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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Le Benelux intervient pour renflouer Fortis

Par Stefan Steinberg
2 octobre 2008

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Les bourses européennes ont chuté lundi suite à l’annonce que des grandes banques de par l’Europe risquaient de s’effondrer.

La chute des bourses s’est produite avant même l’annonce du rejet du plan de renflouement de Wall Street par le Congrès américain. C’est une indication de la panique grandissante des investisseurs européens face à l’effondrement potentiel des établissements financiers de par le continent européen.

Dimanche et lundi derniers, des gouvernements européens et des banques privées ont renfloué rien moins que trois banques principales, Hypo Real Estate en Allemagne, Bradford & Bingley en Grande-Bretagne et le groupe Fortis du Benelux. Leur action a été suivie par une intervention en Islande lundi lorsque le gouvernement de Reykjavik a pris le contrôle de Glitnir, une des plus grandes banques islandaises.

De ces quatre banques, Fortis est de loin la plus grande. Elle est parmi les 20 plus importantes banques européennes et emploie de par le monde 85 000 personnes. Elle est présente dans 50 pays et son implication dans les banques internationales et les établissements financiers s’étend du centre de l’Europe à l’Europe de l’Est (Pologne), à l’Asie centrale (Turquie) et à la Chine. Le groupe d’assurance Fortis qui lui est affiliée est l’une des 10 plus grandes compagnies d’assurance d’Europe.

Dimanche dernier, les gouvernements néerlandais, belge et luxembourgeois ont volé au secours du groupe Fortis avec une somme de près de 11,2 milliards d’euros. Cette intervention a eu lieu suite à une chute de 21 pour cent du prix des actions Fortis vendredi et de rumeurs d’une crise massive de liquidités. Le Premier ministre belge Yves Leterme est intervenu le même jour afin de rassurer les investisseurs et a promis aux clients qu’ils ne perdraient pas leur argent. Le ministre des Finances belge Didier Reynders a dit que la banque « n’avait absolument aucun problème de solvabilité. »

Néanmoins durant le week-end, les chefs de gouvernement se sont rendus clairement compte que les problèmes chez Fortis étaient tellement graves qu’il leur fallait intervenir immédiatement avec un accord impliquant que les gouvernements du Benelux prennent 49 pour cent des actions dans les opérations Fortis de leur pays respectif et garantissent par là sa liquidité avec l’argent du contribuable.

Les négociations sur la nationalisation partielle de Fortis ont été conduites par Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne. Trichet a clairement fait comprendre que cette intervention était motivée par l’inquiétude qu’un effondrement de Fortis pourrait déstabiliser toute la zone euro.

De Standard a déclaré qu’une intervention rapide du gouvernement était l’unique alternative à « un bain de sang économique et financier en Europe. »

Il a posé la question, « Est-il normal que les règles ne s’appliquent plus à ces maîtres du marché ? Bien sûr que non, mais il n’y a pas d’autre alternative… La nécessité impérative d’empêcher que Fortis ne devienne le premier domino à tomber dans un bain de sang économique et financier en Europe rend ce plan de sauvetage nécessaire. »

Le journal poursuit, « Ce que nous avons vu avec Fortis au cours de ces derniers jours ne représente qu’un épisode d’une purge brutale du secteur financier. Seuls les efforts conjugués des décideurs et des banques peuvent empêcher que cette purge ne se transforme en bain de sang. »

Comme c’est le cas avec la proposition de Paulsen aux Etats-Unis, les mesures de nationalisation partielle par le Benelux ont pour objectif « de remettre la banque sur pieds » c'est-à-dire d’accorder des milliards de l’argent des contribuables à des spéculateurs responsables de la crise actuelle chez Fortis et pour qui « les règles ne s’appliquent plus. » Les gouvernements du Benelux ont déclaré leur intention de vendre leur part d’actions à une date ultérieure et de permettre une fois de plus à Fortis de fonctionner comme une entité entièrement privatisée.

Tout ce processus d’intervention, consistant en des milliards d’euros, a été mis en place en l’espace de quelques heures et s’est déroulé sans aucune discussion au sein du parlement européen, et encore moins de consultation avec les citoyens des pays européens concernés qui devront payer la facture.

Willem Buitte qui est en faveur de ce renflouement a ainsi réagi lundi dans le Financial Times, « Ce qui est tout particulièrement remarquable c’est le fait que cela a pris bien moins de temps et d’effort de rassembler l’effort de sauvetage fiscal entre ces trois pays membres de l’Union européenne que cela a pris pour bricoler le plan Paulson aux Etats-Unis. Un fédéralisme naissant triomphe du fédéralisme établi qui fonctionne mal. »

Malgré l’intervention sans précédent des dirigeants européens dimanche dernier, le verdict des cercles économiques et des actionnaires sur l’accord du Benelux était, de façon écrasante, négatif.

Moins de douze heures après que l’accord ait été conclu et quelques minutes après la conférence de presse donnée par le nouveau PDG de l’entreprise Filip Dierckx dans laquelle il a déclaré que Fortis restera une banque privée solide, le prix de ses actions a piqué du nez à tout juste au-dessus de 4 €, soit son niveau le plus bas depuis 16 ans.

