Il est largement reconnu que les élections présidentielles du
20 août en Afghanistan seront dominées par la fraude, le soudoiement ou
l’intimidation des électeurs dans les régions contrôlées par les Etats-Unis et
l’OTAN. Dans les provinces du sud d’ethnie pachtoune où l’insurrection menée
par les talibans, qui ont appelé au boycott du vote, est la plus active, l’on
s’attend à une abstention de masse. Les résultats ne seront pas fiables et il
manquera toute légitimité au nouveau gouvernement.
Le responsable de la Commission afghane indépendante pour les
droits de l’homme (AIHRC), Abdul Qader Noorzai, a indiqué au début du mois au New
York Times, qu’il s’attendait à un taux de participation inférieur à 30
pour cent dans le sud. Faisant allusion à l’ampleur éventuelle de la fraude, un
observateur électoral afghan anonyme a jugé qu’il y a en circulation plus de 3
millions de doubles des cartes d’enregistrement des électeurs, soit près de 20
pour cent d’un total de 17 millions.
Richard Holbrooke, l’envoyé spécial du gouvernement Obama,
avait admis fin juillet durant son séjour en Afghanistan : « Nous
sommes inquiets à propos d’une fraude lors de l’enregistrement des électeurs et
nous sommes inquiets que les électeurs ne puissent pas joindre les bureaux de
vote en raison de l’insécurité et nous sommes inquiets quant à l’exactitude du
décompte des voix et nous sommes inquiets quant à la possibilité pour les
femmes de voter. »
L’ambassadeur britannique en Afghanistan, Mark Sewell, a dit
le 5 août lors d’une conférence de presse, « Nous devons reconnaître que ces
élections ne seront pas parfaites, elles ne seront pas conformes aux normes
comme elles le sont dans les démocraties occidentales avec une population
éduquée. »
L’on s’attend à ce que l’actuel président, Hamid Karzaï,
remporte ces élections « imparfaites », probablement avec plus de 50
pour cent des votes ce qui rendrait superflu un second tour.
Karzaï est soutenu par diverses éminences grises à base
ethnique qui ont soutenu l’invasion américaine et qui de ce fait ont recouvré
une importance politique. Ils ont une fois de plus, au cours de ces sept
dernières années et sous la protection des forces d’occupation des Etats-Unis
et de l’OTAN, transformé le nord et l’ouest du pays en fiefs personnels.
La campagne de Karzaï est soutenue par une vraie collection de
portraits de criminels appartenant à des seigneurs de guerre et des tyrans qui
avaient plongé l’Afghanistan dans une brutale guerre civile qui avait duré de
1992 à 1996 avant d’être chassés du pouvoir par une insurrection dirigée par
les talibans.
Les deux candidats à la vice-présidence aux côtés de Karzaï
sont l’homme fort tadjik Mohammed Qasim Fahim et l’éminence grise Hazai, Karim
Khalili. Karzaï fut appuyé par le seigneur de guerre ouzbek Abdul Rashid
Dostum. Tous trois sont accusés de crimes de guerre commis dans les années
1990. Ils contrôlent officiellement les gouvernements locaux, la police, des
unités de l’armée afghane et des responsables électoraux dans leurs sphères
d’influence respectives.
Karzaï est également soutenu par le seigneur de guerre anti-talibans
Abdul Rab Rassoul Sayyaf, un islamiste fanatique qui fut accusé d’avoir
déclenché à multiples reprises « une boucherie humaine » durant la
guerre civile. Il fut également appuyé par Gul Agha Sherzai, une éminence grise
pachtoune dont le règne brutal sur Kandahar de 1992 à 1994 fut un facteur
significatif d’encouragement pour le soutien des talibans. L’Australian
Broadcasting Corporation (ABC) l’avait accusé en juin d’être l’un des
principaux barons de la drogue du pays.
Dans d’autres régions pachtounes du sud contrôlées par
l’occupation, la campagne de Karzaï repose sur l’argent et le pouvoir provenant
du réseau de liens familiaux et tribaux qu’il a tissé depuis 2001.
