Les bourses européennes ont chuté lundi suite à l’annonce que
des grandes banques de par l’Europe risquaient de s’effondrer.
La chute des bourses s’est produite avant même l’annonce du
rejet du plan de renflouement de Wall Street par le Congrès américain. C’est
une indication de la panique grandissante des investisseurs européens face à
l’effondrement potentiel des établissements financiers de par le continent
européen.
Dimanche et lundi derniers, des gouvernements européens et des
banques privées ont renfloué rien moins que trois banques principales, Hypo
Real Estate en Allemagne, Bradford & Bingley en Grande-Bretagne et le
groupe Fortis du Benelux. Leur action a été suivie par une intervention en
Islande lundi lorsque le gouvernement de Reykjavik a pris le contrôle de
Glitnir, une des plus grandes banques islandaises.
De ces quatre banques, Fortis est de loin la plus grande. Elle
est parmi les 20 plus importantes banques européennes et emploie de par le
monde 85 000 personnes. Elle est présente dans 50 pays et son implication
dans les banques internationales et les établissements financiers s’étend du
centre de l’Europe à l’Europe de l’Est (Pologne), à l’Asie centrale (Turquie)
et à la Chine. Le groupe d’assurance Fortis qui lui est affiliée est l’une des
10 plus grandes compagnies d’assurance d’Europe.
Dimanche dernier, les gouvernements néerlandais, belge et
luxembourgeois ont volé au secours du groupe Fortis avec une somme de près de
11,2 milliards d’euros. Cette intervention a eu lieu suite à une chute de 21
pour cent du prix des actions Fortis vendredi et de rumeurs d’une crise massive
de liquidités. Le Premier ministre belge Yves Leterme est intervenu le même
jour afin de rassurer les investisseurs et a promis aux clients qu’ils ne
perdraient pas leur argent. Le ministre des Finances belge Didier Reynders a
dit que la banque « n’avait absolument aucun problème de
solvabilité. »
Néanmoins durant le week-end, les chefs de gouvernement se
sont rendus clairement compte que les problèmes chez Fortis étaient tellement
graves qu’il leur fallait intervenir immédiatement avec un accord impliquant que
les gouvernements du Benelux prennent 49 pour cent des actions dans les
opérations Fortis de leur pays respectif et garantissent par là sa liquidité
avec l’argent du contribuable.
Les négociations sur la nationalisation partielle de Fortis
ont été conduites par Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale
européenne. Trichet a clairement fait comprendre que cette intervention était
motivée par l’inquiétude qu’un effondrement de Fortis pourrait déstabiliser
toute la zone euro.
De Standard a déclaré qu’une
intervention rapide du gouvernement était l’unique alternative à « un bain
de sang économique et financier en Europe. »
Il a posé la question, « Est-il normal que les règles ne
s’appliquent plus à ces maîtres du marché ? Bien sûr que non, mais il n’y
a pas d’autre alternative… La nécessité impérative d’empêcher que Fortis ne
devienne le premier domino à tomber dans un bain de sang économique et
financier en Europe rend ce plan de sauvetage nécessaire. »
Le journal poursuit, « Ce que nous avons vu avec Fortis au
cours de ces derniers jours ne représente qu’un épisode d’une purge brutale du
secteur financier. Seuls les efforts conjugués des décideurs et des banques
peuvent empêcher que cette purge ne se transforme en bain de sang. »
Comme c’est le cas avec la proposition de Paulsen aux
Etats-Unis, les mesures de nationalisation partielle par le Benelux ont pour
objectif « de remettre la banque sur pieds » c'est-à-dire d’accorder
des milliards de l’argent des contribuables à des spéculateurs responsables de
la crise actuelle chez Fortis et pour qui « les règles ne s’appliquent
plus. » Les gouvernements du Benelux ont déclaré leur intention de vendre
leur part d’actions à une date ultérieure et de permettre une fois de plus à
Fortis de fonctionner comme une entité entièrement privatisée.
Tout ce processus d’intervention, consistant en des milliards
d’euros, a été mis en place en l’espace de quelques heures et s’est déroulé
sans aucune discussion au sein du parlement européen, et encore moins de
consultation avec les citoyens des pays européens concernés qui devront payer
la facture.
Willem Buitte qui est en faveur de ce renflouement a ainsi
réagi lundi dans le Financial Times, « Ce qui est tout
particulièrement remarquable c’est le fait que cela a pris bien moins de temps
et d’effort de rassembler l’effort de sauvetage fiscal entre ces trois pays
membres de l’Union européenne que cela a pris pour bricoler le plan Paulson aux
Etats-Unis. Un fédéralisme naissant triomphe du fédéralisme établi qui
fonctionne mal. »
Malgré l’intervention sans précédent des dirigeants européens
dimanche dernier, le verdict des cercles économiques et des actionnaires sur
l’accord du Benelux était, de façon écrasante, négatif.
Moins de douze heures après que l’accord ait été conclu et
quelques minutes après la conférence de presse donnée par le nouveau PDG de
l’entreprise Filip Dierckx dans laquelle il a déclaré que Fortis restera une
banque privée solide, le prix de ses actions a piqué du nez à tout juste
au-dessus de 4 €, soit son niveau le plus bas depuis 16 ans.
