Une multitude de personnalités politiques de haut rang participent à la
45e conférence sur la sécurité qui se tient ce week-end à Munich. Le président
américain Barack Obama y a envoyé son adjoint, le vice-président Joseph Biden,
ainsi que d’autres membres de la délégation américaine dont le conseiller
à la Sécurité nationale, James Jones, le chef du commandement central des
forces américaines, David Petraeus et le nouveau représentant spécial américain
pour l’Afghanistan et le Pakistan, Richard Holbrooke.
L’Allemagne aussi y a envoyé ses représentants politiques les plus
en vue, y compris la chancelière Angela Merkel (Union chrétienne-démocrate,
CDU), le vice-chancelier Frank-Walter Steinmeier (Parti social-démocrate
d’Allemagne, SPD), le ministre de l’Intérieur, Wolfgang Schäuble
(CDU) et le ministre de la Défense, Franz Josef Jung (CDU). Seront également
présents, le président français, Nicolas Sarkozy, le premier ministre polonais,
Donald Tusk, le premier ministre russe, Sergeï Ivanov et Hamif Karzaï, le
président de l’Afghanistan. Parmi les 300 participants à la conférence se
trouvent treize chefs d’Etat et de gouvernement et plus de 50 ministres.
La conférence de Munich marque la première apparition du nouveau
gouvernement américain sur la scène européenne. Et il s’agit aussi
d’une première épreuve de force entre les principales puissances
américaines depuis le changement des conditions survenu suite à la crise
financière et économique internationale et des problèmes grandissants que
rencontre le gouvernement américain en Irak et en Afghanistan.
Lors de la conférence qui s’était tenue à Munich il y a un an, le
ministre de la Défense, Robert Gates, avait vigoureusement critiqué les
partenaires de l’OTAN de Washington. Eu égard à la guerre en Afghanistan
il avait réclamé à l’époque un « partage équitable du fardeau »
au sein de l’alliance transatlantique et exigé davantage de sacrifices de
la part des puissances européennes en ce qui concerne la question de
« combattre et de mourir ». Sinon la sécurité collective serait
rendue impossible et « l’alliance finirait par être détruite »,
dit-il.
A l’époque, aucune des puissances européennes n’avait osé
s’opposer à la politique de guerre agressive américaine. Au lieu de cela,
Paris et Berlin espéraient la fin rapide de l’ère Bush et un changement
de la politique étrangère américaine. Ce fut le sénateur américain Joseph
Lieberman qui avait prévenu les Européens de ne pas viser trop haut. Lieberman
avait souligné qu’eu égard à la guerre en Afghanistan, Gates ne représentait
pas seulement le gouvernement Bush mais en réalité une « position
américaine non partisane ». L’Europe devrait comprendre que les
candidats présidentiels démocrates, Hillary Clinton et Barack Obama,
partageaient aussi cette position quant à l’Afghanistan, précisa-t-il.
Lieberman a raison à ce sujet. Le président Obama et sa secrétaire
d’Etat, Hillary Clinton, ne se contentent pas de poursuivre pas la guerre
en Afghanistan, ils l’intensifient considérablement. Le président qui
avait promis le changement pendant sa campagne électorale, n’a pas
seulement maintenu Robert Gates à son poste de ministre de la Défense, mais sa
première mesure gouvernementale a aussi été d’envoyer 10 000 soldats
supplémentaires en Afghanistan. Il projette de déployer 20 000 hommes de plus
doublant ainsi les effectifs américains dans la région tout en étendant la
guerre au Pakistan.
La composition de la délégation américaine à la conférence sur la
sécurité de cette année montre clairement à quel point la guerre en Afghanistan
est cruciale pour le nouveau gouvernement américain. Le nouveau conseiller à la
Sécurité nationale d’Obama, James Jones, dirigeait depuis 2003
l’United States European Command (COMUSEUCOM). Dans le cadre de cette
fonction, il avait aussi commandé les troupes américaines impliquées dans
l’opération Liberté immuable (Operation Enduring Freedom) en Afghanistan.
Le général David Petraeus avait dirigé les forces américaines dans la guerre en
Irak, il fut nommé en octobre à la tête du commandement central américain. Lors
de la nomination de Richard Holbrooke comme représentant spécial américain pour
l’Afghanistan et le Pakistan, la secrétaire d’Etat Clinton avait
déclaré que celle-ci représentait un « signe clair et fort » que les
Etats-Unis étaient une fois de plus en situation d’assurer la direction
du monde.
Toutefois, la situation a changé. Avec le début des crises financière et
économique internationales et une série de revers militaire, le gouvernement
américain a perdu de l’influence. Les gouvernements européens ont offert
leur soutien mais seulement dans le cadre de leurs propres intérêts
impérialistes et sous certaines conditions.
