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La Grande-Bretagne dans la récession : le moment de lucidité de Mervyn King

Par Chris Marsden
27 octobre 2008

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Le vieil adage « ne tirez pas sur le messager » a du vrai. Bien que l’admission faite par Mervyn King, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, ait certainement eu un effet négatif, ce n’est pas sa déclaration devant une assemblée d’hommes d’affaires selon laquelle « il [semblait] à présent probable que l’économie du Royaume-Uni [était] entrée en récession » qui a produit la forte chute de la livre sterling le lendemain.  

En tout état de cause, la déclaration de King embellissait la situation réelle de l’économie au Royaume-Uni. Ce qui était en fait significatif, c’était sa franche admission que les 6 et 7 octobre derniers, le système bancaire britannique n’avait jamais, depuis le début de la Première Guerre mondiale, été aussi près de s’effondrer.

King dit à son auditoire fortuné qu’il était « difficile d’exagérer la sévérité et l’importance des [récents] événements. Notre système bancaire n’a pas été, depuis le début de la Première Guerre mondiale, aussi proche d’un effondrement. » Les fonds des banques avaient commencé à manquer et l’action radicale représentée par le plan de sauvetage de 500 milliards de livres avait été nécessaire afin d’assurer la survie du système financier. Mais il insista néanmoins pour dire que l’apport de liquidités de la part des banques centrales n’était qu’un « sparadrap » et ne pouvait pas se substituer à un règlement approprié des problèmes affectant le secteur bancaire.

King poursuivit en expliquant comment « le plan de recapitalisation de notre système bancaire tant ici qu’à l’étranger » signifiait qu’on avait « passé le cap » et qu’on avait commencé « un long et lent chemin vers un rétablissement des prêts à l’économie réelle et par conséquent vers un retour à la croissance de notre économie, à des conditions plus normales ». 

Mais ces explications se sont avérées moins convaincantes que son admission, rapportée de façon succincte par la BBC, qu’il s’agissait « d’une des pires crises bancaires qui n’aient jamais existé. Il n’a pas fait de longues phrases, mais la Banque d’Angleterre, ainsi que les homologues [de King] au ministère des Finances et à la Financial Service Authority, semblent avoir contemplé un abîme qui, s’ils y tombaient, aurait des conséquences inimaginables. »

Le jour suivant, la livre sterling plongeait de près de 5 cents par rapport à l’euro. Cette chute de 3.4 pour cent à son niveau le plus bas depuis septembre 2003, fut la plus forte depuis décembre 1992, où l’investisseur George Soros a poussé la livre hors du Mécanisme de taux de change européen (MCE).

Cependant les remarques de King n’ont pu avoir un impact que parce que ce qu’il admettait était ce que les marchés croyaient déjà : que la livre sterling est surévaluée du fait de l’état lamentable de l’économie britannique. En réalité, le Royaume-Uni est déjà en récession, ce que le premier ministre Gordon Brown fut lui aussi, forcé d’admettre dans un discours au parlement le jour suivant, où il avertit de l’arrivée d’« une baisse d’activité forte et prolongée ».

Qui plus est, la chute de la livre eut lieu dans les conditions de forte baisse des bourses européennes et asiatiques, due à la crainte d’une profonde récession mondiale ayant son épicentre aux Etats-Unis.

L’étude semestrielle du Fonds monétaire international a averti de ce que la croissance dans la zone euro allait pratiquement s’arrêter l’année prochaine, avec zéro pour cent de croissance en Allemagne, la plus importante économie en Europe. Alors que la Suède annonçait à son tour un plan de sauvetage de 205 milliards de dollars, le FMI a aussi averti mercredi, de ce que d’autres banques européennes allaient peut-être faire défaut. Les fonds privés sont « virtuellement impossibles à obtenir » dit le FMI et les banques devront s’appuyer sur l’intervention publique, les ventes d’actions et la recapitalisation. Les banques européennes ont déjà été forcées d’emprunter 72 milliards de dollars en prêts à court terme à la Banque centrale européenne, les autres sources de crédit étant taries. 

Le Royaume-Uni aura le plus à souffrir de la récession

Il devient clair que l’économie du Royaume-Uni est celle qui est peut-être la plus exposée dans la récession mondiale. L’Institut national de la recherche économique et sociale (NIESR) a dit que le Royaume-Uni allait entrer dans sa première année complète de récession depuis 1991 et que l’économie enregistrera une baisse de 0,9 pour cent en 2009, les dépenses des consommateurs tombant de 23,4 pour cent, les investissements d’affaires de 3,8 pour cent et l’investissement immobilier privé de 17,1 pour cent.

Le NIESR a averti de ce que « L’économie britannique souffrir[ait] l’année prochaine et connaîtr[ait] le pire revers de tous les pays du G7. » Et si le plan de sauvetage de 500 milliards de livres du gouvernement était un échec, la récession pourrait bien être encore plus forte et durer encore plus longtemps. Le NIESR dit que ses prévisions supposaient que la Banque d’Angleterre réduirait ses taux d’intérêts à 4 pour cent en 2009.