Le frère aîné de Karzaï, Mahmoud, un citoyen américain, est à
présent l’homme le plus riche d’Afghanistan dû au népotisme et aux contrats
accordés à ses entreprises. Il est devenu le propriétaire de l’unique usine de
ciment du pays et il détient les droits de distribution des voitures Toyota. Un
autre frère, Ahmed Wali, a prétendument financé par le négoce de l’opium ses
principales entreprises commerciales et ses biens fonciers à Kandahar.
C’est avec un mélange d’intimidation et de corruption active
que Karzaï essaie de s’assurer la victoire sur les 40 autres candidats, et il ne
s’est pas donné la peine de participer aux quelques débats télévisés retransmis
par la télévision afghane. Il peut aussi compter sur des médias entièrement
serviles. Les journaux d’Etat ont consacré 69 pour cent de leur couverture
médiatique des élections à Karzaï et à peine 14 pour cent à son principal
adversaire, Abdullah Abdullah.
Un
membre des services secrets occidentaux avait dit à Elizabeth Rubin du magazine
New York Times : « La famille Karzaï a de l’opium et du sang
sur les mains. Elle nomme systématiquement tous les agents de l’Etat, du niveau
local à celui de gouverneur de province, pour s’assurer que l’opium circule
sans entrave une fois le portail de la ferme passé. L’histoire retiendra que
cette famille est mêlée à toute une série d’affaires de corruption intensive
qui furent tolérées parce que l’Occident a toléré cette famille. »
Et c’est l’homme qui est présenté internationalement comme le
symbole de la « démocratie » forgée par les Etats-Unis et l’OTAN en
Afghanistan.
Au cours de ces derniers mois, les politiciens américains et
de l’OTAN, les analystes et les commandants militaires ont manifesté leur
inquiétude selon laquelle le caractère corrompu du gouvernement de Kaboul est
devenu un facteur important de l’intensification de l’insurrection menée par
les talibans. Des millions d’Afghans considèrent Karzaï comme un fantoche des
puissances impérialistes qui cherchent à imposer un régime néo-colonial dans le
pays.
Face aux critiques grandissantes concernant Karzaï, il est
tout à fait possible que le gouvernement Obama décide de renoncer totalement au
semblant de démocratie en Afghanistan en imposant un quelconque
« gouvernement de transition. »
Vont dans cette direction des déclarations récentes faites par
David Kilcullen, le conseiller du général David Petraeus en matière de
contre-insurrection en Irak et qui a maintenant été détaché auprès du
commandant américain en Afghanistan, le général Stanley McChrystal. Il a
comparé Karzaï au président de la République du Vietnam Sud, Ngo Dinh Diem, que
le gouvernement Kennedy avait écarté du pouvoir et qui fut assassiné en 1963
lors d’un coup d’Etat militaire commandité par les Etats-Unis.
Kilcullen a déclaré à l’Institut américain pour la paix :
« Il [Karzaï] est considéré comme inefficace, sa famille est
corrompue ; il a monté une grande partie de la population contre lui. Il
semble être paranoïaque, avoir des fantasmes et perdu tout contact avec la
réalité. C’est le genre de choses qui avait été dit au sujet du président Diem
en 1963. »
Le caractère corrompu des élections afghanes et les
suggestions voilées faites par Kilcullen au sujet d’un coup d’Etat après les
élections montrent que les justifications officielles de la guerre en
Afghanistan sont cyniques et un tissu de mensonges.
Les troupes américaines et de l’OTAN ne tuent pas et ne
meurent pas en nombre grandissant pour la « démocratie » ou pour
prévenir le terrorisme. Comme au Vietnam, la guerre en Afghanistan est une
entreprise néo coloniale. Son but est de préserver l’Afghanistan comme base opérationnelle
dans la lutte grandissante pour le pouvoir économique et stratégique dans la
région d’Asie centrale riche en ressources.
La guerre néo-coloniale dans la région pourrait déclencher un
conflit ouvert entre l’impérialisme américain et ses rivales, telles la Russie
et la Chine qui disposent de capacités militaires bien plus importantes que les
hommes des tribus afghanes pauvrement armés.