Jeudi, le directeur de la Central Intelligence Agency
(CIA), Leon Panetta, a fait circuler un communiqué interne affirmant que
l’administration Obama s’opposait à une enquête sur les agents du service du
renseignement qui ont torturé sous l’administration Bush.
La déclaration, qui annonce une amnistie complète pour tous
ceux qui ont violé gravement le droit international et les droits de l’homme,
survient dans la foulée d’un rapport du Comité international de la Croix-Rouge
(CICR) qui détaillait, et qualifiait de torture, les horribles méthodes
« d’interrogation spéciale » employées par la CIA.
Les médias ont pour la plupart ignoré le rapport du CICR,
insistant plutôt sur les sections du communiqué de Panetta qui indiquent que
l’administration Obama va fermer les prisons secrètes de la CIA et cesser
d’avoir recours à des contractants privés lors des interrogatoires.
Panetta soutient que l’on ne peut enquêter sur les agents
de la CIA car ils agissaient sous les conclusions légales établies par les
responsables du département de la Justice de l’administration Bush (des
conclusions que l’administration Obama refuse toujours de rendre publiques). On
peut lire dans le communiqué que, « Les officiers qui ont agi sous la gouverne
du département de la Justice, ou qui avaient agi précédemment sous cette
gouverne, ne devraient pas faire l’objet d’une enquête, et ne devraient surtout
pas être punis. »
Cependant, le droit international, y compris les précédents
établis lors du procès des officiels militaires et civils nazis à Nuremberg,
statue clairement qu’on ne peut se défendre en affirmant « avoir
simplement suivi les ordres » dans le cas de violations des droits de
l’homme et de crimes de guerre tels que la torture. Le Principe 4 déclare :
« Le
fait d'avoir agi sur l'ordre de son gouvernement ou celui d'un supérieur
hiérarchique ne dégage pas la responsabilité de l'auteur en droit
international, s'il a eu moralement la faculté de choisir. »
Mais plus important encore, l’affirmation de Panetta selon
laquelle les agents de la CIA ne faisaient que suivre les ordres soulève
immédiatement une question essentielle : pourquoi ceux qui ont donné les
ordres ne sont-ils pas accusés ?
Deux principales raisons expliquent pourquoi
l’administration Obama s’oppose à toute enquête sur les tortionnaires de
l’administration Bush. D’abord, toute enquête sérieuse sur la torture, la
restitution extraordinaire et l’infâme réseau mondial de prisons secrètes
toucherait non seulement ceux qui ont mené ces politiques et de hauts
représentants de l’administration Bush, mais aussi le Parti démocrate et les
médias américains.
L’establishment politique et médiatique américain au
complet est complice de méthodes criminelles associées traditionnellement aux
régimes fascistes et totalitaires.
Dans la foulée des attaques terroristes du 11-Septembre, les
médias, qu’ils soient libéraux ou conservateurs, ont mené une campagne visant à
justifier la torture de présumés terroristes comme faisant partie intégrante de
la supposée « guerre au terrorisme. » À ce moment, des articles
étaient apparus dans des journaux d’importance comme le New York Times
et le Washington Post qui présentaient, sans aucune critique, la défense
de la torture par des responsables de l’armée et des services de
renseignements. Le magazine Newsweek avait publié un célèbre article
intitulé « C’est le moment de songer à la torture » qui argumentait que
« la survie pourrait exiger de vieilles techniques qui paraissaient hors
de question ».
Pour leur part, les chefs démocrates ont été mis au courant
par les responsables sous Bush des méthodes criminelles employées, ils les ont
appuyées et ils ont fourni une couverture politique pour la violation du droit
international par le gouvernement américain. La loi relative aux commissions
militaires, passée par le Congrès avec un appui significatif des démocrates en
2006, a sanctionné la chimère légale de « combattant ennemi »,
empêchant ainsi les présumés terroristes d’avoir recours au système légal de
tout pays ou de toute instance internationale.
L’aile libérale du Parti démocrate est fermement opposée à une
enquête criminelle de l’administration Bush. Le sénateur Patrick Leahy, qui se
présente comme un défenseur des droits démocratiques, a proposé une
« commission sur la vérité » sans pouvoir réel, qui prendrait comme
point de départ le rejet d’une poursuite au criminel des coupables. Une telle
procédure ne peut avoir qu’un seul but — masquer les crimes des années de Bush
et « tourner la page ». Même cette maigre proposition a été
abandonnée par le leadership du Parti démocrate, qui adopte le point de vue que
le moins de discussion il y a sur la torture, le mieux c’est.
