Les Etats-Unis et les puissances d’Europe de l’Ouest ont
dénoncé avec véhémence la décision de la Russie de reconnaître l’indépendance
de deux provinces sécessionnistes géorgiennes, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.
Le président russe Dimitri Medvedev avait signé mardi 26
août un décret soutenant l’indépendance de ces provinces, un jour seulement
après un vote à l’unanimité par les deux chambres du parlement russe en faveur
d’une telle action.
Les déclarations des gouvernements occidentaux ont
généralement attaqué la décision russe la qualifiant de violation de la
souveraineté et de l’« intégrité territoriale » de la Géorgie et de menace
vis-à-vis de la paix et de la stabilité dans le Caucase. Toutes ces
déclarations sont totalement hypocrites, étant donné que les Etats-Unis et
leurs alliés européens ont eux-mêmes précipité la crise caucasienne en
soutenant l’indépendance du Kosovo, ignorant les objections véhémentes de la
Serbie et de la Russie en février dernier et étant donné aussi que les
Etats-Unis sont complices de l’attaque de l’Ossétie du Sud par la Géorgie, le 7
août. C’est cette attaque qui a déclenché l’intervention de la Russie et motivé
son soutien ultérieur à une indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie.
Le président américain Georges W. Bush a immédiatement
dénoncé le décret russe comme une « décision irresponsable qui ne fait
qu’exacerber les tensions » et lança une mise en garde à la Russie qui
devait selon lui respecter les frontières de la Géorgie. Les commentaires de
Bush furent repris par la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice qui décrivit la
décision russe comme « regrettable » et avertit de ce qu’elle n’avait
aucune chance d’être soutenue aux Nations unies.
Barack Obama, le candidat démocrate à la présidence se hâta
de faire une déclaration encore plus belliqueuse, sans même attendre que Bush
ait fait la sienne. Celle-ci suivait la ligne adoptée par la l’équipe de
campagne d’Obama sur la crise géorgienne et qui consiste à essayer de surpasser
l’administration Bush et son adversaire républicain, John McCain, en fait de
menaces de guerre contre la Russie.
Obama a donc condamné la décision de Moscou, disant que les
Etats-Unis devraient « isoler encore plus la Russie internationalement à
cause de ses actions ». Il réitéra sa revendication d’aide financière à la
Géorgie à hauteur d’un milliard de dollars et suggéra que la Russie soit
expulsée de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, que le
conseil OTAN-Russie soit dissout et qu’on enlève à la Russie son statut de
membre de l’Organisation mondiale du commerce.
Il conclut sa déclaration par une remarque menaçante sur le
fait qu’« on ne pouvait pas considérer la paix et la sécurité en Europe
comme acquises ».
Le secrétaire général de l’OTAN, le général Jaap de Hoop
Scheffer lança lui, cet avertissement : « Les actes de la Russie ces
dernières semaines remettent en question l’engagement de la Russie envers la
paix et la stabilité dans le Caucase. »
David Miliband, le ministre britannique des Affaires
étrangères a joint sa voix au concert des condamnations et déclaré qu’il
voulait essayer de forger « la coalition la plus large possible contre l’agression
russe en Géorgie ». Dans le cadre de sa campagne pour isoler la Russie,
Miliband se rendit à Kiev mercredi 27 août pour des discussions avec le
président ukrainien Iouschenko.
Le ministre des Affaires étrangères français, Bernard
Kouchner, condamna lui aussi la décision de Moscou, accusant la Russie d’agir
en violation de la résolution des Nations unies et d’essayer de mettre la main
sur les provinces sécessionnistes.
La chancelière allemande Angela Merkel déclara que le décret
russe était « absolument inacceptable » et avertit de ce que la crise
en Géorgie « n’avait pas seulement changé la région, mais la politique
internationale dans son ensemble ».