Essor et chute de Fortis

L’essor et la chute rapides de Fortis sont symptomatiques de l’évolution d’un large éventail d’établissements financiers européens de ces dernières années. Cette entreprise bancaire avait été fondée en 1990 et s’était agrandie par une série d’acquisitions de banques et de compagnies d’assurances européennes. En 1999, Fortis s’était établi de l’autre côté de l’Atlantique et avait repris American Bankers et Northern Star Insurance Groups.

Fortis était encore un acteur relativement mineur dans l’univers bancaire jusque il y a un an, date à laquelle il avait joint ses forces avec la Royal Bank of Scotland et la Spanish Bank of Santander pour reprendre l’établissement financier le plus important des Pays-Bas, ABN Amro. Le consortium bancaire avait payé 70 milliards d’euros pour ABN Amro, somme la plus élevée jamais payée pour l’acquisition d’une banque. La part de Fortis sur cette somme s’élevait à 24 milliards d’euros. Mais depuis l’achat d’ABN Amro, l’étendue du manque de liquidité de Fortis et son implication dans des investissements douteux se sont progressivement révélées.

En juillet dernier, la compagnie a cherché à lever la somme de 5 milliards d’euros en capital supplémentaire pour être en mesure de maintenir ses objectifs de solvabilité. En août, sous la pression de régulateurs européens le poussant à lever des fonds supplémentaires, Fortis a vendu à une entreprise britannique, Old Mutual, ses 49 pour cent investis dans une entreprise chinoise de gestion de capital.

Aucune de ces mesures n’a suffi à endiguer la chute du prix des actions Fortis. Depuis la reprise de ABN Amro il y a un an, les actions Fortis ont perdu plus de trois quarts de leur valeur. Rien que la semaine dernière, le prix des actions a chuté de plus d’un tiers suite aux inquiétudes renouvelées sur sa liquidité.

La conclusion qu’en tire le quotidien économique hollandais NRC Handelsblad est que « En un peu plus d’un an, Fortis est passé d’institution financière prestigieuse en paria de l’univers bancaire. »

L’effondrement du groupe Fortis révèle très clairement l’étendue de l’implication des banques et institutions financières européennes dans la montagne de « dettes toxiques » qui émerge depuis le début de la crise américaine des subprimes. L’exposition importante de nombreuses banques européennes à de telles dettes, provenant de l’augmentation incontrôlée de ce qui est essentiellement un capital fictif à l’échelle mondiale, réfute l’idée de ces politiciens et commentateurs qui maintiennent toujours que le capitalisme européen de type «Etat providence » représente en quelque sorte une alternative viable à son homologue américain. 

Selon le quotidien hollandais Trouv, « la mauvaise conduite américaine est à l’origine de la crise. Pendant des années, l’Etat tout comme les citoyens ont accumulé un nombre important de dettes, donnant l’impression qu’il ne serait jamais nécessaire de les rembourser. »

L’alternative, selon Trouv, « est une forme différente de capitalisme, connue sous le nom de capitalisme rhénan... Ce type de capitalisme génère aussi la prospérité en permettant aux entreprises de se concurrencer librement sur les marchés. Mais il offre davantage de garanties…Heureusement qu’ici nous avons maintenu nos différences. Heureusement qu’ici l’Etat et les citoyens ont moins de dettes qu’aux Etats-Unis. Et heureusement que nous savons dans quelle direction évoluer pour créer la prospérité sans finir comme une économie de casino. »

La crise chez Fortis et un grand nombre grandissant de banques de par l’Europe témoigne du contraire: l’inextricable implication des établissements financiers européens dans la crise financière révèle leur vulnérabilité devant précisément une telle « économie de casino. »

De l’autre côté de la frontière, le quotidien économique hollandais NRC Handelsblad a donné un ton bien plus sombre à un éditorial la semaine dernière : « Ne serait-ce que pour cette raison, la crise financière actuelle est un événement historique parce que personne ne peut plus soutenir que le libre marché sans limite conduit automatiquement à un monde meilleur. Et le vieux conte de fée du libéralisme selon lequel le marché se corrige toujours est lui aussi discrédité… On se souviendra de cet été 2008 comme du moment où la dernière idéologie politique du 20e siècle a connu sa fin. Presque 20 ans après ce qui semblait être la défaite définitive du communisme, le vainqueur de cette époque est aussi à terre. Les deux camps de la Guerre froide sont à présent des épaves. Cela prendra deux ans pour que la faillite se cristallise. Ensuite le 20e siècle s’achèvera enfin, tout comme le 19e siècle s’était achevé en 1914. »

Le journal n’énonce pas clairement les implications de sa propre analyse, mais le fait est que la faillite du capitalisme du 19e siècle a ouvert la voie à une période de guerres d’une brutalité sans précédent et à la première révolution sociale réussie au monde en Russie.

(Article original anglais paru le 1er octobre 2008)

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