Le sommet sur le
changement climatique organisé à Copenhague par les Nations unies se dirigeait
tant bien que mal vers son terme vendredi soir, les représentants des
principales puissances mondiales espérant sauver une courte déclaration de
principes, sans un seul engagement contraignant, avant de clôturer ces deux
semaines de conférence.
Le président
américain Barack Obama a déclaré lors d'une conférence de presse à minuit que
des « avancées significatives et inédites » avaient été accomplies
dans les dernières minutes des discussions entre les États-Unis, la Chine,
l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud, mais a annoncé qu'il devait partir avant
qu'un accord final n'intervienne en raison d'une tempête de neige sur
Washington DC.
Obama a admis
qu'il y avait une « impasse fondamentale concernant les
perspectives » entre les grands pays industrialisés comme les États-Unis,
le Japon et l'Europe de l'Ouest d'un côté et les pays pauvres d'Asie, d'Afrique
et d'Amérique latine de l'autre. Mais il a affirmé que la conférence « va
nous aider à commencer à prendre nos responsabilités pour laisser à nos enfants
et petits-enfants une planète plus propre ».
L'accord entre les
États-Unis, la Chine, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud se borne à une
déclaration sans effets concernant l'objectif de réduire les émissions de gaz à
effet de serre pour 2050. Il abandonne toute référence à l'échéance de 2010
pour un accord légalement contraignant sur le climat, ce qui avait été la clef
de voûte des versions antérieures, et s'en remet à une promesse de poursuivre
les discussions lorsque la conférence se réunira à nouveau à Mexico l'année
prochaine, ainsi que d'avoir réalisé des progrès pour 2016.
Alors qu'un
document de travail proposait plusieurs objectifs quantifiés, comme une réduction
de 80 pour cent des émissions pour 2050, par rapport au niveau de 1990, ces
déclarations ne sont que des aspirations, sans objectifs réels pour chaque pays
ou groupe de pays, et aucun mécanisme concret pour en surveiller l'application
ou sanctionner les écarts. L'objectif de limiter l'augmentation de la
température mondiale à 2 °C a été largement critiqué par les militants
défendant l'environnement et les scientifiques, car il implique en réalité la
désertification d'une grande partie de l'Afrique. Même cette
« limite » n'est mentionnée qu'en tant que souhait, une admission du
consensus scientifique, mais ne se traduit par aucune politique spécifique pour
l'atteindre.
Tout en affirmant
avoir réalisé des progrès, Obama a mis l'accent sur le fait que les États-Unis
« ne seront pas légalement liés par ce qui s'est passé ici
aujourd'hui », s'inclinant devant les critiques de droite dans son pays.
Il a également admis que quelle que soit la résolution finalement adoptée par
les délégués à la conférence, elle ne serait pas une réponse suffisante à la
crise causée par le réchauffement de la planète.
Il est assez
extraordinaire qu'aucun pays européen, ni l'Union européenne elle-même, n'ait
été représenté dans les discussions privées, alors que le Danemark, le pays
hôte, est membre de l'UE, et que les représentants de l'UE ont joué un rôle de
premier plan dans l'aspect public de la conférence. Étant donné le rôle énorme
des pays de l'UE dans l'activité économique mondiale, et dans l'émission de gaz
à effet de serre, leur exclusion démontre que l'accord salué par Obama est
quasiment insignifiant.
La conférence de
Copenhague avait déjà entamé sa désintégration avant la fin des discussions
privées à cinq membres. Le président russe Dmitri Medvedev était déjà rentré
chez lui, et le Premier ministre japonais Yukio Hatoyama était en route pour
l'aéroport.
Les réunions
tendues et les manœuvres du dernier jour de la conférence ont été la preuve de
deux données incontournables de la politique internationale du 21e
siècle : la lutte de plus en plus intense entre les états capitalistes de
toute la planète, dont les intérêts économiques divergents rendent toute
réaction unifiée impossible contre la menace du réchauffement climatique ;
et le déclin de la puissance de l'impérialisme américain en particulier,
incapable d'imposer ses vues à Copenhague.
Ce n'était
pourtant pas faute d'essayer. Après que la ministre des Affaires
étrangères Hillary Clinton a fait miroiter un pot-de-vin de 100 milliards de
dollars aux pays pauvres pour les écarter de leur alliance avec la Chine,
l'Inde, le Brésil et quelques autres puissances en croissance rapide, Obama a
enchaîné vendredi avec un discours qui mettait en avant le côté « mauvais
flic » de l'interventionnisme américain.
Il n'a parlé qu'une
dizaine de minutes, d'un ton impérieux, suintant d'une frustration évidente à
l'égard de la Chine de l'Inde et d'un grand nombre des 130 pays pauvres groupés
dans ce que l'on appelle le G-77 [créé en 1964, avec 77 membres à l'origine, à
l'initiative de la Chine pour peser sur les négociations commerciales à l'ONU,
ndt], lesquels insistaient sur le fait que les pays industrialisés doivent
assumer l'entière responsabilité de la crise environnementale et accepter de
réduire les émissions chez eux tout en apportant une aide financière à la
reconversion des industries du Tiers-monde vers des technologies plus économes
en énergie.
