Il n’aura pas fallu attendre longtemps avant que Québec
solidaire, le soi-disant nouveau parti de gauche au Québec, n’affiche ses vraies
couleurs. Lors de la session d’urgence de l’Assemblée nationale du Québec tenue
le mois dernier, Amir Khadir, le tout premier député du parti à être élu, était
de mèche avec les trois partis de l’élite québécoise : les libéraux, le
Parti québécois et l’Action démocratique du Québec.
Alors que fait rage la plus sévère crise capitaliste depuis
la Grande Dépression, Khadir, l’un des deux codirigeants de Québec solidaire, a
tout fait pour démontrer que son parti aller fonctionner comme un loyal parti
de l’opposition, que son objectif n’est pas de s’opposer à l’ordre social
existant mais plutôt de prendre part au débat de l’establishment. « Je voudrais vous
assurer de mon entière collaboration », a déclaré Khadir lors de sa
première intervention à l’Assemblée nationale. Il a remercié ensuite dans cette
même intervention les politiciens de la grande entreprise pour leur « accueil » : « ça permet à notre jeune
formation d'assumer la fonction qui nous est maintenant confiée avec plus de
confiance et dans l'esprit de bonne entente et de collaboration ».
Khadir est rapidement passé de la parole aux actes. Il
s’associa au premier ministre libéral Jean Charest et aux deux autres chefs de
parti pour présenter une motion, qui fut adoptée par la suite à l’unanimité,
qui présentait « les demandes du Québec » face aux actions que devait
prendre le gouvernement fédéral pour réagir à la crise économique.
Ces demandes exprimaient le consensus qui avait émergé au
sein l’élite québécoise dans les semaines précédentes favorisant des mesures de
stimulation économique pour empêcher d’importantes sections du capital d’être
liquidées et calmer les tensions sociales en tentant (ou plutôt en semblant
tenter) de créer des emplois.
Plusieurs des six demandes de la motion étaient si vagues
qu’elles étaient complètement creuses. La première requête demandait
essentiellement que « le gouvernement fédéral vienne en aide aux
travailleurs, aux communautés et aux entreprises touchés par le ralentissement
économique ».
Khadir s’est vanté que c’était lui qui avait persuadé le
premier ministre Charest d’inclure une demande à Ottawa visant à
« bonifier le programme de l’assurance-emploi en assouplissant les
critères d’admissibilité et en permettant aux travailleurs en formation de
continuer à recevoir leurs prestations ». Cette demande est si radicale
qu’elle avait déjà été faite par les libéraux au niveau fédéral, ceux-là mêmes
qui, alors qu’ils formaient le gouvernement, avaient sabré dans l’aide aux
chômeurs au point où aujourd’hui plus de 60 pour cent des personnes qui perdent
leur emploi n’ont pas accès au programme d’assurance-emploi.
Une autre des résolutions érige en modèle l’aide qu’apporte
Ottawa à l’industrie de l’automobile. Avec le soutien enthousiaste du patronat
canadien, le gouvernement fédéral conservateur se sert de cette
« aide » pour imposer brutalement des concessions aux travailleurs
des grands constructeurs de l’auto.
La sixième clause de la motion réitère l’opposition de
l’Assemblée nationale au plan du gouvernement conservateur de fusionner les 13
commissions provinciales et territoriales des valeurs mobilières en une
commission pancanadienne des valeurs mobilières. Conséquemment, en votant pour
la résolution, Khadir et son parti se sont solidarisés avec la campagne de
l’élite financière québécoise visant à préserver une régulation des valeurs par
le Québec, afin de mieux défendre ses propres intérêts rapaces.
L’establishment québécois a fréquemment eu recours à de
telles résolutions consensuelles et à des votes à l’unanimité afin de faire
pression sur le gouvernement fédéral. Mais la création et la promotion d’un
« consensus national » québécois sont plus qu’un outil pour négocier.
C’est depuis longtemps un mécanisme important par lequel la bourgeoisie a
cherché à réguler les relations de classe.
Un élément important du soi-disant modèle québécois de
développement socioéconomique a été la collaboration institutionnalisée entre
l’Etat, les entreprises et la bureaucratie syndicale, tout en utilisant les
bureaucraties pour renforcer le « consensus national », c’est-à-dire
le programme de la grande entreprise. L’exemple le plus célèbre est la campagne
pour le « déficit zéro » organisée par le gouvernement du PQ sous
Lucien Bouchard dans la dernière moitié des années 1990. Préparée politiquement
lors de deux « sommets économiques nationaux », la campagne du
déficit zéro a vu les syndicats collaborer dans l’imposition d’importantes
coupes dans les services sociaux et publics, incluant l’élimination de dizaines
de milliers d’emplois en éducation et en santé.
Si un socialiste avait été élu à l’Assemblée nationale le 8
décembre dernier, il ou elle se servirait de son siège à l’assemblée comme une
tribune pour mettre en garde les travailleurs que la grande entreprise a
l’intention de leur faire payer la crise économique par des coupes dans les
emplois, par des concessions dans les conventions collectives et par le
démantèlement des services sociaux et publics. En fait, Charest a lancé des
élections hâtivement à la fin de l’année dernière avec le but avoué de gagner
une majorité parlementaire et afin que son gouvernement soit ainsi plus en
mesure de prendre les décisions « difficiles », c’est-à-dire
impopulaires, que la grande entreprise demandera au gouvernement québécois.