Tous ces gouvernements, à leur tête le gouvernement
américain, ont essayé, depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, de
supplanter l’influence russe dans les anciennes républiques soviétiques et dans
les anciens pays satellites. Les anciennes républiques soviétiques de la
Baltique et les nations de l’ancien pacte de Varsovie ont été intégrées à
l’OTAN et les Etats-Unis exigent qu’on fasse entrer rapidement la Géorgie et
l’Ukraine dans cette alliance militaire dominée par eux.
Le tournant dans cette politique anti-russe provocante et
agressive a été la reconnaissance du Kosovo par les puissances occidentales en
février dernier.
On demanda au ministre des Affaires étrangères allemand,
Frank-Walter Steinmeier, dans une interview donnée au journal allemand Süddeutsche
Zeitung le 27 août, de commenter les mises en gardes d’experts en droit
international et selon lesquelles la reconnaissance du Kosovo créerait un
précédent pour des actions telles que la reconnaissance de l’Ossétie du Sud et
de l’Abkhazie. Steinmeier ne put faire mieux que d’affirmer que le Kosovo était
un « cas spécial ».
Les leaders américains et européens ont condamné la Russie
pour avoir violé le droit international et les résolutions des Nations unies,
mais c’est précisément ce qu’ils ont fait lorsqu’ils ont reconnu l’indépendance
du Kosovo. Cela était contraire aux résolutions votées à la suite de la guerre
menée par les Etats-Unis et l’OTAN contre la Serbie en 1999.
La guerre aérienne de 1999 fut elle-même menée sans la
sanction des Nations unies et était le point culminant d’une politique
délibérée inaugurée par l’Allemagne en 1991. Celle-ci avait alors cautionné
l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie dans le but de démanteler la
Yougoslavie. Cette politique a déclenché une guerre civile sanglante qui coûta
la vie à des milliers de personnes. Les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest
voulaient un éclatement de la Yougoslavie, un allié de la Russie, parce qu’ils
pensaient qu’elle représentait un obstacle au contrôle par l’Occident de la
région riche en ressources énergétiques du Caucase et du bassin de la Mer Caspienne.
Suite à la guerre de 1999, le Kosovo fut placé sous
administration des Nations unies. Le premier administrateur fut, entre 1999 et
2001, Bernard Kouchner qui, en tant que ministre des Affaires étrangères
français, fut un des premiers à annoncer la reconnaissance diplomatique du
Kosovo en février dernier. A présent, il dénonce la Russie pour avoir suivi son
exemple en Ossétie du Sud et en Abkhazie.
Le rôle joué par le gouvernement américain dans le sort du
Kosovo fut résumé ainsi dans un récent article de la « fabrique
d’idées » américaine :
« A l’été de 2007, lorsqu’il fut évident que les
négociations n’aboutiraient pas, l’administration Bush décida que les
pourparlers étaient achevés et qu’il était temps d’obtenir l’indépendance. Le
10 juin 2007, Bush dit que les négociations devaient avoir pour résultat "une
certaine indépendance". En juillet 2007, Daniel Fried dit que l’indépendance
était "inévitable" même si les négociations échouaient. Et
finalement, en septembre 2007, Condoleezza Rice dit la même chose en condensé :
"Il va y avoir un Kosovo indépendant. Nous y sommes attachés". Les Européens
ont suivi cette ligne. »
« Quand et où l’indépendance fut mise en oeuvre fut
réellement un problème européen. Les Américains ont lancé le débat [sur l’indépendance]
et les Européens ont réalisé celle-ci. »
Un bel exemple de droit international et de respect de
l’intégrité territoriale !
