Les cercles dirigeants français ont réagi avec une grande nervosité devant l’ampleur
de la mobilisation de jeudi. Au moins 2,5 millions de travailleurs et de jeunes
sont descendus dans les rues pour protester contre l’augmentation des
chiffres du chômage et la politique d’austérité qui affecte les emplois,
les conditions de travail et le financement des services publics.
Près de 2 millions de travailleurs du service public ont fait grève, ainsi
que de nombreux cheminots et agents d’Electricité de France et de la
Poste. La participation d’un nombre significatif de travailleurs du
secteur privé pourrait ramener le total des grévistes à plus de 3 millions. Le
quotidien conservateur Le Figaro a écrit que ces chiffres « donnent
le tournis ».
Des lycéens à Amiens
Occupations et blocus se poursuivent dans les lycées et les universités. Des
travailleurs ont dit au World Socialist Web Site lors de la
manifestation qu’il y avait des projets dans leur secteur de continuer le
mouvement de grève malgré la limite d’une journée imposée par les huit
syndicats qui ont organisé les manifestations de jeudi 29 janvier. Le centre de
tri de Nanterre est occupé.
Malgré des déclarations publiques selon lesquelles il poursuivra sa
politique économique et sociale régressive, en privé on dit que le président
Nicolas Sarkozy craint d’exacerber la situation et de provoquer la
continuation et la propagation du mouvement de grève. Selon
l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné, il a dit à des
conseillers, « Le terrain sur lequel nous avançons n’est plus aussi
ferme. Le moment du passage en force [des réformes] est révolu. Ce n’est
pas le moment d’agiter un drapeau rouge devant les syndicats. » [Retraduit
de l’anglais.]
Le Monde du 30 janvier laisse clairement entendre que le président
compte sur les syndicats pour l’aider à maîtriser la situation. Sarkozy a
fait part d’un communiqué jeudi soir disant qu’il rencontrerait en
février les « partenaires sociaux » (patrons et syndicats) « afin
de convenir du programme de réforme à conduire en 2009 et des méthodes pour les
mener à bien ».
Une particularité de cette manifestation a été la présence ostentatoire des
dirigeants du Parti socialiste (PS), et parmi eux la première secrétaire du
parti Martine Aubry, venus « soutenir » les manifestations. C’était
la première fois qu’ils étaient de façon aussi visible dans la rue depuis
l’impopularité du PS causée par la politique pro-capitaliste du
gouvernement de gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002), dans lequel
Aubry avait un poste important. Le PS se positionne clairement pour être
disponible pour former un gouvernement de crise afin deparer à un
mouvement de masse de la classe ouvrière et des jeunes qui pourrait menacer le
régime bourgeois.
Des correspondants du World Socialist Web Site ont fait des
reportages de différentes villes de France:
Paris
Pierre Mabut à Paris a rapporté que les manifestants venaient principalement
du secteur public (agents de la Poste, hospitaliers, enseignants, collectivités
territoriales) et représentaient une mobilisation de la base. Le Parti
socialiste était très en vue, de même que le Parti de Gauche du sénateur
Jean-Luc Mélenchon, formé en décembre d’une scission d’avec le PS.
Des enseignants d’un Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM)
tenaient une banderole sur laquelle on pouvait lire, « Sauvons la
formation des enseignants – Non à la casse de l’éducation publique. »
Des hospitaliers parisiens, syndiqués à Force ouvrière (FO,) avaient une
banderole disant, « Grève générale intersyndicale – Pas de regroupements
des hôpitaux – Retrait des lois Bachelot » [du nom de la ministre de
la Santé, Roselyne Bachelot.]
Le WSWS a interviewé plusieurs manifestants:
Iris, lycéenne en Terminale faisait partie d’une délégation de 50
lycéens du Lycée Louise Michel de Champigny-sur-Marne. Elle a dit, « Je
suis ici pour protester contre la répression des jeunes ; et aussi contre
la politique du gouvernement consistant à s’attaquer aux sans-papiers, contre
la destruction des acquis sociaux et le manque de moyens pour l’éducation.
« Les 360 milliards d’euros de Sarkozy pour renflouer les
banques montrent bien sa politique de sacrifice du secteur public aux dépens du
secteur privé. Il n’existe pas d’opposition réelle à Sarkozy. Les
syndicats sont à la botte du gouvernement. Tout ce qu’ils cherchent,
c’est le compromis. Mais on a besoin d’une vraie réforme du
système. La manière de s’opposer au gouvernement, c’est de faire
place aux jeunes et d’empêcher les partis et les syndicats d’être à
la botte du pouvoir. »
Jack, étudiant de Paris IV a dit, « Je pense que les 360 milliards
d’euros pour renflouer les banques, c’est vraiment stupide,
c’est un compromis pourri. Le gouvernement n’a pas de solution à
long terme pour résoudre la crise économique. Des actions d’une journée,
ça ne suffit pas. On a besoin de plus d’unité entre les services publics
et les usagers. Des actions séparées organisées par les syndicats c’est
vraiment démagogique, la même démagogie que le gouvernement. Les gens ne sont
pas d’accord sur ce qu’il faut faire, mais ils sont contre le
système et ils ne soutiennent aucun parti politique. »
Yann, un jeune agent de la Poste travaillant à Nanterre, près de Paris a
dit, « Je suis ici aujourd’hui parce que cela fait 30 ans que les
gouvernements détruisent les services publics.
