Quelque 100 000 professeurs d’université et étudiants ont
manifesté le 10 février dans les villes de France pour que soit retiré le
décret sur le statut des professeurs d’université, émanant du gouvernement du
président Nicolas Sarkozy. Ce décret fait partie de la LRU (Loi relative aux
libertés et responsabilités des universités) sur la réforme des universités
contre laquelle les étudiants se sont battus seuls l’an dernier.
La réforme de l’enseignement supérieur accordera l’autonomie aux
conseils d’administration des universités et ouvrira la voie à une politique
orientée vers le marché. La détermination des enseignants à poursuivre leur
lutte pour défendre leurs conditions de travail s’est durcie malgré l’appel de
la ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse à trouver « des voies
de passage » en nommant une médiatrice.
Cinquante-sept mille professeurs d’université
sont en grève ou engagés dans une forme ou une autre de protestation depuis le
2 février, date à laquelle une coordination nationale de 196 délégués représentant
79 établissements, s’est réunie à la Sorbonne à Paris. Les délégués ont rejeté
les changements de statut des enseignants chercheurs, de la formation des
enseignants et du contenu des concours de recrutement
La manifestation parisienne
A Paris, 50 000 personnes ont défilé, parmi lesquelles le
personnel enseignant, les techniciens de laboratoires, le personnel
administratif, les bibliothécaires, le personnel d’entretien, les ingénieurs
d’université, des étudiants et des lycéens. La banderole en tête de cortège
proclamait « Unis pour l’enseignement supérieur et la recherche. » Le
principal syndicat des professeurs d’université, le SNESUP-FSU (Syndicat
national de l’enseignement supérieur - Fédération syndicale unitaire) et le
syndicat étudiant UNEF (Union nationale des étudiants de France) avaient une
banderole sur laquelle était inscrite, « Non à la casse des universités et
de la recherche. »
Cinq mille personnes ont défilé à Lyon, 3000 à Strasbourg et 1500
à Marseille. Plus de 6000 ont participé à Toulouse, venus des trois universités
de la ville.
La LRU votée en 2007 établit le droit des universités à devenir
autonomes dans un délai de cinq ans dans les domaines budgétaire et de gestion
de leurs ressources humaines et qu’elles puissent devenir propriétaires de
leurs biens immobiliers. Les pouvoirs des présidents d’université sont accrus,
leur donnant notamment un droit de veto sur les affectations de personnels et
les recrutements d'enseignants, passant outre la prérogative existante de
commissions d’enseignants auxquelles il revient de recruter leurs pairs. Le
président peut embaucher « sur le marché du travail » des
contractuels en contrat à durée déterminée pour des fonctions d’enseignement
et distribuer des primes au mérite. Il peut aussi nommer 30 à 40 pour cent du
conseil d’administration. La représentation étudiante au conseil
d’administration est réduite et passe de 20 à 10 pour cent, tandis que la représentation
du secteur privée passe de 20 à 30 pour cent.
L’opposition au projet du gouvernement de séparer la recherche
de l’enseignement afin d’augmenter la charge de travail des professeurs a uni même
les facultés de droit et d’économie, traditionnellement conservatrices, et dont
56 sont mobilisées contre cette réforme. Une dizaine de présidents d’université
ont exigé le retrait du décret sur le statut des enseignants d’université. Le
président de Paris IV, Georges Molinié était catégorique : « C’est le
plus grand coup porté à l’école de la République depuis Vichy. » (Une
référence au gouvernement du maréchal Philippe Pétain durant la Deuxième Guerre
mondiale, et qui collabora avec l’occupation nazie.)