Sous le titre « Nous, Européens devons parler d’une voix
unie », la chancelière allemande et le président français ont publié un
communiqué conjoint dans le quotidien Süddeutsche Zeitung juste deux jours
avant la conférence de Munich. Dans des termes aimables et diplomatiques, ils
ont déclaré que l’époque de la domination américaine en Europe et dans le
monde était définitivement révolue. « Aucun pays n’est
aujourd’hui capable de résoudre seul les problèmes du monde »,
ont-ils souligné au début de leur communiqué pour continuer en réclamant une
politique de sécurité concertée acceptée internationalement et « définie
de manière plus large ». Il est nécessaire « d’analyser
ensemble les situations, de prendre des décisions communes et de les mettre en
œuvre dans un même esprit de partenariat ».
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La place centrale occupée dans le communiqué revient à la
« reconstruction d’un partenariat avec la Russie ». Merkel et
Sarkozy écrivent, « La guerre en Géorgie, à l’été 2008, a marqué une
rupture. » Ils poursuivent en soulignant que c’était l’Union
européenne, et non les Etats-Unis, qui « a pu arrêter la spirale de la
violence et créer les conditions d’un processus de règlement du
conflit ».
En tant que voisine et partenaire, la Russie est « très
importante ». La collaboration au sein du conseil OTAN-Russie joue
« un rôle essentiel » et devrait être systématiquement intensifiée
partout où c’est possible. « L’été 2008, le président Dmitri
Medvedev avait fait des propositions sur la sécurité européenne. Nous sommes
prêts à conduire un débat sur ces questions, avec nos alliés, et avec nos
partenaires européens, et à prendre en considération les points de vue de tous »,
peut-lire dans l’article qui poursuit en disant : « Mais nous
appelons à tendre la main à la Russie et à relancer notre coopération au sein
du conseil OTAN-Russie et entre l’UE et la Russie, si celle-ci le
souhaite. »
Toute extension de l’OTAN n’est possible qu’en étroite
collaboration et en accord avec la Russie. « Mais nous rappelons que pour
devenir membre de l’Alliance, il y a des critères, cela implique
d’être capable d’en assumer les lourdes responsabilités. » De
par ces remarques, les chefs de gouvernement allemand et français ont
littéralement écarté, dans un avenir prévisible, l’inclusion de
l’Ukraine et de la Géorgie dans l’OTAN, jusque-là une revendication
clé des Etats-Unis.
Pour ce qui concerne l’Iran, le communiqué dit : « Nous
comptons sur une solution diplomatique. » Derrière ce commentaire bref se
cache plus qu’un simple rejet de toute attaque militaire contre Téhéran.
L’Allemagne et la France avaient de par le passé été les principaux
partenaires commerciaux de l’Iran et les deux pays ont fortement souffert
des sanctions économiques imposées par les Etats-Unis à l’Iran. Il y a
des signes qui indiquent que la France et l’Allemagne vont poser un
ultimatum aux Etats-Unis à Munich : toute extension de leur déploiement militaire
en Afghanistan devra être compensée par un relâchement des sanctions contre
l’Iran.
Le gouvernement allemand notamment demande instamment depuis un certain
temps un relâchement de la politique de sanctions contre l’Iran qui
possède les deuxièmes réserves de gaz du monde. Il y a quelques semaines
seulement l’ancien chancelier allemand, Gerhard Schröder (SPD)
s’était rendu à Téhéran. Son voyage fut qualifié d’ordre privé mais
ses services ont confirmé que la visite avait été coordonnée en liaison avec le
ministère des Affaires étrangères. Schröder est le président d’une
entreprise qui est en train de construire un oléoduc pour acheminer le gaz
russe vers l’Allemagne et l’Europe par la mer Baltique. Dans le
même temps, il dispose de liens étroits avec des compagnies allemandes qui sont
vivement intéressées par une coopération avec l’Iran. Dans un article
paru dans le Financial Times Deutschland à la fin du mois de janvier, le
principal acheteur du géant allemand de l’énergie RWE avait déclaré :
« A long terme, l’UE ne peut se permettre d’exclure la
perspective d’une coopération avec l’Iran. »
Conformément à ces mêmes priorités, le président de la conférence sur la
sécurité de Munich, Wolfgang Ischinger, avait souligné la signification de la
participation à la conférence de politiciens iraniens influents, y compris le
ministre des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki et le président du
parlement, Ali Larijani. Ischinger qui a passé 30 ans au ministère des Affaires
étrangères, entre autres en tant que chef du service de planification, avait
été ambassadeur d’Allemagne aux Etats-Unis ainsi qu’en
Grande-Bretagne au cours des sept dernières années. Il est considéré comme
quelqu’un entretenant de bons contacts avec tous.
La conférence sur la sécurité qui se déroule cette année à Munich marque
un tournant dans les relations internationales. Le rôle des Etats-Unis qui
avaient dominé l’axe transatlantique durant des décennies, est à présent
remis en cause par un certain nombre de pays européens. D’anciennes
relations sont éclipsées tandis que de nouvelles relations ne sont pas encore
affirmées. Toutefois, sous la surface des relations diplomatiques, des tensions
grandissantes sont en train d’apparaître de par l’Atlantique tout
comme entre les grandes puissances européennes mêmes. Face à
l’aggravation rapide de la crise économique, chaque pays réagit de plus
en plus en donnant la priorité à ses propres intérêts économiques, politiques
et militaires.