Voici la conclusion d'une série de deux
articles concernant une lettre ouverte publiée par le Socialist
Workers Party de Grande-Bretagne. La première partie a été publiée le 26 août2009.
Même maintenant,
le Socialist Workers Party n'a pas beaucoup d'éléments à apporter pour
confirmer sa position selon laquelle l'avenir est dans une possible rupture
entre une section de la bureaucratie et le Parti travailliste. Au cours des 12
dernières années, les syndicats ont permis au gouvernement travailliste de
poursuivre son projet libéral en isolant toutes les manifestations de
résistance de la classe ouvrière.
Le syndicat des
transports Rail Maritime and Transport Union (RMT) a présenté des candidats
contre le parti travailliste aux élections européennes, en tant que membre de
la plateforme No2EU [Non à l'UE] formé avec le Parti communiste de
Grande-Bretagne et le Parti socialiste. Cependant, ce front, que le RMT a
promis de ne pas réitérer dans une élection générale, était tellement droitier
et nationaliste que le SWP a renâclé à lui apporter son soutien. Mais si la
perspective du remplacement du gouvernement travailliste par un gouvernement
conservateur lors de l'élection générale de l'année prochaine devait
s'estomper, alors la scission qui se produirait se ferait sur une perspective
semblable à celle avancée par No2EU.
Pour le moment,
la lettre ouverte en est réduite à citer « Mark Serwotka, le secrétaire général du syndicat des employés des PCS
[services publics et communications] », qui a proposé
que « les syndicats présentent des candidats ».
Le SWP conclut
en demandant « une simple démarche »— à savoir la réunion
d'une conférence « de tous ceux qui veulent présenter des
candidats représentants les intérêts de la classe ouvrière aux prochaines
élections ». Sur une base aussi vague, ils ne vont
pas simplement « esquiver » les différences entre réforme et
révolution. Le SWP et les autres vont plutôt servir de défenseurs et apporter
le gros des troupes à une tentative désespérée de refaire une virginité aux
forces qui ont trahi la classe ouvrière.
Le front unique
Callinicos et le SWP décrivent habituellement
leur appel à un nouveau parti électoral dominé par les syndicats comme un « front unique d'un genre particulier ». C'est une tentative transparente de
déguiser leurs manœuvres dans un langage associé à la lutte de Léon Trotsky
dans les années 1930 pour mobiliser la classe ouvrière contre la montée du
fascisme en Allemagne, qui représentait un danger immédiat et mortel pour la
classe ouvrière.
Trotsky avait
brandi la demande d'un front unique contre la position adoptée par le Parti
communiste allemand, sous la direction stalinienne de l'Internationale communiste,
qui rejetait l'action commune avec les sociaux-démocrates, qu'il dénonçait comme « sociaux-fascistes ». Le but de Trotsky était de briser l'influence des dirigeants sociaux-démocrates, sur lesquels des millions de
travailleurs fondaient encore leurs espoirs en croyant qu'ils représentaient
une alternative socialiste.
Trotsky s'est battu pour que le Parti
communiste allemand propose un front unique avec le Parti social-démocrate pour
organiser des actions communes contre les nazis et défendre les organisations ouvrières. Ce faisant, le Parti
communiste aurait pu prendre la direction de l'unification de la classe
ouvrière et soit révéler le refus de la social-démocratie de monter des actions défensives communes contre l'ennemi de classe, soit
prouver la supériorité de la direction d'un parti révolutionnaire dans de
telles luttes de masse de la classe ouvrière.
Cependant, il insistait sur le fait qu'il
n'était pas permis de subordonner les révolutionnaires dans un front unique à
la bureaucratie réformiste, ni de taire les différences programmatiques.
L'antithèse d'un front unique, ce sont toutes les formes d'alliances
électorales ou de combinaisons politiques avec les réformistes, sans parler du
développement d'un parti commun qui, pour citer Callinicos, cherche à « esquiver l'alternative entre réforme et
révolution ».
C'est le refus de la Troisième Internationale
de simplement débattrede la trahison historique à l'échelle mondiale
commise par la direction stalinienne et permettant à Hitler d'arriver au
pouvoir, qui a conduit Trotsky à appeler à la création d'une Quatrième
Internationale. Les staliniens ont réagi face à ce désastre produit par leur
politique d'ultra-gauche en Allemagne en adoptant la politique opportuniste de
droite des Fronts populaires – s'appuyant sur l'affirmation selon laquelle,
dans la lutte contre le danger imminent du fascisme, la classe ouvrière devait
s'allier avec les partis et les régimes bourgeois démocratiques, et accepter
qu'ils prennent la direction.
C'était en fait une politique
contre-révolutionnaire. Cela signifiait la renonciation à toutes les demandes
révolutionnaires ou socialistes ainsi qu'à la lutte pour le pouvoir ouvrier.
Cela entraîna des catastrophes en série pour la classe ouvrière — en Espagne, en France, et dans le reste de
l'Europe — et ouvrit la voie à une
seconde guerre mondiale impérialiste.
