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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France : Ségolène Royal craint le retour de la « lutte des classes »

Par Antoine Lerougetel et Alex Lantier
16 avril 2009

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Ségolène Royal, candidate malheureuse du Parti socialiste (PS) à l'élection présidentielle de 2007, a provoqué une controverse majeure en France lorsqu'elle a pris la défense de plusieurs groupes de travailleurs qui, menacés de licenciements massifs, ont séquestré leurs patrons sur leur lieu de travail. De telles déclarations, venant d'une personnalité politique aussi bien intégrée que Royal dans l'establishment, donnent une idée de l'intensité des tensions de classes en train d'émerger en France.

Ces prises d'otages répétées de patrons, pour exiger des indemnités de licenciement, sont devenues une question politique majeure en France. Des travailleurs ont retenu leurs employeurs à l'usine pharmaceutique 3M de Pithiviers, à l'usine d'adhésifs Scapa de Bellegarde-sur-Valserine, à l'usine Sony de Pontonx-sur-l'Adour, où le PDG de Sony-France a été retenu, et à l'usine Caterpillar non loin de Grenoble.

Royal a fait ces déclarations dans un long entretien accordé à l'hebdomadaire Le Journal du Dimanche (JDD) le 4 avril dernier. Lorsqu'on lui a demandé son opinion sur les cadres de Caterpillar retenus par des travailleurs, Royal a dit, « Ce n'est pas agréable d'être retenu, et c'est illégal de priver quelqu'un de sa liberté de mouvement. Mais on ne les a ni brutalisés ni humiliés. Ceux qui sont fragilisés, piétinés et méprisés ce sont les salariés à qui l'on ment, avant de les mettre à la porte. »

Elle a poursuivi, « Il y a une délinquance de certains hyper-privilégiés: une manière de piller les ressources de sociétés qui licencient. Nous subissons un désordre inique ; il y a une anarchie profonde du système... Quand on entend des élus de droite expliquer benoîtement que le bouclier fiscal protège les pauvres, on se croirait sous l'Ancien régime ! Alors, est-ce le retour de la lutte des classes ? Peut-être. »

De telles déclarations témoignent des très grands changements de conscience politique qui se produisent sous l'impact de la crise économique mondiale. Les travailleurs sont indignés de voir les centaines de milliards d'euros mobilisés pour renflouer les banques après des décennies durant lesquelles les gouvernants et les dirigeants syndicaux main dans la main ont justifié les attaques sur les acquis sociaux au motif qu'il était impossible de trouver quelques milliards d'euros pour les besoins basiques de la population.

Tandis que les cadres des banques et de l'industrie automobile empochent des salaires annuels de sept chiffres tout en affichant des pertes importantes et en licenciant un grand nombre de travailleurs, le grand patronat commence à être considéré comme une classe aussi réactionnaire et parasitaire que l'aristocratie pré-révolutionnaire. Le fonctionnement du marché capitaliste jette à la rue des centaines de milliers de travailleurs en France et des dizaines de millions de travailleurs perdent leur emploi dans le monde entier. Lorsque les personnes qui écrivent les discours de Royal essaient de trouver les mots pour exprimer le sentiment populaire sur le capitalisme, les mots qui leur viennent à l'esprit sont « inique » et « anarchie ».

Lorsqu'elle parle de l'Ancien régime, Royal s'exprime au nom de ces couches de l'establishment qui craignent que les luttes des travailleurs pour la défense de leurs emplois et de leur lieu de travail, avec certains changements de conscience politique, ne fusionnent en une lutte révolutionnaire des travailleurs pour le pouvoir.

Les kidnappeurs de patrons jouissent actuellement d'un soutien public significatif. Un article du Monde daté du 10 avril intitulé « Pourquoi les séquestrations de patrons sont populaires » donnait le résultat de deux sondages d'opinion sur la question. Le CSA montre que 45 pour cent des gens sondés trouvent une telle méthode de protestation « acceptable ». Selon l'IFOP 63 pour cent de la population comprennent pourquoi les travailleurs retiennent leurs patrons et 30 pour cent soutiennent entièrement de telles actions.

