Depuis le 20 janvier, une grève générale contre la cherté de la vie se
poursuit en Guadeloupe, Antilles françaises. Quarante-sept syndicats,
associations et partis politiques regroupés dans le LKP, Collectif contre
l’exploitation outrancière (Liyannaj kont pwofitasyon, en créole),
paralysent l’activité économique du pays.
Une manifestation massive rassemblant 25 000 personnes pour une
population de 410 000 habitants s’est déroulée le 24 janvier à
Pointe-à-Pitre, la capitale de l’île. Tous les magasins, les
supermarchés, les écoles et les services publics étaient fermés.
Bien que la lutte contre l’augmentation du coût de la vie affecte
tous les citoyens français, et la Guadeloupe fait officiellement partie de la
République française, les organisations syndicales traditionnelles en France
métropolitaine ont isolé et ignoré la lutte et la couverture médiatique en a
été maigre et superficielle.
Les revendications formulées par les grévistes qui sont menés par le
syndicat majoritaire, l’UGTG (Union générale des travailleurs de
Guadeloupe) concernent en premier lieu les prix des produits de première
nécessité. Ils réclament une réduction immédiate de 50 centimes du prix de
l’essence, une baisse du prix de l’eau et des transports de
passagers, un gel des loyers, une augmentation de 200 euros des bas salaires,
des contrats à durée indéterminée pour tous les travailleurs et le droit à
l’éducation ainsi qu’une formation de qualité pour les jeunes et
les travailleurs. L’une des revendications porte sur la priorité des
Guadeloupéens à l’embauche à des postes de responsabilité et la fin du
racisme à l’embauche. Figurent également parmi les 146 revendications
avancées par les grévistes, le développement de la production locale afin de
satisfaire les besoins de la population, la suppression des taxes sur les
engrais et les aliments de bétail.
La Guadeloupe, un archipel situé à 600 km de la République dominicaine
et à 7000 km de la France métropolitaine, est une colonie depuis 1812. Malgré
son intégration à l’Etat français en 1946, elle reste, tout comme les
autres possessions françaises, économiquement arriérée.
Les effets de la récession mondiale ont été ressentis plus tôt dans
cette communauté insulaire défavorisée. La Guadeloupe est une région française
dont le conseil régional est dirigé par le Parti socialiste (PS) ; elle est le
97e département français. Selon les chiffres de 2007, le taux de chômage
dépasse largement les 23 pour cent et les prix des produits de première
nécessité sont 30 à 60 pour cent plus chers qu’en France. Seuls le rhum,
la banane et les cigarettes sont relativement moins chers.
La Guadeloupe appartient au groupe des 13 régions les plus pauvres
d’Europe avec un PIB s’élevant à 55,8 pour cent de la moyenne
européenne.
Yves Jégo, le secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer du président
Nicolas Sarkozy, a été envoyé précipitamment en Guadeloupe durant le week-end
du 31 janvier au 1er février pour apaiser les esprits et négocier
une sortie de conflit avant que l’explosion sociale ne gagne la
métropole. Sur l’île voisine de la Martinique, douze syndicats ont lancé
un appel à la grève générale d’un jour pour le 5 février contre la baisse
du pouvoir d’achat qui touche tout spécialement les 70 000 personnes
de l’île vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Jégo a annoncé plusieurs mesures pour essayer de calmer les grévistes et
briser la cohésion de la grève guadeloupéenne. « Nous avons réussi après
trois jours de négociations à obtenir un engagement clair, chiffré, de la
grande distribution dans 60 supermarchés et hypermarchés de Guadeloupe…
Une liste de 100 produits de la vie quotidienne sera publiée. Les prix vont
baisser de 10 pour cent et ils seront maintenus à ce niveau jusqu’à la
fin de cette année. » Un gel du prix des loyers a été annoncé et le revenu
de solidarité active (RSA) s’appliquera à ceux qui travaillent à temps
partiel, les travailleurs pauvres, dès cette année au lieu de 2010.
Les négociations continuent et la réponse du comité de grève du LKP est
de poursuivre la grève. Toutefois, Jégo a réussi à rouvrir les 115
stations-services après avoir promis à leurs gérants l’arrêt de toute
nouvelle implantation qui entraverait leurs bénéfices. Les barrages routiers et
les manifestations avaient fermé les stations en décembre dernier et permis d’obtenir
une baisse de 31 centimes sur le litre d’essence.
Alors que la grève est solide et tranquille (40 000 personnes ont
fait le carnaval le 25 janvier pour manifester leur soutien à la grève), le
gouvernement français a envoyé des unités anti-émeute de CRS supplémentaires
afin d’intervenir comme bon leur semble. La mémoire est encore toute
fraîche des cent personnes qui avaient été tuées par balles par des CRS au
cours d’une manifestation en 1967.