Un article de
presse a dit d'Obama qu'il adoptait « le ton d'un professeur impatient
dont les étudiants n'avaient pas rendu leur mémoire à la date fixée ». Le
journal britannique Guardian a écrit : « Un Obama visiblement
en colère est venu dire aux dirigeants mondiaux qu'ils étaient en retard pour
arriver à un accord […], mais Obama n'a rien offert de nouveau – que ce soit
sur les réductions d'émissions ou sur une éventuelle contribution américaine à
un fonds climatique pour les pays pauvres. »
Le discours
d'Obama a énervé une bonne partie des délégués, qui lui ont fait un accueil
ostensiblement réservé.
Que ce soit avant
ou après le discours d'Obama, la conférence a été le théâtre d'un échange de
piques entre les États-Unis et la Chine. Selon le New York Times, peu
après son arrivée à bord d'Air Force One, « Obama s'est rendu à une
réunion improvisée avec un groupe de dirigeants de haut niveau représentants 20
pays et organisations. Wen Jiabao, premier ministre chinois, décida de ne pas
se rendre à cette réunion, préférant y envoyer le vice-ministre des Affaires
étrangères, He Yafei, une rebuffade qui fit bouillir les représentants
américains et européens. »
Les représentants
chinois se sont sentis humiliés à leur tour par le ton et le contenu du
discours d'Obama. Déclarant à la conférence que le temps était venu
d'« agir » et non plus de « parler », il n'a fait
qu'exposer la position américaine, y compris l'exigence très controversée que
la Chine et les autres pays acceptent le contrôle de leurs engagements sur les
réductions d'émissions, et a demandé que la conférence l'adopte.
Il s'est moqué de
l'opposition de la Chine – sans la nommer directement – à toute forme de
vérification internationale de ses efforts pour atteindre les objectifs de
réduction des émissions. La Chine considère que ce genre d'exigences
américaines revient à demander une réduction du taux de croissance économique
du pays, ce que Pékin considère comme une menace sur la stabilité du pays.
Lorsque Wen Jiabao
est monté sur scène pour faire un discours au nom de la délégation chinoise, il
a dénoncé les pays industrialisés pour leur incapacité à tenir les promesses
faites à la conférence de Kyoto en 1997, dont le protocole officiel avait été
rédigé par le gouvernement Clinton, mais jamais soumis au Congrès pour
ratification. « Il est important d'honorer les engagements déjà passés et
d'entreprendre des actions réelles », a-t-il dit dans un discours qui a
été décrit comme « méfiant » dans les articles de presse.
Un dernier
incident s'est déroulé vendredi dernier, lorsque les dirigeants chinois, indien
et brésilien étaient en réunion privée et qu'Obama s'y est imposé en déclarant
qu'il ne voulait pas qu'ils négocient en secret. Le représentant de l'Afrique
du Sud, s'est également invité à cette réunion, ce qui a entraîné la soumission
à la conférence d'un accord « de travail » à ratifier.
Les groupes
environnementalistes ont condamné le discours d'Obama. Bill McKibben, militant
sur le réchauffement climatique l'a qualifié d'ultimatum « à prendre ou à
laisser ». Le groupe des Amis de la Terre a publié dans une
déclaration : « Obama n'a pas seulement déçu ceux qui écoutaient son
discours à la conférence de l'ONU, il a déçu le monde entier. »
Un porte-parole du
World Developpement Movement a déclaré, « Il n'a montré aucune
conscience de l'inégalité et de l'injustice qu'il y a dans le changement
climatique. Si l'Amérique a vraiment fait un choix bien arrêté, c'est un choix
qui condamne des centaines de millions de gens à subir les désastres du
changement climatique. »
Dans un éditorial
du Guardian vendredi, l'environnementaliste George Monibot a fait une
comparaison très juste en décrivant les attitudes intéressées des représentants
des grandes puissances industrielles. Faisant référence au partage colonial de
l'Afrique à la fin du XIXe siècle, il a écrit, « C'est une ruée sur
l'atmosphère comparable par son style et ses intentions à la ruée sur
l'Afrique. À aucun moment l'injustice fondamentale du multilatéralisme n'a
été prise en compte ou même simplement évoquée : les intérêts des Etats et
les intérêts de la population mondiale ne sont pas les mêmes. Ils sont souvent
diamétralement opposés. Dans ce cas, la plupart des pays riches et des pays en
développement rapide ont cherché par l'intermédiaire de ces négociations à
s'emparer de la plus grande part possible d'atmosphère – à mettre la main sur
plus de droits à polluer que leurs rivaux. »
S'il est vrai que
« les intérêts des Etats et les intérêts de la population mondiale »
sont opposés, il faut aussi reconnaître que le système des États-nations ne
peut pas être séparé du capitalisme, lequel s'est développé parallèlement et
est conjoint au système des États-nations.
On ne peut
s'attaquer au risque de dommages irréparables à l'environnement de la planète
et à sa population qu'en menant une lutte pour mettre fin à la fois au
capitalisme et au système d'Etats-nations, et établir une économie mondiale
démocratique, scientifiquement organisée – c'est-à-dire socialiste.