Essor et chute de Fortis
L’essor et la chute rapides de Fortis sont symptomatiques de
l’évolution d’un large éventail d’établissements financiers européens de ces
dernières années. Cette entreprise bancaire avait été fondée en 1990 et s’était
agrandie par une série d’acquisitions de banques et de compagnies d’assurances
européennes. En 1999, Fortis s’était établi de l’autre côté de l’Atlantique et
avait repris American Bankers et Northern Star Insurance Groups.
Fortis était encore un acteur relativement mineur dans
l’univers bancaire jusque il y a un an, date à laquelle il avait joint ses
forces avec la Royal Bank of Scotland et la Spanish Bank of Santander pour
reprendre l’établissement financier le plus important des Pays-Bas, ABN Amro. Le
consortium bancaire avait payé 70 milliards d’euros pour ABN Amro, somme la
plus élevée jamais payée pour l’acquisition d’une banque. La part de Fortis sur
cette somme s’élevait à 24 milliards d’euros. Mais depuis l’achat d’ABN Amro,
l’étendue du manque de liquidité de Fortis et son implication dans des
investissements douteux se sont progressivement révélées.
En juillet dernier, la compagnie a cherché à lever la somme de
5 milliards d’euros en capitalsupplémentaire pour être en mesure de
maintenir ses objectifs de solvabilité. En août, sous la pression de
régulateurs européens le poussant à lever des fonds supplémentaires, Fortis a
vendu à une entreprise britannique, Old Mutual, ses 49 pour cent investis dans une
entreprise chinoise de gestion de capital.
Aucune de ces mesures n’a suffi à endiguer la chute du prix
des actions Fortis. Depuis la reprise de ABN Amro il y a un an, les actions
Fortis ont perdu plus de trois quarts de leur valeur. Rien que la semaine
dernière, le prix des actions a chuté de plus d’un tiers suite aux inquiétudes
renouvelées sur sa liquidité.
La conclusion qu’en tire le quotidien économique hollandais NRC
Handelsblad est que « En un peu plus d’un an, Fortis est passé
d’institution financière prestigieuse en paria de l’univers bancaire. »
L’effondrement du groupe Fortis révèle très clairement l’étendue
de l’implication des banques et institutions financières européennes dans la montagne
de « dettes toxiques » qui émerge depuis le début de la crise
américaine des subprimes. L’exposition importante de nombreuses banques
européennes à de telles dettes, provenant de l’augmentation incontrôlée de ce
qui est essentiellement un capital fictif à l’échelle mondiale, réfute l’idée
de ces politiciens et commentateurs qui maintiennent toujours que le
capitalisme européen de type «Etat providence » représente en quelque
sorte une alternative viable à son homologue américain.
Selon le quotidien hollandais Trouv, « la mauvaise
conduite américaine est à l’origine de la crise. Pendant des années, l’Etat
tout comme les citoyens ont accumulé un nombre important de dettes, donnant
l’impression qu’il ne serait jamais nécessaire de les rembourser. »
L’alternative, selon Trouv, « est une forme
différente de capitalisme, connue sous le nom de capitalisme rhénan... Ce type
de capitalisme génère aussi la prospérité en permettant aux entreprises de se
concurrencer librement sur les marchés. Mais il offre davantage de garanties…Heureusement
qu’ici nous avons maintenu nos différences. Heureusement qu’ici l’Etat et les
citoyens ont moins de dettes qu’aux Etats-Unis. Et heureusement que nous savons
dans quelle direction évoluer pour créer la prospérité sans finir comme une
économie de casino. »
La crise chez Fortis et un grand nombre grandissant de banques
de par l’Europe témoigne du contraire: l’inextricable implication des
établissements financiers européens dans la crise financière révèle leur
vulnérabilité devant précisément une telle « économie de casino. »
De l’autre côté de la frontière, le quotidien économique
hollandais NRC Handelsblad a donné un ton bien plus sombre à un
éditorial la semaine dernière : « Ne serait-ce que pour cette raison,
la crise financière actuelle est un événement historique parce que personne ne
peut plus soutenir que le libre marché sans limite conduit automatiquement à un
monde meilleur. Et le vieux conte de fée du libéralisme selon lequel le marché
se corrige toujours est lui aussi discrédité… On se souviendra de cet été 2008 comme
du moment où la dernière idéologie politique du 20e siècle a connu sa fin.
Presque 20 ans après ce qui semblait être la défaite définitive du communisme,
le vainqueur de cette époque est aussi à terre. Les deux camps de la Guerre froide
sont à présent des épaves. Cela prendra deux ans pour que la faillite se
cristallise. Ensuite le 20e siècle s’achèvera enfin, tout comme le 19e siècle
s’était achevé en 1914. »
Le journal n’énonce pas clairement les implications de sa
propre analyse, mais le fait est que la faillite du capitalisme du 19e siècle a
ouvert la voie à une période de guerres d’une brutalité sans précédent et à la
première révolution sociale réussie au monde en Russie.
(Article original anglais paru le 1er octobre 2008)