Le vieil adage « ne tirez pas sur le
messager » a du vrai. Bien que l’admission faite par Mervyn King, le
gouverneur de la Banque d’Angleterre, ait certainement eu un effet négatif, ce
n’est pas sa déclaration devant une assemblée d’hommes d’affaires selon
laquelle « il [semblait] à présent probable que l’économie du Royaume-Uni
[était] entrée en récession » qui a produit la forte chute de la livre sterling
le lendemain.
En tout état de cause, la déclaration de King
embellissait la situation réelle de l’économie au Royaume-Uni. Ce qui était en
fait significatif, c’était sa franche admission que les 6 et 7 octobre
derniers, le système bancaire britannique n’avait jamais, depuis le début de la
Première Guerre mondiale, été aussi près de s’effondrer.
King dit à son auditoire fortuné qu’il était
« difficile d’exagérer la sévérité et l’importance des [récents]
événements. Notre système bancaire n’a pas été, depuis le début de la Première
Guerre mondiale, aussi proche d’un effondrement. » Les fonds des banques
avaient commencé à manquer et l’action radicale représentée par le plan de
sauvetage de 500 milliards de livres avait été nécessaire afin d’assurer la
survie du système financier. Mais il insista néanmoins pour dire que l’apport
de liquidités de la part des banques centrales n’était qu’un
« sparadrap » et ne pouvait pas se substituer à un règlement
approprié des problèmes affectant le secteur bancaire.
King poursuivit en expliquant comment
« le plan de recapitalisation de notre système bancaire tant ici qu’à
l’étranger » signifiait qu’on avait « passé le cap » et qu’on
avait commencé « un long et lent chemin vers un rétablissement des prêts à
l’économie réelle et par conséquent vers un retour à la croissance de notre
économie, à des conditions plus normales ».
Mais ces explications se sont avérées moins
convaincantes que son admission, rapportée de façon succincte par la BBC, qu’il
s’agissait « d’une des pires crises bancaires qui n’aient jamais existé.
Il n’a pas fait de longues phrases, mais la Banque d’Angleterre, ainsi que les
homologues [de King] au ministère des Finances et à la Financial Service
Authority, semblent avoir contemplé un abîme qui, s’ils y tombaient, aurait
des conséquences inimaginables. »
Le jour suivant, la livre sterling plongeait
de près de 5 cents par rapport à l’euro. Cette chute de 3.4 pour cent à son
niveau le plus bas depuis septembre 2003, fut la plus forte depuis décembre
1992, où l’investisseur George Soros a poussé la livre hors du Mécanisme de
taux de change européen (MCE).
Cependant les remarques de King n’ont pu avoir
un impact que parce que ce qu’il admettait était ce que les marchés croyaient
déjà : que la livre sterling est surévaluée du fait de l’état lamentable
de l’économie britannique. En réalité, le Royaume-Uni est déjà en récession, ce
que le premier ministre Gordon Brown fut lui aussi, forcé d’admettre dans un
discours au parlement le jour suivant, où il avertit de l’arrivée d’« une
baisse d’activité forte et prolongée ».
Qui plus est, la chute de la livre eut lieu
dans les conditions de forte baisse des bourses européennes et asiatiques, due
à la crainte d’une profonde récession mondiale ayant son épicentre aux Etats-Unis.
L’étude semestrielle du Fonds monétaire
international a averti de ce que la croissance dans la zone euro allait
pratiquement s’arrêter l’année prochaine, avec zéro pour cent de croissance en
Allemagne, la plus importante économie en Europe. Alors que la Suède annonçait
à son tour un plan de sauvetage de 205 milliards de dollars, le FMI a aussi
averti mercredi, de ce que d’autres banques européennes allaient peut-être
faire défaut. Les fonds privés sont « virtuellement impossibles à obtenir »
dit le FMI et les banques devront s’appuyer sur l’intervention publique, les
ventes d’actions et la recapitalisation. Les banques européennes ont déjà été
forcées d’emprunter 72 milliards de dollars en prêts à court terme à la Banque
centrale européenne, les autres sources de crédit étant taries.
Le
Royaume-Uni aura le plus à souffrir de la récession
Il devient clair que l’économie du Royaume-Uni
est celle qui est peut-être la plus exposée dans la récession mondiale.
L’Institut national de la recherche économique et sociale (NIESR) a dit que le
Royaume-Uni allait entrer dans sa première année complète de récession
depuis 1991 et que l’économie enregistrera une baisse de 0,9 pour cent en 2009,
les dépenses des consommateurs tombant de 23,4 pour cent, les investissements
d’affaires de 3,8 pour cent et l’investissement immobilier privé de 17,1 pour
cent.
Le NIESR a averti de ce que « L’économie
britannique souffrir[ait] l’année prochaine et connaîtr[ait] le pire revers de
tous les pays du G7. » Et si le plan de sauvetage de 500 milliards de
livres du gouvernement était un échec, la récession pourrait bien être encore
plus forte et durer encore plus longtemps. Le NIESR dit que ses prévisions
supposaient que la Banque d’Angleterre réduirait ses taux d’intérêts à 4 pour cent
en 2009.