La politique du SWP — d'une alliance électorale et même d'un parti
commun avec la bureaucratie — est en droite ligne avec les
politiques de Staline, et non de Trotsky.
Ce n'est pas la première fois que le Socialist
Workers Party se sert de la question fasciste comme moyen de s'opposer à
une lutte politique contre le Parti travailliste et la bureaucratie syndicale.
En 1977, il avait créé l'Anti-Nazi League (ANL), avec le soutien de
quelques syndicats et le parrainage de l'ex-dirigeant des Jeunesses libérales Peter Hain (aujourd'hui ministre d'État pour le Pays de Galles dans le gouvernement de Gordon Brown, il était
à l'époque en charge des communications dans le syndicat des postiers), du
secrétaire général adjoint du syndicat des ingénieurs AUEW, d'Ernest Roberts et
d'un certain Neil Kinnock, qui allait devenir dirigeant du Parti travailliste.
L'ANL cherchait
à concentrer les efforts de ses jeunes membres sur la prétendue « lutte commune » contre le Front national, le prédécesseur du BNP. À cette époque, la
classe ouvrière était en conflit ouvert avec le gouvernement travailliste de
James Callaghan, qui imposait des mesures d'austérité dictées par le FMI, ce
qui atteint son apogée lors du Winter of Discontent [l'hiver du
mécontentement] de 1979 et l'élection des conservateurs emmenés par Margaret
Thatcher.
Il y a cependant
une différence importante entre les années 1970 et aujourd'hui. Alors qu'en
1977 le SWP agissait avec la bénédiction de la gauche du Parti travailliste et
des syndicats, aujourd'hui il parle comme le représentant officiellement
désigné du Trade Union Congress (TUC - Congrès des syndicats).
Le SWP s'intègre
dans les échelons les plus élevés de la bureaucratie syndicale depuis des
dizaines d'années, assumant des postes de dirigeants dans un certain nombre de
syndicats pour accompagner le créneau qu'il s'est trouvé dans les universités.
Il ne s'exprime pas aujourd'hui comme un simple défenseur de la bureaucratie,
mais comme son porte-parole officiel à gauche.
Comme cela s'est produit pour Respect,
le SWP a liquidé l'ANL dans United Against Fascism (UAF) en 2003 en
créant une alliance avec la National Assembly Against Racism, qui était
dirigée politiquement par la section noire du Parti travailliste. Son seul but
est de faire campagne pour le vote tactique comme un moyen d'empêcher le BNP d'« établir une tête de pont électorale dans
ce pays. »
L'UAF est parrainée par le TUC, financée par les
syndicats et fonctionne dans des bureaux prêtés par le syndicat des PCS, dirigé
par l'ex-membre de Respect Mark Serwotka. Son président est l'ex-maire
travailliste de Londres Ken Livingstone. Weyman Bennett du SWP en est le
vice-président, et Martin Smith, coordonnateur national du SWP, siège au comité
de direction.
Le SWP s'est vu confier ce poste parce qu'il
est maintenant largement reconnu comme un parti qui a été complètement
incorporé dans les structures de la politique officielle. Sa rhétorique radicale
et sa défense de l'action syndicale et des réformes sociales ne se sont pas
révélées être un obstacle à cette cooptation dans l'establishment, mais
ont été comprises par l'élite politique comme pouvant fournir une soupape de
sécurité bien utile.
En octobre 2008, par exemple, le World
Socialist Web Site attira l'attention sur la nomination du membre du SWP
Sabiha Iqbal comme consultant du Young Muslim Advisory Group [YMAG — Groupe des jeunes consultants musulmans] de
22 membres (Lien en anglais : “Britain: Socialist Workers Party member
becomes government adviser”). L'YMAG a
été créé par le gouvernement de Brown pour le conseiller sur la manière de
lutter contre l'influence de l'extrémisme islamiste et « comment renforcer la représentation et la participation des jeunes
musulmans à la vie civique ».
La ministre des Minorités de l'époque, Hazel Blears, avait déclaré au sujet des affiliations
politiques d'Iqbal, « si on
ne veut pas changer le monde à 17 ans, c'est bien triste ». Iqbal allait devenir ce que Blears
appelle « la prochaine
génération de meneurs communautaires ».
Une défense
ouverte de l'Etat
La lettre
ouverte du SWP et son rôle dans l'UAF démontre à quel point il a dépassé sa
fonction historique de défenseur de l'appareil syndical pour se poser
maintenant en défenseur de l'ensemble de l'appareil d'Etat parlementaire bourgeois.
Immédiatement
après les élections européennes, Martin Smith a servi de porte-parole de l'UAF
et a été interviewé par Channel 4 et l'émission Newsnight de la BBC. Au
lieu d'utiliser cette opportunité pour imputer la montée en puissance du BNP à
tout l'establishment politique, par leur promotion des politiques
anti-immigrés et leurs attaques contre le niveau de vie des travailleurs, il a
appelé à l'union de tous les parlementaires pour s'opposer à la menace du BNP.