Le Monde ajoute, « La sympathie à l'égard des grèves et des manifestations semble désormais s'étendre aux actions plus radicales. Les révélations sur les rémunérations de certains dirigeants, les annonces successives des plans de licenciement dans des entreprises qui dégagent des bénéfices, les dividendes versés aux actionnaires dans un contexte de récession générale, ont provoqué un sentiment d'indignation largement partagé. »

Une déclaration du 3 avril de Henri Guaino, conseiller spécial du président Nicolas Sarkozy, donne une idée de l'extrême anxiété du gouvernement. Faisant référence à une « crise très profonde » Guaino a dit, « Tout peut déraper, le risque politique est très fort, le risque de violence, de révolte est très grand et il peut dégénérer. » Il a ajouté, « Tous les hommes politiques, tous les dirigeants doivent avoir ce problème en tête.. »

C'est pour cette raison que la bourgeoisie se trouve dans l'impossibilité de réagir face à ces kidnappeurs de patrons, malgré l'existence de peines draconiennes prescrites par la loi pour de telles actions (cinq ans d'emprisonnement et des amendes pouvant aller jusqu'à 75 000 euros.) Pour le moment, seule une minorité de conservateurs réclament que ces lois soient appliquées.

Des couches plus larges de la bourgeoisie cherchent à désamorcer l'hostilité au capitalisme en promouvant faussement certaines personnalités de l'establishment politique comme les représentants. Dans ce contexte, il n'est pas inutile de faire remarquer que le JDD qui a interviewé Royal appartient à Arnaud Lagardère, multimillionnaire ayant des avoirs dans la finance, les médias, l'industrie de la défense et ami personnel proche de Sarkozy.

Ils espèrent que malgré la colère sociale massive il sera possible de licencier les travailleurs et de fermer leurs usines avec l'aide des syndicats. Ainsi Laurent Joffrin a écrit dans son éditorial du 10 avril dans Libération que « Dans la plupart des cas qui nous occupent, les salariés avaient accepté le principe des réductions d’effectifs. C’est pour obtenir une compensation plus juste qu’ils ont séquestré leurs dirigeants. » Joffrin fait porter la responsabilité de tels conflits sur « le manque de dialogue social dans beaucoup d'entreprises ».

Le JDD a fait des tentatives quelque peu fausses pour présenter Royal comme une radicale, en écrivant, « Elle que ses ennemis taxaient de crypto-centrisme est, en réalité, la plus rouge des socialistes : une femme en colère qui s'adresse à un pays en colère. »

Tandis que les gens cherchent massivement quelqu'un qui exprime leur opposition instinctive à la crise capitaliste, une telle promotion semble avoir fait remonter Royal dans les sondages. Dans un sondage daté des 8 et 9 avril, cherchant à savoir quel politicien était le mieux à même de se présenter contre Sarkozy, Royal a renvoyé à la seconde place le dirigeant du Nouveau Parti anticapitaliste Olivier Besancenot en tête depuis quelque temps. Elle a obtenu 14 pour cent des voix, soit une augmentation de 9 points, Besancenot est resté stable à 13 pour cent et la première secrétaire du PS Martine Aubry à 9 pour cent.

Mais Royal est un défenseur acharné du capitalisme et si elle a embrassé les luttes des travailleurs c'est afin d'embrouiller et d'étouffer, plutôt que de conduire un mouvement politique de la classe ouvrière contre la crise actuelle. Membre de l'aile droite du Parti socialiste, elle est connue principalement pour ses tentatives répétées d'établir une alliance inhabituelle entre le PS et le MoDem droitier de François Bayrou. Durant sa campagne présidentielle de 2007, elle prônait des attaques sur les retraites et des peines plus sévères contre les jeunes délinquants. Après avoir perdu les élections, elle est revenue sur sa propre revendication d'une augmentation du salaire minimum disant que c'était une politique irréaliste que d'autres membres du PS lui avaient imposée.

Peut-être que le meilleur antidote à toute erreur de jugement laissant croire que Royal serait une sorte de partisane insurgée de la classe ouvrière est sa propre interview au JDD. Sa proposition pour mettre fin à la crise consiste à intensifier les négociations entre la direction et les syndicats, bien que ces négociations aient dévasté, durant ces deux dernières décennies, les retraites et les conditions de travail du prolétariat, avec les profits ainsi dégagés pour la bourgeoisie allant nourrir la spéculation financière criminelle qui a conduit à la crise actuelle.

Ainsi Royal a déploré « la faiblesse syndicale » en ajoutant, « A chaque crise, on apprend que les syndicats ont tiré la sonnette d'alarme à l'avance en vain. Si on les écoutait, si on anticipait les difficultés, on diminuerait le malheur. »

Royal s'est déclarée résolument opposée aux formes de conscience politique et de lutte sociale qui seront nécessaires pour défendre les travailleurs et l'économie contre les déprédations de la bourgeoisie. Faisant remarquer qu'elle n'était pas une « Cassandre », elle a dit, « je ne prédis ni ne souhaite une insurrection sociale ».

Bien qu'elle ait précédemment décrit la classe dirigeante comme rappelant, par son arrogance, l'aristocratie de l'Ancien régime, elle a carrément dit, « Le préjugé des petits contre les gros est stupide. »

(Article original anglais paru le 15 avril 2009)


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