Le rapport existant entre la politique américaine au Kosovo
et la reconnaissance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie fut indiqué
succinctement dans un commentaire publié par le journal conservateur hongrois Magyar
Nemzet lundi :
« Le Kremlin ne fait pas dans le Caucase aujourd’hui
autre chose que ce que les Etats-Unis ont fait en 1999 dans les Balkans. Ils se
préparaient alors à une bataille militaire avec la Serbie. On rejoue le script
du Kosovo. Il sert de précédent et fournit à la Russie la base d’une
intervention militaire. »
La presse américaine et européenne a d’abord publié une
masse d’articles déclarant que la Russie était le principal agresseur dans le
conflit géorgien, mais plus récemment des articles ont jeté la lumière sur le
rôle de l’armée géorgienne dans la période ayant immédiatement précédé la
guerre et ont montré clairement la complicité de l’administration américaine.
Un article paru dans la dernière édition de Der Spiegel
et intitulé « La chronologie d’une tragédie » montre avec netteté que
l’invasion de l’Ossétie du Sud par la Géorgie avait été préparée de longue
date, et ce, en collaboration avec Washington.
Cette chronologie commence avec l’élection de Saakashvili à
la présidence géorgienne à la suite de la « révolution rose »
sponsorisée par les Etats-Unis en 2003. Immédiatement après son élection,
Saakashvili s’engagea à ramener l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie dans le giron de
la Géorgie. Les plans pour une intervention militaire dans ces deux régions ont
été établis en 2006.
A la fin d’avril cette année, suite à de nouvelles tensions
sur la frontière entre l’Abkhazie et la Russie, Saakashvili ordonna que soient
concentrés 12 000 soldats géorgiens sur la base militaire de Senaki,
proche de l’Abkhazie.
Saakashvili maintient aujourd’hui qu’il a discuté ses plans
d’offensive militaire en juillet dernier lors d’un dîner avec Condoleezza Rice
en Géorgie et qu’on l’avait alors assuré du soutien des Etats-Unis. Quelques
jours plus tard, le 15 juillet, les forces géorgiennes prirent part, avec un
millier de soldats américains, à un exercice militaire de grande envergure
(Direct Answer 2008) au sud Tbilissi, la capitale géorgienne.
L’article de Der Spiegel déclare ensuite: « A la
fin de ces grandes manoeuvres, se produisit sous les yeux des conseillers
militaires américains quelque chose d’époustouflant du coté géorgien. Au lieu
de renvoyer une partie de son armée dans ses cantonnements, le président
Saakashvili les envoya en direction de l’Ossétie du Sud. » L’article dit encore :
« Le 3 août, le ministère des Affaires étrangères russe lança un ultime
avertissement disant qu’un "conflit militaire de grande envergure"
était imminent… les plans d’invasion de Saakashvilli étaient bouclés depuis
longtemps. Une première mouture faite en 2006… escomptait qu’il serait possible
de capturer toutes les positions importantes en l’espace de quinze
heures. »
Depuis la déroute des forces géorgiennes aux mains des
troupes russes dans la guerre de cinq jours du début du mois d’août, les
Etats-Unis ont continué de faire monter la tension avec la Russie. L’escalade
la plus significative fut la signature avec la Pologne d’un accord destiné à
établir dans ce pays une présence militaire américaine permanente faisant
partie d’un système de défense anti-missiles, une décision qui positionnera les
troupes américaines à moins de 240 kilomètres du territoire russe.
Dans le même temps, les Etats-Unis ont rassemblé une
flottille de guerre dans la mer Noire afin de défier la flotte russe qui
dispose aussi d’un certain nombre de vaisseaux opérant au large des côtes
géorgiennes. Le 26 août au soir, le premier ministre russe, Vladimir Poutine,
accusa les navires américains de livrer en contrebande des armes à la Géorgie
sous couvert d’aide humanitaire et le vice-chef d’Etat major russe déclara que
la flotte russe surveillait de près les activités ayant lieu « dans le
contexte de la concentration des forces navales de l’OTAN dans la mer Noire ».
La mer Noire et le Sud caucasien sont devenus un tonneau de
poudre. La moindre provocation pourrait conduire à une confrontation militaire
dont les implications dépasseraient de loin la région du Caucase.