L’inexorable virage à droite de la social-démocratie
canadienne a été étalé au grand jour dans les derniers mois. Tandis que se
développe la plus profonde crise du système capitaliste depuis la Grande
Dépression (avec la misère sociale, le chômage, les baisses de salaire et les
retraites en péril qui l’accompagnent), le soi-disant parti canadien des
« gens ordinaires » a redoublé d’efforts pour présenter une
image plus « responsable financièrement » et proche du patronat.
Prenons par exemple le congrès, qui s’est terminé
récemment, du Nouveau Parti démocratique (NPD) de Colombie-Britannique. Dans
les jours précédant la rencontre, les fidèles du parti se sont tournés vers les
journaux les plus influents du pays pour défendre l’idée que le NPD est
un pilier de l’establishment, dévoué à l’enrichissement de
l’élite financière.
Apparemment inconscient de la crise sociale forgée par le
capitalisme mondial et l’attaque unilatérale de la grande entreprise
contre la classe ouvrière, l’ancien premier ministre social-démocrate de
la Colombie-Britannique, Mike Harcourt, a déclaré au Globe and Mail,
« Ceux qui adoptent la lutte de classes et les socialistes sont aujourd’hui
aussi discrédités que les communistes… On ne peut pas régler les
problèmes environnementaux sans une économie prospère, et sans une économie
prospère il est impossible de s’attaquer à la pauvreté. Il faut
considérer l’innovation et la créativité. On ne peut pas jouer à
l’autruche. »
David Bieber, depuis longtemps directeur des communications
pour le NPD de Colombie-Britannique, est venu appuyer Harcourt pour que le
parti abandonne toute prétention de vouloir représenter les plus faibles. Dans
un article publié dans le Vancouver Sun, Bieber a suggéré que Carole
James, la chef du parti, « doit en faire plus pour rejoindre les chefs
d’entreprise et construire les partenariats dont son gouvernement aura
besoin pour bâtir une économie forte qui profitera à tous les
Britanno-Colombiens, et pas juste aux amis du Parti libéral ». Répliquant
aux critiques du patronat de la province quant aux liens étroits
qu’entretient le NPD avec la bureaucratie syndicale, Bieber a affirmé que
James « doit recruter des candidats qualifiés des milieux financiers et
économiques », c’est-à-dire des directeurs généraux et des
capitalistes.
Les assertions de Harcourt et Bieber selon lesquelles les
gouvernements doivent subvenir aux besoins de la grande entreprise pour améliorer
les services publics et les programmes sociaux sont démenties par
l’expérience des dernières décennies. Bien que l’économie ait plus
que doublé depuis les années 1970, les salaires réels sont demeurés au même
niveau et de larges trous ont été faits dans le supposé filet social.
Sans surprise, Carole James a suivi le conseil des experts
du parti en prononçant un discours et en faisant des déclarations au congrès qui
embrassaient les principes du libre-marché. Pour James, la viabilité des
programmes sociaux doit être basée sur la « croissance » de
l’économie et non sur la taxation des riches. Les patrons doivent être
consultés si l’on veut bâtir une « économie nouvelle,
moderne ».
Le congrès, auquel ont participé des délégués en mesure de
débourser l’inscription de 350 $ payée au parti (sans oublier les
dépenses liées au transport et à l’hôtel), était en grande majorité
d’accord. Il a approuvé la liste de candidats, soutenue par James,
ouverts aux affaires pour des postes dans le parti.
