Avant
même que ne commence à Copenhague, au Danemark, la conférence sur le climat, on
avait écarté l’objectif de ratifier un traité ayant force
d’obligation pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Le
protocole de Kyoto de 1997 arrive à échéance en 2012 et Copenhague a été
largement présentée comme la conférence où un nouveau document allait le
remplacer. L’objectif plus limité d’un consensus politique autour
des points de référence établis par la Groupe intergouvernemental
d’experts sur le climat (GIEC) est aussi très improbable.
Le
secrétaire de la Convention-cadre de l’ONU sur le changement climatique,
Yvo de Boer, a confié à la BBC hier, pendant que se rassemblaient environ 18.000 délégués, officiels, lobbyistes et scientifiques, que la situation
« se présentait très bien ». « Jamais en 17 ans de négociations
sur le climat autant de pays auront pris de si nombreux engagements. Des
gouvernements prennent des engagements presque chaque jour; c’est sans
précédent », a-t-il lancé.
Mais
de Boer a oublié d’ajouter que les promesses actuelles, même si elles
étaient entièrement remplies, sont bien en deçà
de ce que la majorité de scientifiques affirme être nécessaire pour limiter le
réchauffement climatique et ses conséquences potentiellement désastreuses. Les
profondes divisions entre les grandes puissances et les divers blocs qui
s’étaient manifestés à la précédente conférence de l’ONU à Bali en
décembre 2007 ont déjà commencé à apparaître avant la conférence de Copenhague.
Avant
la conférence de Bali, le GIEC avait rendu public un important rapport qui
appelait à une réduction des émissions de gaz à effet de serre par les pays
industriels avancés de 24 à 40 pour cent d’ici 2020 par rapport au niveau
de 1990 et une réduction des émissions globales de 50 à 80 pour cent
d’ici 2050. Tandis que les puissances européennes, avec la Chine,
l’Inde et d’autres pays industriels montants, cherchaient
l’inclusion d’une référence aux cibles du GIEC dans la déclaration
finale, les Etats-Unis dirigeaient un bloc de pays, dont le Japon, le Canada et
l’Australie, qui s’est opposé à cette inclusion et a exigé que les
soi-disant pays en développement respectent eux-mêmes ces cibles. Selon le
protocole de Kyoto, les pays en développement ne sont pas tenus de réduire
leurs émissions de gaz à effet de serre.
Ces
mêmes conflits domineront la conférence de Copenhague. Tous affirmeront vouloir
agir de concert pour ralentir le réchauffement climatique mais chaque
délégation nationale cherchera d’abord à défendre ses intérêts
économiques particuliers aux dépens de ses rivaux. En raison du manque
d’accord entre les grandes puissances, le premier ministre Danois Lars
Lokke Rasmussen, l’hôte de la conférence, avait laissé entendre le mois
dernier qu’il faudrait attendre l’an prochain avait d’avoir
un traité ayant force d’obligation.
Le
gouffre séparant les paroles des gestes est particulièrement remarquable dans
le cas de l’administration Obama. À la différence de son prédécesseur
Bush qui, pour la majeure partie du temps où il était au pouvoir, niait la
réalité du réchauffement climatique, le président a déclaré plus tôt cette
année qu’il comprenait « l’importance de la menace du
changement climatique » et a promis « d’être à la hauteur de
nos responsabilités pour les générations futures ». Ses propositions pour
limiter les émissions de gaz à effet de serre sont cependant bien en-deçà des
cibles établies par le GIEC.
Les
Etats-Unis, jusqu’à 2006 le plus important pays émetteur de gaz à effet
de serre et maintenant deuxième derrière la Chine, n’ont jamais signé le
protocole de Kyoto. En accord avec des projets de loi au Sénat et à la Chambre
des Représentants, Obama défend une réduction des émissions de 17 pour cent
d’ici 2020 selon le niveau de 2005. Comparativement aux cibles de
l’ONU qui sont basées sur l’année 1990, ces réductions sont
beaucoup plus faibles et n’équivalent qu’à une réduction de 3 à 4
pour cent d’ici 2020. De plus, même ce plan limité fait face à
l’opposition concertée du Congrès.
L’opposition
est exprimée non seulement par des intérêts américains majeurs dans le secteur
de l’énergie. Dans des conditions d’une crise économique qui se
poursuit aux Etats-Unis et mondialement, des critiques concernant la
règlementation des émissions défendent l’idée que les manufacturiers
américains seraient injustement désavantagés s’ils avaient à réduire
leurs émissions alors que la Chine n’aurait pas à le faire. « Si
nous passons une loi que le reste du monde ne suit pas, l’Oncle Sam
deviendra l’Oncle Idiot et exportera tous nos emplois vers la Chine, »
a dit le sénateur républicain Charles Grassley à un comité de finance le mois
dernier.
