Après une semaine qui fut une des plus turbulentes sur les
marchés financiers européens depuis les années 1930, un groupe de dirigeants
européens s’est réuni d’urgence à Paris samedi pour discuter des mesures à
prendre pour empêcher un effondrement du système bancaire européen.
Cette conférence réunissait les chefs d’Etat de France,
d’Allemagne, d’Italie et de Grande-Bretagne, ainsi que le président de la
Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, le président de la Commission
européenne, José Manuel Barroso et le premier ministre luxembourgeois,
Jean-Claude Juncker (également président de l’Eurogroupe qui réunit les
ministres des Finances de la zone euro).
Les Etats-Unis furent très critiqués durant le sommet de Paris
pour être la source de la crise bancaire et financière, mais les dirigeants
européens réunis furent incapables d’avancer une quelconque stratégie
coordonnée et viable pour apaiser la tempête grandissante qui déferle sur les
banques européennes.
L’unique proposition concrète faite à l’issue de la réunion
fut la création d’un fonds de 15 milliards d’euros d’aide aux petites
entreprises. De vagues résolutions furent adoptées en vue d’un assouplissement
des objectifs financiers européens ainsi que de nouvelles résolutions pour
réduire les excès des spéculateurs et un appel fut lancé pour un sommet mondial
sur la crise. Les projets avancés la semaine dernière pour un fonds de
sauvetage européen n’étaient pas à l’ordre du jour du sommet.
Le président français Nicolas Sarkozy avait organisé la
réunion de samedi à court terme suite à l’effondrement d’une série de grandes
banques européennes.
Il y a un peu plus d’une semaine, les banques privées et les gouvernements
européens avaient sauvé non moins de cinq grandes banques, en Allemagne, la banque
immobilière Hypo Real Estate, en Grande-Bretagne, la banque de crédit
immobilier Bradford & Bingley, le groupe belgo-néerlandais Fortis, la
banque franco-belge Dexia et l’une des premières banques d’Islande.
En dépit des différents plans gouvernementaux de sauvetage, la
situation des banques les plus exposées s’est aggravée. Vendredi dernier, le
gouvernement hollandais intervenait une fois de plus pour racheter les
activités néerlandaises de Fortis dont le titre a lourdement chuté. En
Allemagne, le plan de sauvetage pour le numéro deux des prêts immobiliers dans
le pays, Hypo Real Estate (HRE) a échoué. Selon les dernières évaluations, un
nouveau plan de renflouement pour HRE pourrait coûter 50 milliards d’euros aux
contribuables allemands.
En Suisse, UBS, après avoir supprimé 4100 emplois suite aux
pertes liées à la crise du crédit immobilier américain subprime, a annoncé la
semaine dernière qu’elle envisageait la suppression de 2000 emplois supplémentaires
dans son unité d’investissement. Le secteur bancaire italien avait également été
touché la semaine dernière, la première banque du pays, Unicredit, perdant un
quart de sa valeur boursière.
Toutes les principales places boursières ont essuyé des pertes
majeures la semaine passée les valeurs bancaires subissant leur plus important recul.
Egalement la semaine passée en France, l’Insee (Institut
national de la statistique et des études économiques) a confirmé que l’économie
du pays était entrée en récession en prévoyant une croissance négative aux 3e
et 4e trimestres 2008. La Grande-Bretagne et l’Espagne ont déjà annoncé être
en récession et le même sort menace l’économie allemande dans un avenir
proche. Ceci déclencherait une réaction en chaîne qui plongerait dans une
récession l’ensemble de la zone Euro.
C’est dans ce contexte qu’un groupe d’économistes américains
et européens éminents ont averti de ce que les nations européennes devaient
prendre des mesures d’urgence coordonnées « afin de s’attaquer de front à
cette crise avant qu’elle ne s’emballe et qu’on en perde le contrôle ».
Soulignant leur sombre pronostic, les économistes ont fait un
parallèle avec les années 1930 dans un commentaire publié par l’Institut
allemand pour la recherche économique (Deutsche Institut für
Wirtschaftsforschung, DIW) : « L’Europe est au milieu d’une crise comme
on n’en connaît qu’une dans sa vie. Chaque Européen sait ce qui est arrivé
quand les marchés financiers ont cessé de fonctionner dans les sombres années
1930. Il n’est nullement exagéré de dire que cela pourrait arriver à nouveau si
les gouvernements n’agissent pas. »
Le commentaire publié par le DIW n’était rien d’autre qu’un
appel à la mise en place par les pays européens d’un fonds central pour renflouer
les banques à l’image du plan de 700 milliards de dollars élaboré par le
secrétaire américain au Trésor, Henry Paulson, et voté par le Congrès à la fin
de la semaine passée.
Des propositions concrètes pour un fonds de sauvetage paneuropéen
furent avancées en premier par le premier ministre néerlandais, Jan Peter
Balkenende qui a joué un rôle actif dans le sauvetage de Fortis, la plus
importante institution financière européenne à être emporté par crise
financière.
Balkenende a lancé un appel pour que chaque Etat membre de
l’UE contribue 3 pour cent de son produit national brut à un fonds de 300
milliards d’euros (415 milliards de dollars) pour assister les banques en
difficultés. Le ministre français des Finances a soutenu sa proposition.