Les dirigeants d’un parti en disent souvent plus sur
le caractère de ce dernier que tout congrès ou promesses préélectorales, qui
sont rapidement oubliés après le vote. Il est ainsi important de remarquer que
l’ancien ministre de Harcourt, et riche homme d’affaires, Moe Sihota,
a été désigné comme président du parti. « Pour que le NPD ait du succès, a
dit Sihota, il doit développer des relations plus solides avec tous les
secteurs d’affaires. Les gens doivent voir que le parti est soucieux des
entreprises et des affaires sociales. Il faut se montrer accueillant pour que
les gens se sentent bien. »
James est de plus enthousiaste de promouvoir, en tant que
futur « candidat vedette », George Heyman, un bureaucrate de longue
date du Syndicat des employés gouvernementaux de la Colombie-Britannique
(BCGEU) et actuel directeur exécutif du Sierra Club provincial. En tant que
président du BCGEU, Heyman est devenu détesté par les travailleurs pour sa
relation chaleureuse avec le gouvernement. Aux côtés du président de la
Fédération du travail de la Colombie-Britannique Jim Sinclair, Heyman a joué un
rôle central pour torpiller un mouvement qui se dirigeait vers une grève
générale contre le gouvernement libéral de droite de Gordon Campbell en 2003. Il
a imposé un règlement qui a entraîné la sous-traitance de milliers d’emplois
en milieu hospitalier.
Appuyant l’ouverture de James à la grande entreprise,
Heyman a déclaré: « Je ne dis pas qu’on ne doit pas permettre aux
gens d’accumuler de la richesse et des avantages par leur ingéniosité, leurs
investissements et leur créativité ou par les entreprises qu’ils peuvent
démarrer » en autant qu’il y a un système d’impôts
« équitable » qui récompense les gens pour leur travail.
Vu leur adhésion étroite aux conceptions néolibérales qui
prédominent sur la scène politique canadienne, des leaders clés du NPD en
Colombie-Britannique n’ont eu aucune difficulté à faire la transition
vers des échelons plus élevés du Parti libéral et du monde des affaires dans
les dernières années. L’ancien chef du NPD et membre libéral du
Parlement, Ujjal Dosanjh, a siégé dans l’ancien cabinet de Paul Martin
et, dans l’opposition pour les libéraux, a été critique en matière de
Défense nationale, des Affaires étrangères et de la sécurité publique. De plus,
le prédécesseur de Dosanjh en tant que chef du NPD de la Colombie-Britannique,
Glen Clark, s’est très bien remis de son éviction de la chefferie et
détient aujourd’hui un poste de vice-président exécutif dans
l’empire tentaculaire de Jim Pattison.
L’allégeance sans équivoque du NPD au marché
capitaliste n’a pas été confinée à la côte ouest canadienne. En
Nouvelle-Ecosse, le gouvernement majoritaire du NPD sous le premier ministre
Darrell Dexter a été élu en juin dernier avec l’appui ouvert de sections
de la grande entreprise. Dexter, un « conservateur progressiste »
autoproclamé qui a soutenu de manière enthousiaste le gouvernement conservateur
provincial de John Hamm pendant trois ans, a mené une campagne à la droite du
Parti libéral sur des questions environnementales et économiques. Dexter a
abandonné l’établissement d’une assurance automobile publique qui
était inscrite dans la plate-forme électorale du parti ; il a renoncé à un
engagement de longue date du NPD pour abroger une loi visant à contrecarrer la
mise sur pied d’un syndicat à l’usine Michelin de la
province ; et il a présenté le NPD comme le parti le plus enclin à couper
dans les dépenses. Récemment, Dexter a reconnu que, dans le but de remplir sa
promesse de budget équilibré, son gouvernement devra gérer un déficit budgétaire
de 540 milliards de dollars par des coupures dans les dépenses sociales et des
augmentations de l’impôt sur le revenu et de la taxe de vente.
Le gouvernement de Dexter a été favorablement comparé par
le Globe and Mail aux gouvernements « modérés » du NPD au
Manitoba menés par Gary Doer et son successeur, l’ancien ministre
provincial des Finances, Greg Selinger, pour avoir avidement mis en place des
politiques que l’on ne peut distinguer de celles du Parti libéral, un
parti de la grande entreprise. Doer, qui a remporté trois victoires électorales
au Manitoba où il était majoritaire, s’est ouvertement présenté comme un
libéral avec un « petit l ». Les relations cordiales de son
gouvernement avec les méga-usines de porcs et les compagnies d’emballage
de viande de la province étaient tellement flagrantes qu’il a été la
cible de critiques provenant de groupes au sein du NPD.