Un membre socialiste de l’Assemblée nationale chercherait à
démontrer aux travailleurs que les libéraux, le Parti québécois (PQ) et
l’Action démocratique du Québec (ADQ) sont tous reliés à la grande entreprise
et que les différences entre eux, que ce soit par rapport au statut du Québec
dans l’Etat fédéral ou par rapport à l’économie, ne sont que tactiques. En
particulier, il ou elle se battrait pour exposer comment le nationalisme,
incluant la pratique semi-institutionnalisée de présenter un soi-disant
consensus national, a été utilisé pour lier la classe ouvrière aux intérêts de
l’élite dirigeante.
Québec solidaire, malgré ses dénonciations occasionnelles
et démagogiques de la grande entreprise et du néolibéralisme, adopte exactement
la trajectoire opposée. Aussitôt était-il entré à l’Assemblée nationale qu’il
démontrait sa volonté de travailler avec les partis de la grande entreprise et
de semer des illusions dans l’idée qu’il y a des objectifs
« nationaux » et des intérêts qui transcendent et qui ont préséance
sur l’antagonisme entre les travailleurs et le capital.
Si cela ne suffisait pas à montrer que dans
le contexte d’une crise économique et de conflits de classe allant en
s’aggravant Québec solidaire accepterait de soutenir ouvertement ou de joindre
un gouvernement de la grande entreprise, Khadir et compagnie ont donné un autre
exemple de leur orientation. Québec solidaire a louangé l’accord conclu à la
fin de l’an dernier entre les libéraux, les sociaux-démocrates du NPD et le
Bloc québécois visant à remplacer le gouvernement conservateur fédéral par une
coalition dirigée par les libéraux. Cette coalition promettait d’implémenter
les très importantes diminutions d’impôts pour les entreprises et de continuer
l’opération militaire canadienne en Afghanistan au moins jusqu’en 2011.
Québec solidaire prétend être un parti de
gauche favorable aux travailleurs. En fait, c’est un parti aspirant à faire
parti de l’establishment dont la politique se résume à quelques réformes très
timides amalgamées au nationalisme et au protectionnisme.
Khadir et Françoise David, l’autre
codirigeante de Québec solidaire, n’ont fait que de légères critiques des
mesures de « stimulation économique » annoncées par le gouvernement
provincial formé par les libéraux de Jean Charest lors de l’ouverture de la session
d’urgence sur l’économie de trois jours de l’Assemblée nationale. Alors que les
libéraux ont augmenté le salaire de minimum de 50 cents pour le faire passer à
9,00 dollars l’heure, Québec solidaire a demandé qu’il soit augmenté à 10,20
dollars l’heure.
Au centre de leurs critiques, on trouve
leur défense d’un programme « achetons québécois », la réplique
locale des campagnes « achetons américain » ou « achetons
britannique » lancées par les syndicats et les sections les plus faibles
du capital. Cette demande protectionniste réactionnaire est utilisée pour
diviser la classe ouvrière, pour faire la promotion de la conception
corporatiste que les travailleurs et leurs employeurs capitalistes ont des
« intérêts communs » et mène logiquement à la guerre de commerce et
au conflit géopolitique.
Dans la même eau, Québec solidaire a accusé
le gouvernement fédéral de favoriser davantage l’Ontario que le Québec dans sa
réponse à la crise économique. David a déclaré, « C’est sûr que
quelque 200 millions pour l'industrie forestière au Québec, c'est nul en
comparaison au-dessus de 2,7 milliards promis pour l'Ontario. »
En fait, le 2,7 milliards $ d’aide qu’a
offert le gouvernement conservateur de Harper n’ira pas à l’Ontario ou aux
Ontariens, mais servira à secourir GM, Chrysler et Ford. Loin de bénéficier aux
travailleurs, les Québécois comme les Ontariens, le plan de sauvetage est
utilisé par les conservateurs pour imposer des diminutions de salaire et des
coupes dans les avantages sociaux aux travailleurs de l’auto, des concessions
qui serviront à faire pression sur les travailleurs des autres industries pour
qu’ils acceptent des concessions du même ordre. Le gouvernement a stipulé que
son aide était conditionnelle à ce que les salaires et les avantages des
travailleurs de l’auto descendent au niveau de ce que l’on trouve dans les
usines non syndiquées des constructeurs japonais installés dans le sud des
Etats-Unis.
En contrastant le sauvetage dans
l’industrie de l’auto au sort de l’industrie forestière, Québec solidaire ne fait
que répéter la position qu’ont prise le Parti québécois et le Bloc québécois
ainsi que celle du gouvernement de droite de Colombie-Britannique. Cela est
utilisé pour monter les travailleurs les uns contre les autres sur une base
d’appartenance régionale ou ethnique, en même temps que cela désarme les
travailleurs de la forêt en suggérant qu’ils pourraient faire pression pour
obtenir un plan de sauvetage anti-ouvrier comme celui qu’ont obtenu les Trois
Grands de l’auto à Détroit.
Le seul programme qui peut satisfaire les
besoins des travailleurs de l’auto et de la forêt est un programme socialiste
pour réorganiser de façon radicale la vie économique pour que la production et
le travail servent à satisfaire les besoins humains, pas les impératifs du
profit des investisseurs capitalistes privés.
Le fait que Charest ait cherché à obtenir
l’appui de Québec solidaire et ait voulu que son unique député soit l’un de
ceux proposant la résolution de l’Assemblée nationale du mois dernier démontre
que l’élite a pris la mesure du nouveau parti de la gauche du Québec. Les
travailleurs, quoique d’un point de vue de classe diamétralement opposé,
doivent faire de même.