Une baisse spectaculaire de l’économie
japonaise fin 2008 est un signe inquiétant supplémentaire que la crise
économique mondiale est en train de poursuivre son effet boule de neige, et il
n’y a pas de fin en vue. Les données économiques publiées lundi révèlent que la
deuxième économie mondiale s’était contractée d’un taux annuel de 12,7 pour
cent au cours du dernier trimestre de 2008, soit la troisième baisse
trimestrielle consécutive et le déclin le plus abrupt depuis 1974. La Deutsche
Bank de Tokyo a carrément prédit une « grave dépression » au Japon,
qui durerait jusque fin 2010.
Il a y à peine quelques mois, le Japon
figurait parmi les pays industrialisés les mieux placés pour affronter le
bouleversement financier international qui a surgi en septembre dernier aux
Etats-Unis. Durement touché par un effondrement de la demande extérieure
mondiale, le Japon est à présent le plus durement touché. En décembre dernier,
sa contraction au quatrième trimestre a éclipsé les fortes chutes de 3,8 pour
cent survenues aux Etats-Unis et de 1,2 pour cent dans la zone euro.
Les prévisions pour 2009 sont uniformément
sombres en dépit d’une série de plans de relance budgétaire gouvernementaux. Le
ministre de l’Economie, Kaoru Yosano, a mis en garde le Japon disant qu’il
était confronté « sans aucun doute à la pire crise depuis la Deuxième
Guerre mondiale ». Le Fonds monétaire international (FMI) a prédit le mois
dernier que l’économie du Japon se contracterait de 2,6 pour cent en 2009
contre des contractions de 1,6 pour cent pour les Etats-Unis et de 2 pour cent
pour l’Europe. En novembre dernier, le FMI avait prédit que le Japon ferait
mieux que ses rivaux.
Azusa Kato, économiste de BNP Parisbas, a
déclaré à Reuters qu’elle s’attendait à ce que l’économie japonaise se
contracte de 11,3 pour cent au premier trimestre de 2009 si, comme prévu, la
production industrielle plongeait de 20 pour cent. Kato a dit que le Japon
avait été « le plus durement touché par la récession mondiale dans le
domaine des marchandises qui coûtent cher et des dépenses d’investissement et
que la récession s’éternisera. » Elle a prédit que l’économie ne
retrouverait pas une croissance stable avant avril-juin 2010 et, même à ce
moment-là, un niveau à peine supérieur à zéro.
L’annonce faite lundi a fait frémir les
marchés financiers du monde. A Tokyo, le Nikkei est tombé mardi de 1,5 pour
cent à son niveau le plus bas en l’espace de presque trois mois. Dans les pays
asiatiques les marchés tributaires d’exportations ont tous dégringolé à
l’exception de la Chine. En Australie, le S&P/ASX200 a baissé de 1,2 pour
cent, le Japon étant le plus gros marché d’exportation de l’Australie. Les
marchés européens ont plongé lundi entre 1 et 2 pour cent suite à l’annonce en
provenance du Japon et ce de nouveau mardi. Aux Etats-Unis, l’indice Dow Jones
Industrial Average (DJIA) affichait mardi, après le jour férié de lundi, une
chute de 3,8 pour cent.
Les évaluations optimistes de la perspective
économique japonaise de l’année dernière étaient fondées sur des calculs selon
lesquels son système bancaire et financier n’était pas lourdement exposé à la
montagne de dettes toxiques existant aux Etats-Unis et qui a fait des ravages
sur les marchés mondiaux. Mais, comme le tsunami financier a balayé le monde
entier, le retrait soudain de fonds étrangers devenus indispensables pour
étayer des institutions ailleurs a miné le marché financier déjà affaibli de
Tokyo et a, à son tour, affecté les banques qui au Japon peuvent inclure aussi
des actions dans leur capital.