Alors qu’il était en fonction, Doer a mis en place
des baisses d’impôts qui étaient largement conçues pour favoriser les
sections les plus riches de la population, a affaibli des règlementations
environnementales et a supervisé une augmentation alarmante de la pauvreté. Lui
et Selinger ont divulgué des plans pour réduire davantage les impôts des
entreprises de la province, les faisant passer de 14 à 12 pour cent d’ici
2012, soit le taux d’imposition le plus bas de tout le pays. La province
a l’un des plus hauts taux de pauvreté chez les enfants et chez les
familles du Canada, parmi les plus bas salaires hebdomadaires et fait face à
une crise alarmante de logements abordables.
Telle est la réputation de Doer comme partisan fiable de la
grande entreprise et de l’Etat canadien qu’il a récemment été
désigné par le gouvernement conservateur du premier ministre Harper pour
occuper le poste très important d’ambassadeur canadien à Washington.
Le chef fédéral du NPD, Jack Layton, a déclaré qu’il
était « réjoui » par la nomination de Doer. « Le premier
ministre Doer, a complimenté Layton, est un homme d’Etat, respecté par
les gens de tout le spectre politique… [qui] va aider le Canada à établir
une relation de travail saine avec l’administration Obama… Les néo-démocrates
se sentent honorés de voir un de ses chefs les plus compétents choisi pour
jouer ce rôle important au nom de tous les Canadiens. »
La politique droitière et la nomination de Doer à son
nouveau poste ont été universellement louangées par les médias de la grande
entreprise. Parmi ceux-ci, on trouve le quotidien néoconservateur National
Post dont les propriétaires, la famille Asper de Winnipeg, ont fréquemment
vu Doer défendre ardemment leurs intérêts. Doer, notait le comité éditorial du National
Post, « a soutenu la guerre en Afghanistan, s’est opposé au
registre des armes à feu [une cause symbolique de la droite canadienne] et
était à la hauteur dans les débats brûlants sur la loi et l’ordre. Les
intérêts du monde des affaires du Manitoba ont été généralement bien défendus
par lui (en particulier sur la question de la politique fiscale)… »
Un peu avant la nomination de Doer, le congrès national du
NPD à Halifax nous a donné une autre preuve de la soumission de ce parti à la
grande entreprise et de son appui indéfectible à l’ordre social existant.
Lors de cet événement, la direction a tout fait pour être identifiée au Parti
démocrate américain et à l’administration Obama. Il importait peu que celle-ci
durant les courts sept mois où elle avait été au pouvoir avait été un défenseur
impitoyable de l’impérialisme américain, pillant le trésor de
l’Etat au profit de la ploutocratie financière, intensifiant et
élargissant la guerre en Afghanistan et au Pakistan, imposant des concessions
draconiennes aux travailleurs de l’auto et continuant avec quelques
changements de détails les pratiques antidémocratiques de l’administration
Bush, y compris la restitution extraordinaire et les tribunaux militaires.
Pour voir la véritable nature de la social-démocratie
aujourd’hui, il n’est pas nécessaire de considérer autre chose que
les manœuvres du NPD l’an dernier dans la tentative avortée de faire
coalition avec les libéraux pour former le gouvernement à Ottawa. Alors que le
capitalisme mondial était frappé de plein fouet par sa plus grande crise depuis
la Grande Dépression, le NPD a accepté, avec le soutien enthousiaste du Congrès
canadien du Travail et le reste de la bureaucratie syndicale, de devenir le
partenaire mineur d’une coalition avec les libéraux qui avait pour
programme la continuation de la guerre en Afghanistan, la « responsabilité
fiscale » et l’implémentation de plus de 50 milliards de dollars en
réduction d’impôts pour la grande entreprise sur une période de cinq ans
qui avait été auparavant promis par les conservateurs. Et lorsque les
conservateurs, avec le soutien des sections les plus puissantes du capital
canadien, ont fait usage d’une manœuvre manifestement antidémocratique,
la prorogation du parlement par la gouverneure générale non élue pour empêcher
la tenue d’un vote de qui aurait fait tomber le gouvernement Harper, les
libéraux et le NPD ont accepté sans rechigner le coup constitutionnel.