La
Chine, tout comme d’autres pays en développement comme l’Inde et le
Brésil, a rejeté tout engagement contraignant pour réduire les émissions,
argumentant que ses émissions per capita sont beaucoup moindres et aussi que
les pays industrialisés avancés sont principalement responsables de la hausse
des niveaux de gaz à effet de serre il y a plus d’un siècle et doivent
porter la majeure partie du fardeau pour arrêter la tendance. Beijing a annoncé
le mois dernier qu’il réduirait l’intensité du carbone (la quantité
de carbone émis par unité de PIB) d’au moins 40 pour cent
d’ici à 2020 comparé au niveau de 2005, mais un taux plus faible
par unité de PIB ne se traduit pas par une réduction totale des émissions. Le
Brésil et l’Inde ont aussi proposé des réductions dans l’intensité
du carbone de 38-42 pour
cent et de 24 pour cent respectivement d’ici à 2020
comparé à 2005.
D’autres
pays en développement, particulièrement un bloc de 42 petits états côtiers et
situés sur des îles principalement dans le Pacifique et les Caraïbes, font
pression pour que les pays industriels avancés fassent des réductions plus
grandes de leurs émissions de carbone et fournissent une aide économique
substantielle pour les aider à faire face à l’impact des changements
climatiques et à réduire leurs propres émissions. Des offres d’assistance
immédiates des grandes puissances sont anticipées ne pas dépasser les 7 ou 10
milliards, beaucoup moins que les 75 à 100 milliards que la Banque mondiale à
estimé nécessaire à chaque année. D’autres
estimations sont beaucoup plus élevées.
Les
principaux exportateurs d’énergies comme les Etats du golfe, le Canada et
l’Australie ont été résistants face à des réductions majeures
d’émissions. Le négociateur principal de l’Arabie saoudite sur le
climat s’est servi de la récente controverse concernant la divulgation de
courriels par des scientifiques du climat à l’université de l’East
Anglia afin mettre en doute toute connexion entre l’activité humaine et
le réchauffement climatique. Les Etats du golfe ont argumenté pour obtenir des
compensations pour la perte de revenu si l’utilisation des combustibles
fossiles était diminuée.
L’Australie
a seulement ratifié le protocole de Kyoto en 2007 après que le Parti
travailliste ait pris le pouvoir. Cependant, malgré sa rhétorique sur la
nécessité pour un changement, le premier ministre Kevin Rudd ne s’est
engagé qu’à des réductions d’émissions de gaz à effet de serre
entre 5 et 25 pour cent d’ici à 2020. Non seulement les réductions sont à partir de 2005,
et non 1990, mais des réductions plus larges sont dépendantes d’un accord
international qui satisfont aux demandes australiennes. Le présent marché de
négociation et d'échangede
droits d'émissionde gaz
à effet de serre fut bloqué par le sénat après que de profondes divisions qui
ont émergé dans le parti libéral aient résulté dans la démission forcée du
leader de l’opposition Malcolm Turnbull et dans le fait qu’il
n’a pas tenu sa promesse faite dans un autre accord pour passer le projet
de loi.
La
crise politique en Australie reflète les intérêts qui sont en jeu à Copenhague.
Alors que les opposants de Turnbull représentent les industries minières ayant
de grands besoins en énergie, ceux qui soutiennent le marché de négociation et
d'échange de droits d'émission de gaz à effet de serre sont
appuyés par le capital financier et sont attirés par la possibilité de transformer
l’Australie dans un centre de marché régional du carbone très lucratif.
Selon le système de limites et d’échanges établi sous le protocole de
Kyoto, les entreprises recevraient des « crédits » d’émissions
qui pourraient être vendues à d’autres pollueurs industriels si leur
production de carbone étaitinférieure aux limites qui leur seraientimposées.
Des crédits supplémentaires pourraient être générés par des activités comme la
reforestation dans les pays en développement.
Le
marché du carbone le plus grand et le plus lucratif est le système
communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre de
l’Union européenne (SCEQE, ou European Union Emissions Trading Scheme
- EU ETS en anglais), sur lequel s’échange plus de 100 milliards
de dollars en crédits d’émission de carbone dans une année. Les
principales puissances européennes promettent des réductions des émissions de
20 à 30 pour cent en 2020 par rapport au niveau de 1990. Ces puissances font
pression pour qu’on arrive à un accord à Copenhague, estimant
qu’elles pourraient accroître leur domination sur le commerce mondial des
crédits du carbone. Au sein des l’UE, toutefois, il y a toujours des
différences marquées sur l’impact des diminutions, et certains pays,
comme la Pologne, qui dépendent principalement du charbon, demandent un
traitement spécial.