A partir du moment où le bouleversement
financier a commencé à se faire sentir au plan mondial sur ce qu’on appelle
l’économie réelle, les principaux exportateurs japonais ont souffert d’un
rapide déclin. D’importantes baisses dans les dépenses de consommation aux
Etats-Unis et en Europe notamment, ont immédiatement affecté les exportations
japonaises de voitures et de produits de haute technologie. La tendance a encore
été accentuée par une forte hausse de la valeur du yen et l’effondrement des
« carry trades » spéculatifs qui consistent à emprunter avec un taux
d’intérêt bas au Japon pour investir dans des marchés émergeants plus risqués.
L’implosion des bulles financières et
immobilières japonaises à la fin des années 1980 produisirent une décennie de
stagnation dans les années 1990, la soi-disant décennie perdue. La reprise
économique du pays entre 2002 et 2008 fut en grande partie motivée par les
exportations, notamment vers la Chine voisine. Les exportations participant du
PIB ont augmenté de plus de moitié, passant de 10,6 à 16,6 pour cent.
Le magazine Economist a expliqué :
« Cette force est à présent une faiblesse parce que les consommateurs de
par le monde ont réduit leurs dépenses et le flux du commerce mondial a
rétréci ; en décembre, par exemple, la valeur des exportations japonaises
est tombée de 35 pour cent par rapport à l’année précédente et après avoir
baissé de 27 pour cent en novembre… Une chute quasi verticale de la production
industrielle japonaise en quelques petits mois a rapidement éliminé l’ensemble
des gains réalisés en six ans de reprise. Les économistes estiment que d’ici la
fin de février la production industrielle sera revenue aux niveaux enregistrés
aux environs de l’année 1987. »
Les conséquences sont dévastatrices pour les
principaux groupes japonais. Parmi les nombreuses entreprises qui abaissent
leurs prévisions financières on trouve Toyota, le plus grand constructeur
automobile du monde, qui prévoit à présent ses premières pertes jamais vues en
70 ans. Les dix plus grandes firmes électroniques s’attendent à perdre
collectivement 20 milliards de dollars au cours de l’année prochaine. L’étude
Reuters Tankan réalisée pour connaître le climat des affaires a rétrogradé ce
mois-ci de 74 chez les fabricants, soit le chiffre le plus bas depuis le début
de la publication de l’indice en juin 1988.
Les entreprises suppriment des emplois,
liquident des stocks et réduisent les coûts. « Les fabricants se
retrouvent avec d’énormes excès structurels de capacité de production qui
devront être résolus. Cela prendra des années, » a dit Hiroshi Shiraishi,
économiste chez BNP Paribas, à Bloomberg. Pioneer a annoncé la semaine passée
qu’ils vont supprimer 10 000 emplois dans le monde. Sony licencie 8000 travailleurs. Nissan et NEC en suppriment chacun
20 000.
Le taux de chômage a bondi de 3,9 pour cent en
novembre à 4,4 pour cent en décembre et il pourrait grimper rapidement dans les
mois à venir en dépassant le niveau d’après-guerre le plus élevé de 5,5 pour
cent en 2002. Ceux qui sont actuellement en train de perdre leurs emplois sont
surtout des travailleurs intérimaires qui forment à présent plus d’un tiers des
travailleurs après une décennie durant laquelle le système de l’emploi à vie au
Japon a été démantelé. Les salariés permanents sont confrontés à des réductions
de salaire et de primes. Le problème des sans-abris et le niveau de pauvreté
augmentent constamment.
Le Parti libéral démocrate (LDP) actuellement
au pouvoir, est confronté à une profonde crise politique qui pourrait bien
aboutir à une défaite lors des élections de fin d’année, pour seulement la
seconde fois en l’espace de cinquante ans. Cette semaine, le soutien en faveur
du premier ministre, Taro Aso, s’est effondré pour tomber à un nouveau taux bas
de 9,7 pour cent. Des divisions sont apparues au sein du LDP au sujet du récent
plan de relance économique du gouvernement. Une indication supplémentaire de la
désintégration du gouvernement a été la démission hier du ministre des
Finances, Shoichi Nakagawa, après avoir été soupçonné d’ébriété lors d’une
conférence de presse du G7 le week-end dernier.