Deuxièmement, Obama tente de garder à sa disposition des
méthodes similaires à celles utilisées par Bush tout en effectuant un
changement cosmétique. Si l’administration est opposée à faire répondre de
leurs actes ceux qui ont perpétrés les crimes de guerre et les violations des
statuts américains et des lois internationales sur les droits de l’homme, alors
tous ses désaveux verbaux de la torture et sa défense des « valeurs
américaines » sont futiles. Il vaut la peine de rappeler que Bush
déclarait aussi régulièrement que « Nous ne pratiquons pas la
torture. »
Le communiqué de Panetta met en évidence la continuité du
personnel de Washington et de ses politiques. Obama a conservé des
personnalités clés de l’administration Bush qui sont impliquées dans toutes ses
politiques, incluant le secrétaire à la Défense, Robert Gates, et le personnel
militaire responsable de la conduite des guerres coloniales brutales en Irak et
en Afghanistan.
Comme toutes ses tentatives pour distancer son administration
des politiques de son prédécesseur, ce qu’Obama présente comme la fermeture des
prisons secrètes est plein d’échappatoires.
Panetta n‘a pas dit quand les prisons secrètes (il en existe
probablement en Pologne, en Roumanie, en Jordanie, au Maroc et en Thaïlande)
seraient fermées tout en prétendant que la CIA n’a pas envoyé de personnes vers
ces prisons depuis qu’il a pris la tête de la CIA en février.
Mais puisqu’elles demeurent secrètes, il
est impossible pour un tiers parti, y compris le CIRC, de vérifier les
affirmations de Panetta qu’on n’y trouve actuellement aucun prisonnier.
Au même moment, Panetta affirme que la CIA
« conserve le droit de détenir des personnes pour une période transitoire
de courte durée ». Il n’a pas expliqué quels faits pouvaient mener à la
détention d’un suspect. En plus, sa référence à un emprisonnement
« transitoire de courte durée » est une ouverture délibérée à la
restitution extraordinaire (extraordinary rendition), la pratique selon
laquelle des individus suspectés au nom de la « guerre contre le
terrorisme » sont enlevés et envoyés, sans révision judiciaire, vers des
pays étrangers où ils seront torturés. Panetta ainsi que d’autres hauts
dirigeants de l’administration ont essentiellement admis que cette pratique
avait toujours cours.
Les fermetures annoncées ne s’appliquent
pas non plus aux grandes prisons en Irak et en Afghanistan où l’armée américaine
détient des milliers de personnes et où les pires abus ont eu lieu.
La protection des responsables de
l’administration Bush par Obama et le fait qu’il continue essentiellement la
même politique, peu importe le changement dans la rhétorique et dans le ton,
montre que ces méthodes illégales et anti-démocratiques font consensus au sein
de l’élite dirigeante américaine.
Les groupes libéraux et soi-disant de
gauche continuent d’affirmer qu’on peut faire pression sur Obama pour qu’il
défende les droits démocratiques et qu’il mette en œuvre des réformes sociales.
En fait, ils ne font ainsi que couvrir les crimes de Washington.
Ce n’est pas qu’une question de justice
élémentaire que ceux qui ont perpétré la torture soient amenés devant les
juges. C’est aussi une obligation politique. A moins que les crimes de la CIA
et de l’armée soient révélés au grand jour, l’élite dirigeante américaine va
éventuellement utiliser ces mêmes méthodes contre ses opposants politiques tant
au pays même qu’à l’étranger.
L’incapacité et le refus de toutes les
sections de l’establishment politique et médiatique américain de s’opposer
directement à la torture et à la kyrielle de méthodes d’Etat-policier qui
furent utilisées dans les années Bush témoignent de l’effondrement moral et politique
de la démocratie américaine et du déclin du libéralisme américain.
La seule force sociale qui peut mettre un
terme à de tels crimes et défendre les droits démocratiques est la classe
ouvrière, qui doit faire valoir ses propres intérêts politiques et sociaux dans
une lutte contre les deux partis de l’élite financière et du monde des affaires
et contre le système capitaliste qu’ils défendent. Cette lutte doit inclure la
demande pour une enquête publique complète sur les crimes de l’administration
Bush et la poursuite au criminel de tous ceux, à commencer par Bush lui-même,
qui ont autorisé la torture, la détention et les enlèvements illégaux et autres
violations du même type du droit international.