L'annonce du gouvernement français, le 22 novembre dernier, d'une
réglementation draconienne contre les sans-papiers jette les bases d'une
intensification des attaques contre des centaines de milliers de
travailleurs, ainsi que les patrons qui les emploient. Entre 200 000 et 400
000 sans-papiers vivent en France, et occupent généralement des emplois dans
les secteurs les moins bien payés du bâtiment, de la restauration et des
services.
Le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, Eric Besson, et
le ministre du Travail Xavier Darcos ont annoncé la nouvelle réglementation
dans des déclarations séparées.
Darcos a annoncé que les préfets recevraient le pouvoir de fermer les
entreprises employant des sans-papiers. Il a ajouté que le gouvernement va
« renforcer les contrôles et recourir à des sanctions qui touchent au
porte-monnaie et à l'image de l'entreprise afin d'avoir un effet
dissuasif. »
Besson a dit sur la 5e chaîne que ce sera «arsenal complet de lutte
contre les abus, » comprenant la «fermeture administrative des
établissements employant des étrangers en situation irrégulière » ou
« l'inéligibilité à tout appel d'offres public ou privé de toute entreprise
qui aurait employé des sans-papiers. » Une majoration des amendes et le
« remboursement des aides publiques » seront imposées aux entreprises
fautives.
Avec un cynisme époustouflant, Besson a tenté de présenter cette
réglementation comme étant motivée par de la sollicitude à l'égard
sans-papiers: « Si des étrangers en situation irrégulière sont exploités sur
notre sol par des réseaux mafieux, c'est aussi parce qu'ils trouvent sur
notre sol des employeurs et des exploiteurs qui abusent de leur situation »
Il a dit qu'il informerait les préfets des trois conditions requises pour
qu'un sans-papiers obtienne un titre de séjour: être en France depuis plus
de cinq ans, avoir présenté aux autorités une demande de titre de séjour au
moins un an auparavant et travailler dans un secteur qui connait des
difficultés de recrutement. Il a fixé à seulement 1 000 travailleurs le
quota de ceux qui pourraient remplir ces conditions extrêmement
restrictives.
Cette mesure réactionnaire est la dernière d'une série d'attaques de la
classe dirigeante contre les immigrés et les minorités ethniques et
religieuses. En France, parmi ces attaques on compte le « débat » sur
l'identité nationale organisé par l'Etat et la commission parlementaire sur
l'interdiction de la burqa. Des événements similaires sont en train de se
produire dans toute l'Europe, et le récent référendum suisse interdisant la
construction de minarets en est un bon exemple.
Ces mesures sont provoquées par deux impératifs de l'impérialisme
européen: le premier est de créer le climat idéologique adéquat pour
accroître son intervention militaire néo-coloniale impopulaire en
Afghanistan, aux côtés des Etats-Unis; et le second d'attiser une atmosphère
raciste et de diviser la classe ouvrière au moment où la colère massivement
ressentie s'intensifie face à l'augmentation du chômage et à la politique
d'austérité sociale et de guerre du gouvernement.
Le 30 novembre, Le Monde avait interviewé Claude Dilain, maire PS
(Parti socialiste) de Clichy-sous-Bois où à l'automne 2005 la mort de deux
jeunes immigrés cherchant à échapper à la police avait déclenché des émeutes
dans les banlieues partout en France et l'état d'urgence pendant trois mois.
4,5 millions de personnes vivent dans ces quartiers appelés « zones urbaines
sensibles; » 33,1 pour cent d'entre eux vivent en dessous du seuil de
pauvreté qui est fixé à 908 euros par mois et le taux de chômage s'élève à
17 pour cent, et 41 pour cent pour les jeunes hommes entre 15 et 24 ans.
Dilain a expliqué: « La colère ne touche plus uniquement les jeunes, ceux
qui étaient en première ligne pendant les émeutes de 2005, mais elle s'étend
désormais aux adultes, en particulier aux trentenaires qui ont fait des
études, se sont mariés, ont des enfants, mais sont retombés au chômage avec
la crise. En 2005, il y avait un débat un peu théorique pour savoir si on se
trouvait face à une émeute ou une révolte sociale. Aujourd'hui, dans
certains cas, je sens qu'on est passés au stade de la révolte sociale et
c'est dangereux. »
La montée des tensions sociales s'ajoute àla dynamique politique
néfaste sous-tendant l'élection du président Nicolas Sarkozy en 2007, sur le
ticket du tout sécuritaire faisant appel au sentiment anti-immigrés et
anti-musulman. Sarkozy avait récupéré une large section des voix
néofascistes et fut le premier président à accueillir à l'Elysée le leader
du Front national (FN) néofasciste, Jean-Marie Le Pen.