Le groupe de prévision économique Ernst &
Young Item Club prédit que l’économie du Royaume-Uni baisserait de façon plus
spectaculaire encore l’année prochaine (un pour cent) et qu’elle « s’était
détériorée de façon spectaculaire » au cours du dernier trimestre. La
restriction du crédit allait frapper l’économie « très durement »
avertit-il. La consommation allait tomber de 1,2 pour cent l’année prochaine,
le crédit étant toujours difficile à obtenir et on s’attend à une hausse du chômage.
Ce groupe prédit aussi une baisse de 14 pour
cent du prix des logements cette année et une baisse de10 pour cent l’année
prochaine. Les prêts hypothécaires sont tombés en septembre à leur niveau le
plus bas depuis plus de plus de trois ans et demi selon le Council of
Mortgage Lenders, l’association britannique des prêteurs immobiliers, soit
10 pour cent de moins qu’au mois d’août et 42 pour cent sous le niveau de
septembre 2007. Les ventes de maisons sont tombées de plus de moitié (53 pour
cent de baisse en septembre comparé à septembre 2007). Andrew Clare, le
directeur de la gestion de portefeuilles à la Cass Business School, dit
au Sunday Herald que les prix immobiliers pouvaient baisser encore de
40 pour cent. Les « prix immobiliers au Royaume-Uni ne retrouveraient pas
leur niveau de 2007 avant l’an 2027 » dit-il.
L’organisation patronale Confederation of
British Industry, fait état d’une baisse de la demande pour les
marchandises produites en Grande-Bretagne et une baisse de la production menant
à la plus forte baisse trimestrielle dans l’indice de confiance de l’industrie
depuis 28 ans. 46 pour cent des firmes font état de commandes en baisse, la
baisse la plus rapide depuis 1999. De nombreuses firmes prévoient une réduction
de leurs dépenses en machines et en bâtiments, la plus forte réduction depuis
les années 1980. Dans la distribution les ventes sont tombées de 1.5 pour cent
sous leur niveau de septembre 2007. « Noël sera douloureux pour une grande
partie du secteur, car les consommateurs continuent à attendre des temps
difficiles » dit Ernst & Young
Chômage
de masse
Cela va conduire à une hausse massive du
chômage.
Le CBI prédit que 23 000 emplois
industriels seront supprimés au troisième trimestre de cette année et que ce
nombre augmentera encore pour atteindre 42 000 au dernier trimestre, soit
un total de 65 000 suppressions d’emplois. Ces pertes d’emplois iront
s’ajouter aux centaines de milliers de suppressions de postes dans le secteur
financier et les services.
Le nombre des chômeurs a augmenté de 164 000
par rapport au trimestre précédent au Royaume-Uni, la plus forte hausse en 17
ans. On prédit généralement que le chômage, qui se monte à présent à 1,79 million
de personnes, soit 5,7 pour cent, aura atteint les deux millions en décembre et
atteindra trois millions en décembre 2010, soit 9 pour cent.
Le Chartered Institute of Personnel and
Development dit, lui aussi, que l’embauche s’est ralentie et que les
licenciements sont en augmentation. « Nous allons assister à la perte de
centaines de milliers d’emplois et le chômage augmentera probablement et
certainement au-delà de deux millions. La question est de savoir de combien il
augmentera encore au-delà de ce chiffre », dit l’économiste en chef de
cette organisation, John Philpott.
Le Sunday Herald a remarqué dans une
étude portant le titre « Le capitalisme ne marche pas » que le
chômage allait augmenter dans tous les secteurs de l’économie, affecter tous
les groupes d’âge et toutes les régions.
Ce journal écrit : « Lors de la
dernière récession dans les années 1980 certaines régions de Grande-Bretagne
ont été épargnées. Cette fois-ci, le chômage est déjà estimé à 300 000 à
Londres et il augmente quotidiennement, les institutions financières de la
City réévaluant leurs besoins dans un marché qui se rétrécit. Les derniers
chiffres du chômage semblent révéler des augmentations dans toute la
Grande-Bretagne et il n’y a rien qui suggère que la hausse vers les trois
millions [de chômeurs] n’affectera pas le pays uniformément. »
Cela a une signification politique dans la
mesure où les conservateurs sous Margaret Thatcher et John Major, tout comme le
Parti travailliste sous Tony Blair et Gordon Brown dépendaient, pour imposer
leur agenda pro-affaires, d’un certain soutien de la part de couches sociales vivant
relativement mieux que le reste et vivant principalement dans le sud-est du
pays. A présent, même cela disparaît, annonçant des convulsions politiques et
sociales bien plus fortes.
Les efforts faits par le gouvernement pour
sauver les super-riches annoncent des attaques massives contre la population
laborieuse. L’emprunt gouvernemental a fait un bond pour atteindre 8.1
milliards de livres en septembre, le plus haut niveau depuis 60 ans. On prévoit
qu’il atteindra 64 milliards de livres cette année soit 40 pour cent du PIB.
500 milliards étant déjà affectés au soutien des banques, il est inconcevable
qu’un tel niveau d’emprunt puisse être maintenu sans augmentations d’impôts et
sans coupes profondes dans les dépenses publiques et les prestations sociales.