Il est important de noter que malgré la capitulation du NPD
aux demandes de Bay Street, le parti continue à recevoir le soutien d’un
large attirail de groupes d’ex-radicaux petit bourgeois, qui en dépit de
tout tentent d’insuffler un peu de vie à cette formation politique
moribonde pour pouvoir canaliser la colère sociale grandissante dans des voies
sans danger pour l’élite dirigeante.
Des organisations comme Socialisme international, la Ligue
pour l’action socialiste et le groupe Fightback insistent que ce parti de
la grande entreprise peut si on fait pression sur lui être miraculeusement
transformé en instrument de lutte pour la classe ouvrière, si ce n’est en
parti socialiste. Par exemple, Socialisme international a accueilli
l’élection de Layton à la tête du NPD et a demandé aux travailleurs et
aux jeunes de voter pour les sociaux-démocrates. D’autres groupes
appellent les travailleurs et les jeunes à joindre le NPD et à lutter pour le transformer !
Pendant une trentaine d’années, du moment de sa
création en 1961 jusqu’au début des années 1990, le NPD était le
« troisième parti » dans le cadre politique officiel canadien, ayant
formé à l’occasion le gouvernement dans trois des quatre provinces de
l’Ouest et devenant de plus en plus une force politique avec un potentiel
d’être élu en Ontario, la province la plus populeuse et la plus
industrialisée du pays.
En tant qu’instrument de la bureaucratie syndicale,
le NPD a joué un rôle vital pour réguler les rapports entre les classes. La
bureaucratie syndicale a utilisé le NPD pour faire pression sur le Parti
libéral afin que ce dernier mette en place des réformes sociales, dans le but
de mieux bloquer le développement d’un mouvement politique de la classe
ouvrière indépendant et anti-capitaliste. Au moyen du parlementarisme et de la
négociation syndicale, le système du profit pouvait devenir plus humain
disaient les sociaux-démocrates, tous pouvant jouir d’un niveau de vie
décent et d’un semblant d’égalité sociale.
Au début des années 1990, alors que le Canada connaissant
son plus important ralentissement économique depuis les années 1930, les
travailleurs ont élu le NPD en Ontario, en Colombie-Britannique et en
Saskatchewan, trois provinces dont la population combinée fait plus de la
moitié de la population canadienne. Leurs espoirs que le NPD les protégerait de
l’impact du ralentissement ont rapidement été déçus. Les gouvernements du
NPD ont imposé des coupes massives dans les dépenses publiques et sociales
ainsi qu’une limitation des salaires et ont repris à leur compte la
rhétorique de la droite sur toutes les questions, de l’aide sociale aux
lois anti-ouvrières.
En Ontario, le gouvernement néo-démocrate dirigé par Bob
Rae (aujourd’hui une figure de proue du Parti libéral du Canada) a
attaqué les travailleurs du secteur public et coupé brutalement dans les
dépenses sociales. En 1995, discrédité par son assaut contre la classe
ouvrière, le NPD de Rae laissait sa place au régime conservateur de Mike
Harris, dont il avait ouvert la voie. Deux ans plus tard, lorsque le soulèvement
de la classe ouvrière contre le gouvernement Harris a culminé avec une grève
des enseignants implicitement politique, les syndicats et le NPD ont isolé et
torpillé cette dernière.
La mondialisation de la production et la domination de
l’aristocratie financière internationale qui lui est associée ont
complètement miné le programme du réformisme social, c’est-à-dire de la
tentative de réformer le capitalisme au moyen de la négociation collective et
de la réforme parlementaire. Alors que les syndicats et le NPD ont toujours été
fondamentalement au service du capital, depuis un quart de siècle ils ont
abandonné même leur programme de timides réformes et sont devenus des
instruments que la grande entreprise utilise pour couper dans les salaires et
les dépenses sociales. Plus que jamais, la défense des salaires, des emplois et
des gains sociaux du passé demande une perspective socialiste et une lutte
politique contre le système du profit capitaliste.
(Article original anglais paru le 12 décembre 2009)