La
plupart des signataires du protocole de Kyoto, y comprirent
les puissances européennes, n’atteindront pas les cibles modestes de
diminution des émissions pour 2012. Cela n’empêche pas que si on en
arrivait à un accord à Copenhague au cours des prochaines semaines, celui
prévoira une utilisation accrue du système d’échange des quotas
d’émission qui ont déjà fait la preuve de leur inefficacité.
Comme à Bali en 2007, l’Association internationale pour l'échange de
droits d'émission fera probablement un acteur important à Copenhague.
Dans
une interview qu’il a donnée la semaine passée au Guardian, l’éminent
spécialiste du climat James Hansen a été cinglant dans sa condamnation des
systèmes d’échanges des quotas d’émission de gaz à effet de serre,
affirmant que c’était une voie
« fondamentalement fausse ». « Je crois qu’il serait aussi
bien que nous n’arrivions pas à un traité important, parce que si ce
devait être quelque
chose du type des accords de Kyoto, et que les gens
s’entendent là-dessus, alors nous perdre des années à essayer de
déterminer ce qu’il signifie exactement et ce qu’est un engagement,
quels sont les mécanismes », a-t-il dit.
« Tout
ce système d’objectifs à rencontrer, mais que vous pouvez ne pas
satisfaire en achetant des crédits [sur le marché du carbone] signifie, vous
savez, que c’est une tentative de continuer sans rien changer », a
ajouté Hansen. Il a comparé les achats de droits de polluer aux indulgences que
vendait l’Église catholique au Moyen-Âge, disant : « Les
évêques récoltaient de grandes sommes avec ce système et les pêcheurs, eux,
gagnaient leur ciel. Les deux partis aimaient l’arrangement malgré son
absurdité. C’est exactement ce que nous avons. »
Malgré
que ces critiques du système d’échanges des crédits du carbone avancé par
Copenhague soient justifiées, Hansen n’offre aucune alternative. Comme
beaucoup d’économistes et d’institutions, il faisait autrefois la
promotion de la taxe sur le carbone pour forcer une diminution de la demande
sur les énergies fossiles et encourager l’utilisation des sources
d’énergie alternatives. En plus d’être très injuste socialement,
une taxe sur le carbone continue à reposer sur le marché capitaliste anarchique
dont le moteur est les profits à court terme, pas les besoins environnementaux
et sociaux à long terme.
Comme
les différentes délégations nationales se disputent à Copenhague à cause
d’intérêts en concurrence, les spécialistes du climat avertissent que la
recherche scientifique depuis la publication du rapport du GIEC a non seulement
confirmation ses conclusions mais indique que certaines tendances associées au réchauffement climatique s’accélèrent plus vite que l’envisagions
auparavant. Un rapport publié le mois dernier par un groupe de scientifiques, y
compris beaucoup des principaux auteurs du GIEC, avertissait que pour empêcher
les températures sur le goble d’augmenter de plus de 2 degrés centigrades
au-dessus du niveau pré-industriel, les émissions mondiales de carbone doivent
atteindre leur maximum entre 2015 et 2020, c’est-à-dire d’ici cinq
à dix ans, et ensuite diminuer rapidement, grâce à une économie mondiale qui
n’émettrait pratiquement pas de gaz à effets de serre bien avant la fin
du siècle.
Le
gouffre qui sépare ce qui est scientifiquement demandé et ce qui est discuté à Copenhague
montre l’incapacité du système du profit à satisfaire un seul des besoins
essentiels de l’humanité, y compris la viabilité à long terme de l’environnement. Alors
que les dangers du réchauffement climatique demandent
une réponse internationale intégrée et planifiée, les contradictions
fondamentales du capitalisme (la contradiction entre une économie mondiale
et le système démodé des Etats-nations et entre la production sociale et le
système de profit) font de cela une impossibilité.
Pour
arriver à réduire l’émission de gaz à effet de serre mondialement, il ne
faut rien de moins qu’une réorganisation de toute l’économie
mondiale sur une base socialiste. Un plan internationalement coordonné est
nécessaire pour restructurer la production industrielle et agricole, tout comme
il faut réorganiser la production d’énergie, les transports et la
planification urbaine pour non seulement mettre un terme au danger d’un
dérèglement catastrophique du climat, mais aussi pour fournir à tous les
humains un niveau de vie décent et sûr.
(Article
original anglais paru le 7 décembre 2009)