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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Les réactions européennes à la crise financière

Effacer ses propres traces et se distancer des Etats-Unis

Par Peter Schwarz
1er octobre 2008

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De nombreux travailleurs européens qui ont perdu leur salaire, leur emploi et leur système de protection sociale ces dernières années n’en croient pas leurs yeux : le « turbo capitalisme », la suprématie du capital financier sur tous les aspects de la vie sociale et personnelle, est une invention purement anglo-américaine, et à laquelle les gouvernements allemand et français s’opposent depuis longtemps.

Un flot d’articles est paru à ce sujet dans la presse allemande et française. Des auteurs qui hier encore sermonnaient les travailleurs de renoncer à des augmentations de salaire pour le bien des marchés financiers se surpassent à présent mutuellement pour dénoncer des spéculateurs financiers irresponsables et dénués de scrupules.

Le ton de tels articles a été donné par les chefs de gouvernements eux-mêmes.

Le week-end dernier, la chancelière allemande, Angela Merkel, a reproché au gouvernement américain d’avoir commis de graves erreurs et des blocages. Elle avait déclaré au journal Münchner Merkur : « Je critique l’évidente normalité des marchés financiers, malheureusement pendant longtemps ils ont rejeté une régulation volontaire avec le soutien des gouvernements britannique et américain. » Elle a poursuivi en disant qu’elle avait réclamé plus de transparence dans les transactions financières en préconisant de nouveaux systèmes de notation pour les fonds spéculatifs (hedge fonds), mais que ces propositions n’avaient pas bénéficié du soutien de l’alliance anglo-américaine.

Lors d’une réunion à Linz, en Autriche, Merkel avait indirectement reproché au gouvernement Bush d’impliquer d’autres nations dans la crise du crédit. Le gouvernement de Merkel a intégré dans la loi nationale des obligations convenues préalablement et concernant le secteur bancaire « tout en sachant que cela entraînerait des plaintes de la part des petits entrepreneurs », affirma-t-elle. Elle poursuivit en précisant « Et quand le jour est arrivé, les Américains ont dit : pas nous. Ceci ne peut pas être toléré dans le domaine international. » Les conséquences en seront maintenant subies par les contribuables par delà les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, s’est plainte Merkel.

Jeudi, le ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück, rejoignait la mêlée en déclarant que la crise avait son origine aux Etats-Unis. Lors d’un discours devant le Bundestag, la Chambre basse du Parlement, Steinbrück a dit, « Le monde ne sera jamais plus comme il était avant la crise… les Etats-Unis vont perdre leur statut de super-puissance du système financier mondial. »

Mercredi, le président français, Nicolas Sarkozy, a prononcé un discours devant l’assemblée générale des Nations unies à New York et a réclamé des changements afin de rapidement « moraliser le capitalisme financier… Trop longtemps nous avons reculé devant la nécessité de doter le monde globalisé des institutions qui permettront de le réguler. »

Après son discours à l’ONU, Sarkozy a assisté à une réception pour recevoir le « Prix mondial de l’homme d’Etat 2008 » offert par la Fondation d’Elie Wiesel dans l’un des restaurants huppés fréquenté par le monde de la finance. Il a profité de l’occasion pour réclamer que « ceux qui sont responsables [du désastre financier] soient sanctionnés et rendent des comptes ».

Parmi les 800 invités figuraient certains des plus riches amis du président issus de l’élite des affaires et de la finance, y compris le patron de la presse et du bâtiment, Martin Bouygues, qui a financé certaines vacances luxueuses de Sarkozy. Le journal conservateur Le Figaro a, après coup, cyniquement déclaré, « Sans doute faut-il accueillir ces incantations avec la distance qu’il convient : il n’existe pas de coupables désignés à l’origine de la crise, ou, plutôt, ils sont si nombreux qu’on ne pourra pas tous les embastiller ! »

Les médias, à la fois de la gauche libérale et conservateurs, viennent eux aussi de découvrir les maux du « capitalisme financier anglo-américain ». En voici quelques exemples.

Le 23 septembre, Spiegel-Online a publié une longue analyse de Wolfgang Kaden en faveur d’un « changement fondamental de trajectoire… d’une économie dans laquelle les maîtres de Wall Street définissent les règles à leur propre avantage ; où d’évidence il n’y a pas de scrupules, où il n’y a plus de cadres acceptés par tous quant à la satisfaction du désir d’acquisition. »

Le « capitalisme financier anglo-américain » a, au cours des ces dix, quinze dernières années, de plus en plus forgé la société, poursuit Kaden. La croissance prolongée du pouvoir des banques d’affaires a mené à une situation où « la confiance de la société dans le monde des affaires s’est considérablement érodée. L’économie de concurrence, telle est l’impression prévalente, a dégénéré en une communauté d’appât du gain où l’on use de combines et où l’on trompe, où les investisseurs sont privés de leurs économies, où des richesses s’élevant à des milliards sont créées et réduites à néant sur la base de valeurs opaques, où des banquiers d’affaires et des PDG peuvent s’enrichir de manière débridée. »