« Là où je travaille, la productivité a augmenté de 30 pour cent. On a
supprimé 40 000 emplois sur 300 000 à la Poste en quatre ans. Le
renflouement des banques par Sarkozy, plus les 26 milliards d’euros de
relance économique vont alimenter les profits des grandes entreprises. Cela
fait partie de l’offensive du capital contre les travailleurs. Ils
utilisent les réformes de Sarkozy pour faire avancer leur propre politique. Les
syndicats sont intégrés au système depuis la Deuxième Guerre mondiale. Ils sont
directement subventionnés par l’Etat. Il faut une grève générale, mais
les travailleurs doivent s’impliquer parce que les syndicats ne
l’organiseront pas. Ça doit venir de la base. Il n’y a pas de
solution nationale à cette crise. »
Frédéric, un travailleur de la Poste à Paris a dit, « Il faut une grève
générale de plusieurs jours. La manière de combattre Sarkozy, c’est de
reconstruire tous les partis de la gauche. Je vote toujours blanc parce qu’on
n’est pas représenté politiquement.
« Beaucoup de travailleurs sont obligés de venir à Paris pour trouver
du travail, comme il n’y a rien dans les villes alentour. Beaucoup
viennent de loin pour travailler à la Poste. Maintenant ils sont en train de
restructurer la Poste en préparation de sa privatisation. »
Nancy
A Nancy, Olivier Laurent a fait état d’une grande manifestation, 20 000
selon la police. Une pancarte faite à la main disait, « La chienlit, c’est
Sarkozy », « UMP=Union pour la Misère du Peuple »
Des travailleurs des différents services publics qui font l’objet
d’une réforme, tels l’Education et la Justice, distribuaient des
tracts défendant leurs conditions de travail.
La manifestation de Marseille
Marseille
Anthony Torres à Marseille a rapporté que la police a fait état de
20 000 manifestants tandis que les syndicats parlaient de 300 000.
Valentin, professeur stagiaire à Marseille a dit, « La principale
revendication concerne les conditions e travail dans la fonction publique et le
pouvoir d’achat. C’est honteux de donner les aides aux banques et
aux patrons.
Des manifestants à Marseille
« Les syndicats participent au maintien de la situation actuelle, ils
défendent leurs intérêts. Les grèves dispersées d’une journée, comme ce
fut le cas pendant la réforme sur les retraites ne sont pas efficaces. »
Amiens
Antoine Lerougetel a rapporté que 10 000 personnes avaient défilé à
Amiens, principalement des travailleurs du secteur public. Il y avait
d’importants contingents, d’enseignants du primaire et du
secondaire, des hôpitaux et des travailleurs sociaux, s’opposant à la
disposition CC 66 qui réduit de façon draconienne le plafond de l’échelle
des salaires et les conditions de travail. Il y avait une important délégation
d’étudiants de l’université d’Amiens dont beaucoup occupent
les bâtiments de la faculté, ainsi que des lycéens qui sont en lutte depuis
plusieurs semaines contre les suppressions de postes d’enseignants et de
moyens pour l’éducation.
Un groupe d’étudiants de la faculté des sciences a parlé de révolte
contre une réforme qui crée un système à deux vitesses d’universités pour
les élites et d’universités pour les pauvres.
Baptiste a dit qu’il était issu d’une famille de mineurs et
qu’il ne voulait pas voir détruits les acquis arrachés pendant des générations.
« Les syndicats sont dans la poche des patrons. De ce fait, les syndicats
limitent leurs actions », a-t-il dit.
Il pense qu’un changement fondamental est nécessaire, et il est contre
les « méga-corporations ».
Yann, 28 ans, travaille depuis quatre ans pour une ONG médico-sociale. Il a
dit que la réforme CC 66 signifie la perte de 140 000 euros sur toute une
vie de travail. Son travail auprès des personnes les plus fragiles de la
société devient de plus en plus difficile avec la perte de droits et
d’emplois. Il a dit qu’il avait bien peur que les conséquences de
la crise économique ne soient similaires à celles de 1929. Il a dit, « Là
on est dans l’action, il est encore temps de renverser la tendance. »
(Article original anglais paru le 31 janvier 2009)