Yves Jégo est arrivé dans l’île en déclarant, « La Guadeloupe
vit, depuis maintenant deux semaines, une situation exceptionnelle et les voies
normales de sortie d’un conflit, le dialogue social et la construction,
n’ont pas permis de trouver une issue. » Il a poursuivi en disant,
« J’ai bien conscience que, après quinze jours de blocage, il faut
que nous apportions des réponses au Collectif [LKP] qui lui permettent
d’obtenir satisfaction. » Le dirigeant de l’UGTC, Elie Domata,
a été cité par RFO Télé-Guadeloupe pour avoir salué la décision de Jégo qui « nous
a donné l’impression d’avoir entendu et compris que la Guadeloupe
est au bord de l’explosion et du chaos social ». Le président
socialiste (PS) du conseil régional, Victorin Lurel, espérait que Jégo arrive
« armé de solutions ».
Dans cette situation tendue, Domata a adressé une lettre ouverte aux
syndicats et aux partis politiques de « gauche » appelant à la
solidarité internationale. Cet appel est tombé dans l’oreille d’un
sourd. Tout en publiant de vagues messages de « solidarité » sous
forme de communiqués de presse, aucun des dirigeants de ces partis ou de ces
syndicats n’a appelé à faire grève, ou à des actions de solidarité ou
encore à des protestations d’aucune sorte.
Le Parti communiste français (PCF) réclame « une négociation
globale et transparente » en affirmant qu’« il est urgent que
le gouvernement s’engage en ce sens ». Le principal syndicat, la
CGT, qui est proche du PCF, a noté qu’elle « examine les modalités
d’un appui du mouvement syndical métropolitain pour exiger des pouvoirs
publics que des réponses urgentes soient apportées aux revendications des
travailleurs et population guadeloupéenne ».
Alain Krivine de la LCR/NPA (Ligue communiste révolutionnaire/Nouveau
Parti anticapitaliste) a écrit dans Rouge : « Cette grève générale
unitaire est un exemple pour tous ceux et toutes celles qui se battent ici pour
un "tous ensemble" prolongé, contre la dispersion des résistances et
leur isolement… et la meilleure façon de l’aider, lui qui nous aide
tant, est de multiplier nos efforts pour assurer le succès de la grève et des
manifestations du 29 janvier [en France]. » De telles remarques futiles
servent de couverture au silence des dirigeants syndicaux ; aucune
revendication n’a été avancée pour une action urgente et venir en aide
aux grévistes guadeloupéens. Au nom de l’unité, Krivine n’a aucun
commentaire public à faire qui risquerait d’embarrasser les relations que
son parti entretient avec la bureaucratie syndicale.
Dans le même numéro de Rouge l’on peut lire une interview avec
Patrice Gonot, le secrétaire du Cercasol, le nouveau parti frère en Guadeloupe
du NPA, nouvellement fondé par la LCR. Il est lui aussi un membre actif dans le
syndicat CTU (Centrale des travailleurs unis). Après avoir cité les
revendications des grévistes, Gonot déclare : « Il y a eu des meetings
unitaires dans toutes les villes. Tous nos ressentiments sont mis de côté, car
c’est le devenir de la Guadeloupe qui est en jeu. » Ainsi la classe
ouvrière et son indépendance politique passent après l’avenir de la
« Guadeloupe » dans laquelle on compte la classe des propriétaires.
Gonot précise que pour le Cercasol les revendications sont
négociables : « On a bien conscience que la plateforme est énorme. Il
y a du court, du moyen et du long terme. » Gonot ne mentionne pas le
besoin d’une action de solidarité en France et le rôle traître joué par
les syndicats, mais conclut allégrement, « Tout le monde, y compris les
patrons, admet qu’il y a un problème en Guadeloupe. Mais les questions
posées débordent le cadre guadeloupéen. On se rend bien compte que les
pouvoirs, en Guadeloupe, sont incapables de répondre aux questions que pose le
peuple guadeloupéen. »
Le bureau national du Parti socialiste a publié un communiqué de presse
qui déforme complètement les objectifs de la grève. Il n’exprime aucun
soutien à la grève mais affirme avec arrogance que les revendications sont
siennes. Il affirme que ses documents proposant de relancer l’économie
française en octroyant des aides aux entreprises et aux banques et en proposant
des augmentations insignifiantes de salaire, ont été adoptés par les grévistes.
Le PS qui dirige le conseil régional de Guadeloupe a une part de responsabilité
dans la détérioration des niveaux de vie des travailleurs en imposant à tout
moment à la population française la politique du gouvernement Sarkozy. Le PS
gère 22 des 24 conseils régionaux français.
L’establishment de « gauche », que ce soit en Guadeloupe
ou en France métropolitaine, dupe les travailleurs en laissant au gouvernement
droitier de Sarkozy l’initiative d’imposer les conséquences de la
crise économique à la classe ouvrière.
Afin de satisfaire l’ensemble des revendications légitimes des
travailleurs guadeloupéens, il est nécessaire de créer l’unité de la
classe ouvrière sur la base d’un internationalisme socialiste. Les actuels
régimes bourgeois devraient être remplacés par des gouvernements ouvriers qui
réorganiseraient l’économie sous le contrôle démocratique de la classe
ouvrière dans le but de satisfaire les besoins sociaux de la grande majorité de
la population.