Le même jour, le journal Süddeutsche Zeitung dénonçait les « acteurs sans scrupules et irresponsables » du monde de la finance : « De par des spéculations totalement téméraires ils mettent en danger le bien-être de monde entier sans comprendre leurs propres affaires ou sans se soucier des conséquences. » C’était une grave erreur « que d’accorder en fait ce pouvoir destructeur au monde de la finance… Un manque de contrôle et une absence de régulation, notamment aux Etats-Unis », ont vraiment rendu possible cette crise.

Le journal libéral de gauche français Libération a fait le commentaire suivant : « Depuis plus d’une décennie, les talibans du divin marché financier ont rejeté tous les avertissements, méprisés tous les contradicteurs et récusé toute tentative de régulation. Résultat : le divin marché a accouché d’un monstre comparable à la créature de Frankenstein, que personne ne parvient plus à maîtriser. »

Le Figaro conservateur a déclaré : « Les intégristes du capitalisme autorégulé, qui corrigerait de lui-même ses excès pour renaître de ces cendres tel le phénix, doivent se rendre à l’évidence : avec la crise actuelle, les grandes théories sur la "destruction créatrice" ont atteint leurs limites ; sans l’intervention des autorités américaines et la nationalisation d’établissements en perdition, tout le système était menacé d’implosion. »

Dans son discours prononcé devant l’ONU, Sarkozy a plaidé pour un « capitalisme régulé où des pans entiers de l’activité financière ne seront pas laissés à la seule appréciation des opérateurs de marché… pour un capitalisme où les banques feront leur métier et le métier des banques, c’est de financer le développement économique, ce n’est pas la spéculation. »

L’illusion du « capitalisme régulé »

Cet appel en faveur d’un « capitalisme régulé », pouvant empêcher les transactions spéculatives, réduisant le pouvoir du capital financier et donnant à nouveau la priorité à la production et au commerce, traverse tel un fil rouge les commentaires et les déclarations des médias et des politiciens, toutes tendances confondues. Mais ce n’est qu’une illusion.

Il n’est pas possible de faire reculer les aiguilles de l’horloge de l’histoire. La croissance tumorale du capitalisme financier n’est pas simplement le résultat de décisions malheureuses prises par quelques individus. La cupidité et une certaine énergie criminelle y ont certainement contribué, mais celles-ci trouvent leurs racines dans les conditions sociales qui ne peuvent être surmontées que par une transformation révolutionnaire de la société.

La dérégulation des marchés financiers qui a débuté il y a environ 30 ans, avait été la réponse de la classe capitaliste de par le monde aux crises économiques et aux luttes de classe des années 1960 et 1970. La suppression des réglementations existantes et le développement de nouvelles formes de spéculation servirent à contrecarrer la baisse du taux de profit. Celles-ci allèrent de pair avec des attaques incessantes contre les droits et les niveaux de vie de la classe ouvrière, et une politique étrangère agressive qui empruntait de plus en plus la voie militaire.

Tout comme au début de l’impérialisme, le développement du capitalisme mène inévitablement à la formation de monopoles et à la domination du capital financier. A l’époque déjà, l’oligarchie financière avait enveloppé d’« un réseau serré de rapports de dépendance toutes les institutions économiques et politiques sans exception de la société bourgeoise d’aujourd’hui. » écrivait Lénine.

Cette oligarchie financière ne cédera pas son pouvoir de plein gré. Elle n’abandonnera pas sa position privilégiée sans plonger la société entière dans un abîme. Les gouvernements européens en sont conscients et défendent leurs intérêts ; ce que révèle le fait qu’ils soutiennent inconditionnellement le soi-disant « plan de sauvetage » du gouvernement Bush.

Les ministres des Finances d’Allemagne, de France, de Grande-Bretagne et d’Italie ont refusé de contribuer au fonds de 700 milliards de dollars avec lequel le gouvernement américain envisage de racheter les dettes toxiques des banques. Toutefois, lundi dans une conversation téléphonique les gouvernements des sept grands pays industrialisés ont soutenu le plan du gouvernement Bush et ont déclaré leur volonté inconditionnelle de « tout entreprendre » qui puisse contribuer à la stabilité du système financier international.

Le plan du gouvernement américain équivaut à largement ouvrir les coffres de l’Etat aux banques pour qu’elles se servent et poursuivent leur orgie d’enrichissement. Jusqu’il y a deux ans, l’homme qui est à présent chargé de répartir les 700 milliards, le secrétaire américain du Trésor, Henry Pauslon, dirigeait encore une banque de Wall Street. Il dispose d’une fortune privée dépassant un milliard de dollars. C’est comme si « un service de prévention de la drogue concluait des contrats avec la mafia de la drogue » écrivait Nikolaus Piper dans le journal Süddeutsche Zeitung.