Des sondages montrent à présent qu'aux élections régionales de Mars 2010
le FN pourrait bien remporter suffisamment de voix pour affaiblir l'UMP
(Union pour un Mouvement Populaire) de Sarkozy. La réponse des ministres de
Sarkozy consiste à mettre en place des mesures attirant les voix
néofascistes.
L'Etat est en mesure d'attiser ouvertement les pires opinions
politiques car ceux qui gouvernent savent pertinemment qu'aucune opposition
politique significative ne viendra des syndicats ni des partis soi-disant de
« gauche » qui sont complètement en faillite.
Manifestation de sans-papiers à Paris le 29 novembre
L'attitude de la CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti
communiste français) à l'égard des sans-papiers en est un exemple. En 2007,
après que Sarkozy avait fait passer une loi interdisant l'embauche de
sans-papiers, la CGT avait travaillé avec des patrons dépendant de l'emploi
des sans-papiers notamment dans le secteur du nettoyage, de la restauration
et du bâtiment, et appelant à une modification de la loi.
Mais quand en avril 2008, un groupe de sans-papiers avait occupé les
locaux de la CGT à Paris demandant d'être régularisés, la CGT avait refusé
de s'occuper de leur cas. Christian Khalifa, représentant CGT de la région
parisienne, avait cyniquement dit sur LCI TV: « On est une organisation
syndicale, pas une association de sans-papiers. Notre action se mène à
l'intérieur des entreprises. » L'ensemble de la « gauche », le PCF, la Ligue
communiste révolutionnaire (prédécesseur du Nouveau parti anticapitaliste,
NPA d'Olivier Besancenot), le PS et diverses associations antiracistes et de
soutien aux sans-papiers, avaient exprimé leur soutien à la CGT.
Ce n'était là que le prélude à une collaboration directe avec les forces
de sécurité de l'Etat contre les travailleurs. Le 24 juin dernier, un
commando envoyé par la CGT, en coordination avec les CRS (police
anti-émeute) ont attaqué et expulsé les 600 sans-papiers toujours présents
dans les locaux du syndicats.
La réaction de ces groupes à la nouvelle réglementation est du même ordre
que l'attaque pour déloger les sans-papiers des locaux parisiens de la CGT.
La CGT a envoyé une lettre au premier ministre François Fillon, signé par
cinq fédérations syndicales et six associations humanitaires dont la CIMADE,
l'unique association autorisée à intervenir dans les centres de rétention,
RESF (Réseau éducation sans frontière) et la LDH (Ligue des droits de
l'Homme. Cette lettre déclare que « Nos organisations syndicales et
associations sont impliquées dans la régularisation des travailleurs et
travailleuses sans-papiers. » Il demande qu'une circulaire officielle soit
donnée aux préfets « avec des critères améliorés » et « une procédure de
régularisation standardisée. »
Dans les faits, bien évidemment, cela signifie une procédure standard
visant à refuser un titre de séjour à la vaste majorité des sans-papiers.
Besson lui-même n'a eu aucune difficulté à déclarer qu'il soutenait cet
appel à une harmonisation des procédures.
Le NPA n'a pas fait de déclaration qui lui soit propre mais a affiché une
déclaration d'Alain Pojolat de l'UCIJ (Unis contre l'immigration jetable), «
un collectif unitaire qui regroupe plus de 70 associations, partis et
syndicats. » Avec une légèreté empreinte de cynisme, Pojalat écarte cette
nouvelle réglementation comme étant une menace sans fondement.
Il écrit que Xavier Darcos, ministre du travail « menace » de fermer les
entreprises qui embauchent du personnel sans-papiers et ajoute, « Une telle
décision, si elle était sérieusement envisagée, aurait pour effet de
paralyser une grande partie de l’économie et la fermeture immédiate de
centaines d’entreprises du BTP, du nettoiement ou de la restauration. »
De tels commentaires témoignent simplement de la complaisance sans limite
de ces couches de militants anciennement de gauche. L'objectif de Darcos et
Besson n'est pas de détruire l'économie française mais d'empoisonner
l'atmosphère politique et de donner à l'Etat les armes nécessaires pour agir
de façon agressive contre l'opposition de la classe ouvrière. En cela la
possibilité pour l'Etat de sélectionner publiquement et fermer des
entreprises qui emploient des sans-papiers serait un atout considérable.
Mais plus généralement, il existe une logique objective au fait que l'Etat
assume des pouvoirs extraordinaires et attise les opinions fascisantes. Sous
l'impulsion d'une crise politique et sociale, un gouvernement sous pression
pourrait appliquer ces mesures de manière bien plus extrême que ne l'avaient
envisagée les ministres.