Il a dit du BNP
que « Le plus gros problème est de leur donner
un air de légitimité. »
Smith a affirmé
que chaque parti politique « a droit à la
parole », sauf le BNP parce qu'il « ne vise pas une structure démocratique légitime
[sic]. Ils ont un point de vue complètement différent, vraiment une
vision révolutionnaire fasciste. Ils se serviront du Parlement pour mettre en
avant leurs idées ».
Voilà des
déclarations importantes. Le BNP est dénoncé parce qu'il est « révolutionnaire » et qu'il se sert du Parlement pour présenter des politiques qui ne
correspondent pas à « une structure démocratique légitime ».
Un communiqué de
l'UAF adressé aux employés des médias les prévient sur le même ton que « lorsque les partis fascistes sont autorisés à
s'insinuer dans l'establishment politique et médiatique… ils se servent
des plateformes qu'on leur accorde pour consolider leur présence dans le
paysage politique, normaliser leurs arguments racistes, tirer le spectre
politique vers la droite et construire leurs organisations à la base. Quand ils
se développent, se développe aussi la pression sur les gens à capituler
devant eux. Le danger aujourd'hui est que le BNP passe à travers le "cordon sanitaire" [en français dans le
texte, ndt] et devienne un élément régulier de nos médias » (notre italique).
Des appels de ce
genre à la censure et à l'interdiction des tendances fascistes et de leurs
activités, lorsqu'ils sont bien accueillis par l'establishment, sont
invariablement utilisés en premier lieu contre les mouvements ouvriers et la
gauche. Il suffit de se rappeler que le Public Order Act (Loi sur
l'ordre public) avait été promulguée à l'origine en 1936 au prétexte de
s'opposer à L'Union des fascistes britanniques d'Oswald Mosley. Dans sa version
originale comme dans les suivantes, il a servi à interdire des marches
politiques, et a servi largement durant la grève des mineurs de 1984-85. Il
interdit tout « regroupement de personnes » qui chercherait à usurper « les fonctions de la police ou des forces armées
de la couronne » ainsi que l'utilisation de « la force physique pour promouvoir n'importe quel
objectif politique ».
Le SWP est
insensible à de telles considérations de principe. Sa défense avouée du
parlementarisme bourgeois et ses dénonciations du BNP parce qu'il ne fait pas
partie d'une « structure démocratique légitime » est un thème récurrent. Son journal, le Socialist
Worker publie régulièrement des articles avec des titres comme « Comment le BNP se fait passer pour un parti
respectable » et « les atours "respectables" du BNP s'envolent ».
Cela en dit long
sur les intérêts politiques du SWP. Il ne cherche rien de plus qu'à être
accepté au sein de la respectabilité bourgeoise. En réalité, l'une des raisons
de l'augmentation du soutien au BNP tient à ce qu'il se présente comme un parti
à part, un opposant au système politique actuel.
S'il y a bien
quelque chose qui garantit le développement de ce genre de tendances
d'extrême-droite, ce sont les efforts du SWP pour invoquer le caractère sacré
du Parlement et pour renforcer la crédibilité des syndicats et de la gauche
travailliste. Mais le fait que le SWP dirige l'UAF montre qu'il est tout à fait
prêt à s'allier à des tendances politiques bourgeoises autres que les syndicats
et la bureaucratie travailliste. Parmi ceux à qui l'UAF demande de maintenir un
« cordon sanitaire » autour du BNP, il n'y a pas seulement des dizaines de députés
travaillistes et « nos médias » [y compris le tabloïde Daily Mirror a signé l'appel], mais tous
les grands partis.
Au vu de cela,
il est encore plus frappant que la lettre ouverte du SWP, après une longue mise
en garde sur les dangers du BNP, passe à ce qu'elle appelle « la deuxième leçon des élections européennes »— la nécessité d'une « riposte unie pour sauver les emplois et les
services publics ». Selon le SWP, si le conservateur David
Cameron est élu, « [il] tentera de faire passer une
politique d'austérité aux dépens de la grande majorité du peuple britannique ».
Mais même là, le
SWP essaie de faire passer la menace des conservateurs pour moins pressante que
celle représentée par le BNP, affirmant qu'en raison de la baisse de leur vote,
les conservateurs « ne sont pas très à l'aise pour faire
passer ces attaques ».
Le SWP écrit
cela dans son propre journal tout en étant dans une alliance politique avec
Cameron et les conservateurs — précisément au nom
du fait qu'ils sont tous deux des démocrates et donc des alliés dans la lutte
contre le BNP !
Cameron et les
autres dirigeants conservateurs comme Sir Teddy Taylor, Edward Garnier et
Anthony Steen sont signataires de l'UAF. Si Cameron arrive au pouvoir en 2010,
ce sera, au moins en partie, grâce au SWP qui les aura présentés comme une
force démocratique « légitime » plutôt que comme le parti du grand capital et qui aura minimisé les
dangers d'un gouvernement conservateur mobilisant toutes les forces de l'Etat
contre la classe ouvrière.