Le fait de présenter ce projet comme un pas vers le contrôle du capital financier ou de la nationalisation des banques est tout à fait malhonnête. Cela revient plutôt à la privatisation de l’Etat même qui met ses ressources à la disposition du capital financier pour qu’il les pille.

Effacer ses traces

La campagne menée par les dirigeants européens contre « le capitalisme financier anglo-américain » sert en premier lieu à effacer leurs propres traces. Elle sert à faire oublier à tout le monde que les gouvernements allemands sous Gerhard Schröder et Angela Merkel et les gouvernements français sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont pendant de nombreuses années fait l’éloge du « turbo capitalisme » comme étant le modèle à adopter. En Allemagne, la réforme des allocations chômage, la dérégulation du marché de l’emploi, les coupes massives dans les dépenses sociales et de santé, la baisse des salaires et l’augmentation des rémunérations des PDG furent toujours justifiés par le fait qu’il fallait créer un environnement attractif pour les investisseurs internationaux.

Du reste, les banques européennes n’ont pas rechigné à s’embarquer elles-mêmes dans des transactions spéculatives à risque. Il fut un temps où le patron de la Deutsche Bank, Josef Ackermann, voulait se débarrasser complètement de la soi-disant gestion clientèle pour se concentrer exclusivement sur le financement et l’investissement. Il peut être content aujourd’hui de n’avoir pas réussi. La Deutsche Industriebank (IKB) a perdu des milliards en crédits hypothécaires américains. Depuis, le gouvernement a renfloué l’IKB avec l’argent des contribuables et cherche à présent à s’en débarrasser à un prix dérisoire en la bradant au fonds américain d’investissement Lone Star.

De plus en plus souvent, les experts économiques s’attendent à ce que la crise financière se développe en une récession internationale. Le coresponsable de la stratégie globale Recherche actions de la Société Générale (Londres) a dit au quotidien économique Handelsblatt, « la conséquence sera une récession profonde et il n’y a pas grand-chose que l’on puisse faire ». La récession ne frappera pas seulement les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, mais aussi en partie la zone euro ainsi que les pays nouvellement industrialisés qui seront touchés de manière dramatique par la baisse du volume de marchandises exportées.

Face aux effets attendus d’une grave récession, les gouvernements allemand et français attachent beaucoup d’importance à se distancer de Wall Street, du moins en apparence. Ils craignent qu’autrement la colère contre les manigances criminelles des spéculateurs financiers ne se retourne bientôt contre eux.

Il existe toutefois encore une autre raison de vouloir se dissocier des Etats-Unis et qui ressort de nombreux articles de presse. Face au déclin économique de l’ancienne « puissance protectrice » occidentale, l’élite européenne cherche à échapper à son influence afin de poursuivre indépendamment ses propres intérêts.

« Les Etats-Unis sont en train de connaître un déclin de leur pouvoir et la crise financière n’en est qu’un indice. L’Europe doit prendre plus de responsabilités. » Ainsi commence la dernière rubrique de Joschka Fischer, l’ancien ministre allemande des Affaires étrangères qui, comme toujours, traduit la pensée dominante des milieux gouvernementaux allemands.

Herbert Kremp, un vétéran de la Guerre froide âgé de 80 ans, a intitulé son article paru dans le journal Die Welt : « Les conséquences de la crise : l’Europe se libère de son ancien modèle, les Etats-Unis. » Kremp le regrette, mais est d’avis que c’est inévitable. « La tentation de suivre les voies du gaz et du pétrole grandira, plutôt que de suivre une stratégie géopolitique à long terme unissant la liberté et la prospérité », écrit-il, voulant dire par là l’alliance transatlantique.

Le président Sarkozy dans son discours plutôt abstrait devant l’ONU a souligné deux points concrets : La volonté d’un partenariat étroit entre l’Europe et la Russie et la création d’une zone économique commune unissant l’Europe et la Russie ainsi qu’un élargissement du G8 (les sept pays les plus performants plus la Russie) le transformant en G14, avec la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Mexique et le Brésil. Ces deux points signifiant un affaiblissement du pouvoir des Etats-Unis.

Il n’y a rien de positif dans cette distanciation d’avec les Etats-Unis. Elle intensifiera forcément les conflits entre les puissances impérialistes, ainsi que ceux des pays européens entre eux. Une véritable opposition contre la domination du capital financier ne peut être développée que par l’unité de la classe ouvrière internationale, y compris les travailleurs américains, et ce sur la base d’un programme socialiste.

(Article original paru le 26 septembre 2008)


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