Le groupe de prévision économique Ernst & Young Item Club prédit que l’économie du Royaume-Uni baisserait de façon plus spectaculaire encore l’année prochaine (un pour cent) et qu’elle « s’était détériorée de façon spectaculaire » au cours du dernier trimestre. La restriction du crédit allait frapper l’économie « très durement » avertit-il. La consommation allait tomber de 1,2 pour cent l’année prochaine, le crédit étant toujours difficile à obtenir et on s’attend à une hausse du chômage.

Ce groupe prédit aussi une baisse de 14 pour cent du prix des logements cette année et une baisse de10 pour cent l’année prochaine. Les prêts hypothécaires sont tombés en septembre à leur niveau le plus bas depuis plus de plus de trois ans et demi selon le Council of Mortgage Lenders, l’association britannique des prêteurs immobiliers, soit 10 pour cent de moins qu’au mois d’août et 42 pour cent sous le niveau de septembre 2007. Les ventes de maisons sont tombées de plus de moitié (53 pour cent de baisse en septembre comparé à septembre 2007). Andrew Clare, le directeur de la gestion de portefeuilles à la Cass Business School, dit au Sunday Herald que les prix immobiliers  pouvaient baisser encore de 40 pour cent. Les « prix immobiliers au Royaume-Uni ne retrouveraient pas leur niveau de 2007 avant l’an 2027 » dit-il.

L’organisation patronale Confederation of British Industry, fait état d’une baisse de la demande pour les marchandises produites en Grande-Bretagne et une baisse de la production menant à la plus forte baisse trimestrielle dans l’indice de confiance de l’industrie depuis 28 ans. 46 pour cent des firmes font état de commandes en baisse, la baisse la plus rapide depuis 1999. De nombreuses firmes prévoient une réduction de leurs dépenses en machines et en bâtiments, la plus forte réduction depuis les années 1980. Dans la distribution les ventes sont tombées de 1.5 pour cent sous leur niveau de septembre 2007. « Noël sera douloureux pour une grande partie du secteur, car les consommateurs continuent à attendre des temps difficiles » dit Ernst & Young

Chômage de masse

Cela va conduire à une hausse massive du chômage.

Le CBI prédit que 23 000 emplois industriels seront supprimés au troisième trimestre  de cette année et que ce nombre augmentera encore pour atteindre 42 000 au dernier trimestre, soit un total de 65 000 suppressions d’emplois. Ces pertes d’emplois iront s’ajouter aux centaines de milliers de suppressions de postes dans le secteur financier et les services.

Le nombre des chômeurs a augmenté de 164 000 par rapport au trimestre précédent au Royaume-Uni, la plus forte hausse en 17 ans. On prédit généralement que le chômage, qui se monte à présent à 1,79 million de personnes, soit 5,7 pour cent, aura atteint les deux millions en décembre et atteindra trois millions en décembre 2010, soit 9 pour cent. 

Le Chartered Institute of Personnel and Development dit, lui aussi, que l’embauche s’est ralentie et que les licenciements sont en augmentation. « Nous allons assister à la perte de centaines de milliers d’emplois et le chômage augmentera probablement et certainement au-delà de deux millions. La question est de savoir de combien il augmentera encore au-delà de ce chiffre », dit l’économiste en chef de cette organisation, John Philpott. 

Le Sunday Herald a remarqué dans une étude portant le titre « Le capitalisme ne marche pas » que le chômage allait augmenter dans tous les secteurs de l’économie, affecter tous les groupes d’âge et toutes les régions. 

Ce journal écrit : « Lors de la dernière récession dans les années 1980 certaines régions de Grande-Bretagne ont été épargnées. Cette fois-ci, le chômage est déjà estimé à 300 000 à Londres et il augmente quotidiennement, les  institutions financières de la City réévaluant leurs besoins dans un marché qui se rétrécit. Les derniers chiffres du chômage semblent révéler des augmentations dans toute la Grande-Bretagne et il n’y a rien qui suggère que la hausse vers les trois millions [de chômeurs] n’affectera pas le pays uniformément. » 

Cela a une signification politique dans la mesure où les conservateurs sous Margaret Thatcher et John Major, tout comme le Parti travailliste sous Tony Blair et Gordon Brown dépendaient, pour imposer leur agenda pro-affaires, d’un certain soutien de la part de couches sociales vivant relativement mieux que le reste et vivant principalement dans le sud-est du pays. A présent, même cela disparaît, annonçant des convulsions politiques et sociales bien plus fortes. 

Les efforts faits par le gouvernement pour sauver les super-riches annoncent des attaques massives contre la population laborieuse. L’emprunt gouvernemental a fait un bond pour atteindre 8.1 milliards de livres en septembre, le plus haut niveau depuis 60 ans. On prévoit qu’il atteindra 64 milliards de livres cette année soit 40 pour cent du PIB. 500 milliards étant déjà affectés au soutien des banques, il est inconcevable qu’un tel niveau d’emprunt puisse être maintenu sans augmentations d’impôts et sans coupes profondes dans les dépenses publiques et les prestations sociales.

(Article original paru le 24 octobre 2008)

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