Une partie de la manifestation de mardi à Paris
Même les présidents d’université en faveur de la réforme, tels
Axel Kahn de Paris V, ont cessé de soutenir le décret sous la pression des
enseignants. Le parti même de Sarkozy, l’UMP (Union pour un mouvement
populaire) essuie le feu de ses propres adhérents. Le député UMP François
Goulard a réclamé le retrait du décret. Un autre député UMP Daniel Fasquelle
essaie de sauver la face du gouvernement en introduisant un projet de loi
visant à « améliorer » le décret. La nomination d’une médiatrice pour
« retravailler le décret » a été rejetée par Jean Fabbri, secrétaire
général du SNESUP-FSU, comme « une ridicule provocation qui n’est pas à la
hauteur des milliers de manifestants. »
Après que des grèves et des manifestations mobilisant plus de
trois millions de personnes se sont produites le 29 janvier contre le chômage,
l’augmentation du coût de la vie et pour la défense des services sociaux, les
syndicats font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher qu’un mouvement de masse
contre le gouvernement ne se développe hors de leur contrôle. Ils ont cherché à
isoler le mouvement de protestation des lycéens. A présent, avec le
développement d’un mouvement de grève générale en Guadeloupe et à la Martinique
(les deux départements d’outre-mer français dans les Caraïbes) parallèlement au
mouvement dans les universités, la prochaine journée d’action est prévue pour
le 19 mars prochain, permettant ainsi à Sarkozy de s’occuper de ces secteurs en
lutte, pendant qu’ils sont isolés des principaux contingents de la classe
ouvrière.
Le médiateur du gouvernement, nommé par Pécresse, était censé
rencontrer les dirigeants des syndicats enseignants mercredi. Les pourparlers
ont pour but de séparer la question du statut des enseignants de l’objectif
fondamental de la LRU, ouvrant la voie à la privatisation de l’enseignement
supérieur et à l’ancrage d’un système à deux vitesses. Le projet du
gouvernement est de faire en sorte que les plus grandes universités attirent la
part du lion du financement tandis que la plupart des autres universités
proposent un enseignement de pénurie.
Les professeurs d’université ont fait grève principalement
pour défendre l’équilibre entre l’enseignement et la recherche, attaqué par le
décret de Pécresse. Le gouvernement est peut-être prêt à lâcher du lest sur
cette question pour laisser en l’état la LRU. Si la grande masse des étudiants
de France, soit deux millions, n’a pas encore rejoint les enseignants en masse
pour défier le gouvernement, c’est peut-être parce que l’année dernière les
syndicats enseignants les avaient laissés lutter seuls pendant des mois sur
cette question uniquement. Il est clair que les étudiants cherchent des signes
d’une vraie lutte contre le gouvernement Sarkozy.
La défense et l’amélioration de la qualité de l’enseignement
supérieur dépendent d’une offensive des enseignants et des étudiants qui
dépasse les revendications corporatistes limitées et qui unissent toutes les
sections de la classe ouvrière poussée, par le chômage, la précarité et des
salaires de misère, au conflit avec le programme d’austérité du gouvernement.
Ceci requiert une rupture d’avec les syndicats et les partis de
« gauche » et le développement d’une nouvelle direction socialiste.
Des correspondants du World Socialist Web Site à Paris
ont fait état d’une manifestation massive qui est partie de la Sorbonne et
s’est rendue à l’Assemblée nationale.
La CFDT (Confédération française démocratique du travail,
proche du Parti socialiste) était en force à la manifestation avec ses
camionnettes et ses haut-parleurs. La CGT (Confédération générale du travail,
proche du Parti communiste), FO (Force ouvrière) et le SNES avaient aussi des
délégations. Il y avait de forts contingents de manifestants venus des
universités d’Avignon, Nantes et Nancy ainsi que de la région parisienne.
David, chercheur en physique nucléaire a dit au WSWS qu’il
voulait « un moratoire sur la réforme et la LRU » et « à la
place, établir une évaluation plus rationnelle » de la recherche par des
pairs et non par les présidents d’université. « La réforme des universités
est imposée et faut changer cela. »
Un étudiant en licence a dit, « Cette
manif des étudiants et des profs veut faire reculer le gouvernement sur les
derniers décrets. Le problème est que notre université est trop libérale,
trop lié au monde des entreprises. » L’étudiant a ajouté que ce « but
économique risque de faire perdre des connaissances, de la diversité. »
Il a dit que professeurs et étudiants étaient motivés par
différents aspects de la réforme. Les étudiants sont contre la LRU, tandis que
les enseignants réagissent contre le décret sur l’enseignement et la recherche
et que certains ne se préoccupaient pas de la LRU.
Julien, professeur d’histoire a dit, « La crise
financière frappe d'abord les universités sur le modèle américain (c’est à dire
qui dépendent de fonds privés plutôt que publics) ce qui implique un choix de
société. »