L’impact du rapide déclin économique japonais
sera ressenti internationalement. Il est significatif de noter que la
contraction de 8,4 pour cent annualisé qu’a connue au quatrième trimestre
l’Allemagne, qui est le plus grand exportateur mondial, suivait de près celle
du Japon. Les deux pays sont non seulement exportateurs de véhicules et de
biens de haute technologie mais aussi de machines et d’autres biens
d’investissement. La chute nette de ces exportations est symptomatique de la
baisse des investissements des entreprises de par le monde étant donné que les
firmes réduisent leurs projets d’expansion future.
Un indice net du déclin dans ce secteur est la
baisse des exportations du Japon vers la Chine et le reste de l’Asie. Après une
expansion de 12 pour cent dans la première moitié de 2008, les exportations en
direction de la Chine ont commencé à chuter en octobre pour s’écrouler de 36
pour cent en décembre. Les exportations japonaises de matériel de haute
technologie et de machines de production vers la Chine ont été un élément
majeur et qui a contribué dans les années 1990 à tirer le Japon du marasme. Ces
produits ont surtout été employés par les entreprises japonaises à des fins de
réexportation vers le Japon ou vers les marchés américains ou européens.
Le Wall Street Journal a cité le cas de
l’Union Tool, une entreprise qui fabrique des vis à billes utilisées pour faire
des trous dans les cartes à circuit imprimé. « Nos ventes à la Chine ont
commencé à s’affaiblir aux environs de juillet, se sont effondrées en octobre
et continuent de baisser, » a expliqué un porte-parole. La moitié des
recettes de l’entreprise vient des ventes en Asie et elles ont enregistré une
baisse de 19 pour cent de bénéfice net, l’année finissant le 30 novembre.
La baisse des ventes de biens d’investissement
à la Chine font partie d’une tendance plus générale. Beijing a annoncé lundi
qu’en janvier l’investissement direct à l’étranger avait plongé de 33 pour cent
par rapport au même mois de l’année dernière, soit le quatrième recul mensuel
consécutif. Tout comme la demande mondiale a baissé, les investissements
étrangers réalisés sur le plus grand marché de main-d’œuvre bon marché ont eux
aussi baissé. Le taux de croissance de la Chine est tombé de 13 pour cent en
2007 à 6,8 pour cent au dernier trimestre de l’année dernière et les prévisions
indiquent des replis supplémentaires en 2009.
La secrétaire d’Etat américaine, Hilary
Clinton est arrivée à Tokyo cette semaine au moment où les statistiques
économiques désastreuses du Japon étaient annoncées. Par coïncidence elle
effectue sa première visite en Asie pour souligner l’importance que le
gouvernement Obama porte à la région, notamment dans le domaine économique. Les
Etats-Unis sont fortement tributaires des fonds à la fois du Japon et de la
Chine pour couvrir leurs déficits de la balance courante et du budget fédéral.
La Chine et le Japon sont les plus gros détenteurs mondiaux de bons du Trésor
américains. L’effondrement des exportations japonaises et chinoises pourrait
bien avoir des répercussions sur l’économie américaine dans la forme d’un
ralentissement ou même d’un retrait des fonds d’investissement, aggravant
davantage encore la tourmente économique aux Etats-Unis.
Dans la situation d’une vaste expansion de la
production mondialisée durant ces trois dernières décennies, la contraction
économique enregistrée au Japon n’est pas simplement le signe de profondes
difficultés rencontrées par ce seul pays mais est un signe supplémentaire de la
crise se répercutant de par les chaînes de production et les chaînes
financières reliées internationalement.