé ses interrogateurs du SCRS qu’il était maltraité et il a par la suite tenté de plaider sa cause auprès d’autres représentants canadiens, mais ceux-ci n’ont démontré aucun intérêt pour ses mauvais traitements.

En mars dernier, Abdelrazik a rencontré Deepak Obhrai, un député conservateur et secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères, et a soulevé son chandail pour lui montrer les blessures subies sous la torture. Mais un mémo émis peu de temps après par une bureaucrate du ministère des Affaires étrangères rejetait les assertions d’Abdelrazik. « Les conditions dans les prisons soudanaises sont très difficiles », a noté Odette Gaudet-Fee, « mais cela ne correspond pas à de la torture ou des mauvais traitements ». Abdelrazik, a insisté Gaudet-Fee, « n’a pas été plus maltraité que les autres détenus ».

Dans un affidavit rédigé par l’avocat d’Abdelrazik, ce dernier témoigne : « Autour de décembre 2003, les conditions se sont considérablement détériorées, après la fuite de quelques prisonniers. Je fus transféré en isolement dans une cellule d’environ un mètre par deux, avec du tapis sur le plancher. Un climatiseur fonctionnait presque tout le temps, ce qui rendait la pièce très froide. On m’ordonnait souvent de me tenir debout les mains et le visage vers le mur. Deux fois par jour j’allais aux toilettes, et j’étais aussi alors battu. On me frappait avec un tuyau de caoutchouc d’environ 60 centimètres de long, sur le dos, derrière la tête et les jambes. Cela survenait dans le contexte d’un interrogatoire par les Soudanais sur la fuite des prisonniers et par deux hommes qui m’ont été présentés comme étant des Canadiens [les agents du SCRS]. »

Le gouvernement canadien a aussi probablement joué un rôle dans la seconde longue incarcération d’Abdelrazik, bien que les agences américaines de sécurité et du renseignement aient aussi presque certainement été impliquées car Washington, au dire de tous, exigeait que Khartoum le traite comme un agent d’al-Qaïda.

Les autorités soudanaises l’ont arrêté de nouveau, peu de temps avant que le premier ministre libéral Paul Martin ne visite le pays. Abdelrazik avait indiqué qu’il tenterait de rencontrer le premier ministre canadien pour le mettre au courant de sa terrible situation.

Essentiellement, il s’agit d’une expulsion

Ce qui est irréfutable est que le gouvernement canadien s’est assuré qu’Abdelrazik ne soit pas en mesure de quitter le Soudan après sa première incarcération et il continue à ce jour de lui refuser le droit de revenir chez lui et de revoir sa famille.

Peu de temps après sa libération en 2004, la femme d’Abdelrazik paya un billet d’avion pour le ramener au Canada. Mais Air Canada et Lufthansa refusèrent de lui accorder un billet, car tout juste après son voyage au Soudan en 2003, le nom d’Abdelrazik avait été placé sur une liste d’interdiction de vol, vraisemblablement à la demande du gouvernement canadien.

Après sa première incarcération, le gouvernement soudanais offrit de rapatrier Abdelrazik sur un avion privé, mais le gouvernement canadien fit échouer le projet en refusant de défrayer les coûts.

La question des coûts n’est qu’une excuse flagrante. A maintes occasions depuis l’été 2004, des avions du gouvernement du Canada se sont rendus au Soudan pour des voyages officiels de représentants canadiens, y compris le premier ministre libéral Paul Martin en 2004 et le ministre conservateur des Affaires étrangères Maxime Bernier en 2008. Mais Ottawa a toujours refusé d’offrir une place de retour pour le citoyen canadien Abdelrazik. (Au contraire, Ottawa a accordé un traitement entièrement différent à Brenda Martin, une femme canadienne qui avait été emprisonnée à Mexico pour sa participation prétendue dans une arnaque. Le gouvernement conservateur avait fait pression pour que Martin soit rapatriée au Canada et avait affrété un jet pour la ramener au pays.)

Dans une tentative d’effacer ses traces, le gouvernement canadien a répété plusieurs fois qu’il donnerait les documents nécessaires à un voyage d’Abdelrazik s’il pouvait trouver une compagnie aérienne acceptant de le ramener au Canada malgré que son nom se trouve sur la liste des individus interdits de vol sur laquelle l’a mis l’administration le jour même où il était libéré de son deuxième emprisonnement au Soudan. Mais le gouvernement a refusé de le faire après qu’Etihad Airway eut accepté de le prendre sur son vol vers Toronto du 15 septembre 2008.

Le gouvernement, avisé trois semaines à l’avance du vol, a écrit le 26 septembre à l’avocat d’Abdelrazik au Canada, onze jours après la date prévue du départ, que « les problèmes n’avaient pu être résolus à temps pour permettre le voyage de votre client le 15 septembre ».

Et si la voie des airs lui est bloquée, il ne peut sortir du Soudan et emprunter la voie maritime faute d’avoir un passeport valide (son passeport est échu lors de son premier emprisonnement), parce que le gouvernement canadien refuse de lui émettre un.

Redéfinition des droits de citoyenneté

Les droits fondamentaux de citoyenneté d’Abdelrazik ont été violés, et cela, sur la base d’allégations que le gouvernement sait très bien qu’elles ne tiendraient pas la route dans une cour. Autrement, il chercherait à obtenir son extradition vers le Canada, pas à l’exiler.

Dans ce processus, le gouvernement canadien a redéfini en catimini les droits de citoyenneté.

Que cela soit fait en apparence sous la pression des Etats-Unis ne le rend pas moins pernicieux.

Un document secret préparé par les agences d’espionnage canadiennes et des responsables de la sécurité de Transports Canada en avril dernier et qu’a obtenu le Globe and Mail disait : « Des responsables de haut niveau du gouvernement canadien doivent être conscients de la réaction possible de nos contreparties américaines si Abdelrazik devait revenir au Canada étant donné qu’il se trouve sur la liste des individus interdits de vol. »

« La continuation de la coopération entre le Canada et les Etats-Unis sur les questions de sécurité est vitale. »

De plus, il ne faut pas oublié que si Abdelrazik se trouve aujourd’hui pris au Soudan, ce n’est que parce que les autorités canadiennes ont incité le Soudan à l’arrêter et ont été complices de sa longue détention sans accusation et de sa torture.

Depuis juillet 2005, lorsqu’il a été libéré de sa deuxième incarcération, jusqu’au printemps Abdelrazik a vécu comme un apatride à Khartoum, forcé par les autorités soudanaises de revenir toutes les nuits dans une maison sous la supervision de la police. A cause de la publicité qui a été donnée à cette affaire, Abdelrazik a pu forcer les autorités canadiennes à lui offrir une forme de refuge dans l’ambassade canadienne à Khartoum. Mais, selon la presse, il y est traité comme un prisonnier. Pendant des semaines, le personnel de l’ambassade a même refusé de lui adresser la parole.

La victimisation d’Abdelrazik par l’Etat a pris place tant sous le gouvernement conservateur que le libéral. Paul Koring, le journaliste du Globe and Mail qui a le plus contribué à faire connaître le cas d’Abdelrazik au public canadien a récemment écrit : « Il est clair de milliers de pages de documents secrets remontant aussi loin qu’en 2002 que les plus hauts échelons du gouvernement ont été informés de l’emprisonnement de M. Abdelrazik à Khartoum, de son interrogatoire par des agents du SCRS alors qu’il était en prison, de sa libération et du refus des gouvernements succesifs de renouveler son passeport canadien. »

(Article original anglais paru le 23 octobre 2008)


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