Ce plan a reçu le soutien enthousiaste des grands banquiers et
économistes, y compris celui de Josef Ackermann, le président du directoire de
la première banque allemande, Deutsche Bank, et celui de Klaus-Peter Müller, le
patron de la fédération des banques privées allemandes. Des pressions
supplémentaires pour la création d’un fonds de sauvetage vinrent de Dominique Strauss-Kahn,
le directeur général du Fonds monétaire international (FMI).
L’un des arguments avancés pour soutenir la proposition fut
que ce fonds était nécessaire pour éviter que certains pays et leur système
bancaire ne tirent avantage de la crise aux dépens de leurs rivaux européens. Le
mardi de la semaine passée, le gouvernement irlandais avait annoncé la mise en
place d’une garantie sur les dépôts effectués dans les six grands
établissements bancaires du pays. Les banquiers britanniques ont immédiatement
critiqué cette mesure déclarant qu’elle accordait aux banques irlandaises un avantage
déloyal qui leur permettait de voler des clients à leurs homologues du
Royaume-Uni.
Le même jour, le gouvernement grec avait engagé une démarche
similaire lorsque le ministre des Finances, George Alogoskoufis a affirmé que
le système bancaire grec était « entièrement sûr et solvable ».
En plein milieu de ce débat, le président français Nicolas
Sarkozy a appelé au mini-sommet des pays de l’UE membres du groupe G8 de pays
industrialisés et qui s’est tenu samedi.
Malgré le soutien des ministres des Finances de France et du
Luxembourg ainsi que des grands banquiers européens, le plan de sauvetage de
l’UE n’a pas réussi à figurer sur l’ordre du jour de la réunion qui a eu lieu
samedi à Paris.
Avant le sommet, les ministres allemands des Finances et de
l’Economie avaient exprimé leur opposition au plan de sauvetage recevant en
cela le soutien de la chancelière allemande, Angela Merkel. Les inquiétudes de
l’Allemagne au sujet d’un tel fonds communautaire ne reposent sur aucune
opposition principielle contre le sauvetage des banques.
Les dirigeants allemands tout comme leurs homologues
britanniques, italiens et français ont exprimé leur soutien au plan Paulson aux
Etats-Unis. Ils ont tous pratiqué une politique économique et sociale visant à
maximiser les profits des banques.
Ces derniers jours, Merkel, Sarkozy et le premier ministre
britannique, Gordon Brown, ont tous joué un rôle décisif dans le détournement
du trésor public national de vastes sommes d’argent afin de couvrir les
créances douteuses de grandes banques et d’institutions financières.
Toutefois, une série de commentaires faits par les ministres
allemands ont clairement montré que, tout en étant tout à fait prêts à traire
le contribuable comme une vache à lait pour renflouer les banques allemandes,
comme dans le cas de la HRE, ils n’étaient pas prêts à participer à un projet
profitant aux banques des Etats européens concurrents.
Sous la pression notamment de l’Allemagne, le Luxembourg et la
France furent obligés de rayer finalement de l’agenda du sommet leur proposition
de fonds de sauvetage. Le président Sarkozy alla même jusqu’à nier avoir jamais
soutenu ce projet.
Dans le même temps, des sources du gouvernement britannique
ont fait comprendre que la Grande-Bretagne était opposée à toute mesure de grande
envergure concernant la régulation et le contrôle de son propre secteur
financier qui est le plus vaste d’Europe.
Mettant en évidence le désaccord européen, un nombre de
membres de l’UE, en particulier l’Espagne, a critiqué le sommet pour n’avoir
pas invité les 23 autres Etats de l’Union européenne.
Avant même la tenue de ce sommet, il était clair que les
dirigeants rassemblés à Paris obtiendraient peu de résultats. La chancelière
allemande a profité de la conférence de presse à l’issue du sommet pour
insister que les actionnaires et tous ceux responsables des créances douteuses
versent leur part et contribuent aux opérations de sauvetage tandis que Sarkozy
préconisait une forme de capitalisme qui favoriserait les
« entrepreneurs » plutôt que les « spéculateurs. »
De telles déclarations étaient simplement destinées à l’usage
du public. L’idée que l’un des dirigeants rassemblés à Paris prennent la
moindre mesure sérieuse pour pénaliser les architectes de la crise financière
est illusoire.
Le premier ministre italien Silvio Berlusconi est aussi l’homme
le plus riche d’Italie ayant amassé sa fortune en grande partie grâce à des
projets immobiliers douteux. Multimilliardaire, il est lui-même un personnage
clé de l’élite financière italienne. Sarkozy a dans le passé fait étalage de
ses relations avec certains des plus grands patrons des médias et des affaires en
France. Il a passé des vacances payées par des banquiers milliardaires du
groupe Lazard.
Pour ce qui est du ministre allemand des Finances, Peer
Steinbrück, le magazine Der Spiegel a rapporté que son plan de sauvetage
de 27 milliards d’euros pour HRE fut conclu peu après minuit par un simple coup
de fil passé au banquier allemand le plus royalement rémunéré, Josef Ackermann.
L’échec du sommet de Paris à parvenir à un quelconque résultat
concret est l’expression de tensions nationales croissantes entre les
principaux Etats européens et, en dernière analyse, de l’incapacité des élites
dirigeantes européennes à résoudre la crise actuelle.
Avec la nouvelle semaine qui commence, les spéculations
reprennent pour savoir quelle sera la prochaine banque à faire faillite.