Le premier ministre François Fillon a annoncé le 20 janvier un projet
d’injection de 5,5 milliards d’euros dans l’industrie
automobile nationale pour tenter de la protéger de l’effondrement de
l’économie mondiale. Ce transfert de fonds massif vers les entreprises
privées est présenté comme un plan de défense des emplois français.
En réalité c’est une attaque contre les travailleurs français et
étrangers, grossièrement masquée par des appels au patriotisme économique et
qui a pour objectif de monter les travailleurs français contre leurs collègues
des autres pays. On sous-entend par là que les emplois français peuvent être
« sauvés » aux dépens des travailleurs produisant des voitures dans
les pays où le coût du travail est moins cher. C’est une approche soutenue
par les syndicats français.
En décembre, de nombreux travailleurs du secteur automobile de France et
d’Europe ont été mis au chômage technique ou ont vu leur temps de travail
réduit et les usines ont été temporairement fermées pour écouler les stocks de
voitures invendues qui s’accumulaient.
La situation au retour des fêtes de Noël est toujours sombre. Il suffit de regarder
la situation à l’usine Renault Sandouville près de Rouen en Normandie.
Les travailleurs ont fait grève et ont manifesté la semaine dernière
lorsqu’ils ont appris que l’usine ne sera ouverte que huit jours en
février et seulement le matin. Durant cette période, l’usine ne produira
que 240 Laguna par jour, au total moins de 2000 voitures, soit six fois moins
que lorsque le modèle avait été lancé à l’automne 2007. L’année
dernière, 95 000 voitures seulement avaient été vendues au lieu des
180 000 à 200 000 prévues.
En juillet dernier, Renault avait annoncé la suppression de 1000 emplois sur
les 3500. Son PDG Carlos Ghosn avait promis de ne pas fermer l’usine et
avait dit que la production d’un nouveau véhicule utilitaire commencerait
en 2012. En attendant, le personnel travaille avec des horaires réduits et
subit une perte de salaire de 35 pour cent par jour. Le salaire moyen
d’un opérateur est de 2230 euros brut par mois.
Renault prévoit de supprimer 4000 emplois en France d’ici la fin du
mois d’avril et a annoncé en janvier que 980 travailleurs s’étaient
portés volontaires pour ces licenciements.
La direction de l’usine Peugeot-Citroën PSA de Sochaux, le site le
plus important de France, après avoir fermé l’usine pendant tout le mois
de décembre et six jours en janvier, a annoncé la suppression des équipes de
nuit pour la fabrication de la Peugeot 308 et cinq jours de chômage technique
pour la main-d’œuvre en février, suivie de quatre jours en mars.
Quelque 800 travailleurs en contrat de courte durée, intérimaires et CDD (contrat
à durée déterminée), ne verront pas leur contrat renouvelé.
L’usine PSA de Rennes en Bretagne, qui a été fermée pendant quatre
semaines à partir du 12 décembre, aura cinq jours par mois d’arrêt de la
production, de janvier à mars, ainsi que des roulements pour d’autres
mises au chômage technique. La direction prévoit de supprimer 1750 emplois en
2009, soit 20 pour cent de la main-d'œuvre actuelle qui compte 8000
travailleurs. L’usine employait 12 000 travailleurs en 2005 et il est
prévu de réduire cette main-d'œuvre à tout juste 6000 travailleurs
d’ici la fin de 2009.
Le financement gouvernemental annoncé par Fillon permettrait aux entreprises
Automobile d’éviter de payer les 8 pour cent de taux d’intérêt
exigés par les banques et de proposer des crédits bon marché aux
concessionnaireset aux acheteurs. Et ceci viendrait s’ajouter aux
500 millions d’euros déjà remis à chacun des principaux producteurs
français, Renault et Citroën, et aux mille euros de prime à la casse proposés
aux acheteurs en échange de leur vieille voiture.
En annonçant le plan de relance de l’industrie automobile, Fillon a semblé
s’inquiéter du maintien des usines en France, mais il a soigneusement
évité d’imposer des restrictions concernant les suppressions d’emplois :
« Il n'est pas question que l'État vienne en aide à un constructeur qui
déciderait de fermer purement et simplement un ou des sites de production en
France. » Dans la même veine, le ministre de l’Industrie Luc Chatel
a annoncé que le gouvernement était prêt à fournir les fonds pour surmonter
« les besoins de trésorerie à court terme » mais qu’il
exigerait un gel sur les fermetures d’usines, les bonus des patrons et
les dividendes des actionnaires.
Mais on peut être sûr que le plan de relance de Sarkozy n’empiètera
pas sur les énormes revenus des patrons et des actionnaires. Les patrons de
l’automobile acceptent ce qui revient à de l’aide pour la fermeture
provisoired’usines non utilisées dans l’attente d’une
nouvelle augmentation de la demande. Cependant ils ont rejeté avec arrogance toute
interférence de l’Etat sur les questions de rémunération des cadres et
des actionnaires. Christian Streiff, président de Renault-Citroën, a dit aux
médias qu’une injection de liquidité était un besoin urgent, mais a
averti que le gouvernement ne devrait pas dire aux entreprises automobiles
comment faire tourner leur entreprise. Le journal britannique Independent a
cité sa remarque signifiant que les cadres de l’industrie ne souhaitent
pas permettre au gouvernement de « se substituer à la direction » en
imposant un gel sur les bonus et les dividendes.
Il se peut aussi que l’aide soit étendue aux compagnies étrangères
tels Toyota et Smart pour les encourager à maintenir leurs usines en France.
Quant à l’attitude des entreprises concernant les fermetures
d’usines, le porte-parole de Peugeot-Citroën Hughes Dufour est cité dans
le Wall Street Journal du 21 janvier : « On ne voit vraiment
pas pourquoi le PDG d’une société indépendante cotée en bourse devrait
faire de telles promesses à l’Etat. »
Streiff a déclaré dans un entretien au Figaro qu’il pensait
pouvoir garder des entreprises fonctionnant au ralenti, « à condition de
redéfinir la taille de chaque usine en fonction du nombre de véhicules
qu’elle produit ». Le gouvernement n’a exprimé aucune
opposition à cette condition.
Le Wall Street Journal cite néanmoins une porte-parole représentant
la société Renault dont l’Etat détient 15 pour cent des parts :
« "C’est normal que l’Etat demande de telles garanties",
a dit Nathalie Bourotte porte-parole de Renault, et elle a ajouté que Renault
n’envisageait actuellement aucune fermeture d’usine en France. »
Le Journal exprime son scepticisme quant à ces assurances :
« Les promesses de ne pas fermer d’usines risquent d’être
difficiles à tenir : La demande pour les voitures neuves a chuté et peu
d’analystes s’attendent à ce que la demande européenne en
automobile ne retrouve les niveaux d’avant la crise avant au moins cinq
ans. » En effet, comme on l’a vu plus haut, Renault continue à
supprimer des emplois.
L’industrie automobile est subordonnée aux conditions du marché et aux
exigences de profit. Les garanties données du maintien des emplois et des
usines n’ont aucune valeur. Sur la question des fermetures, Reuters
cite Chatel, le ministre de l’Industrie : « L'enjeu est de
taille au moment où les surcapacités de production du secteur sont estimées à
20 pour cent en Europe ce qui signifie la fermeture à terme de dix à douze
sites. »
L’annonce du plan de relance de l’industrie automobile a été
faite dans un contexte mondial de « resserrement du crédit » qui a provoqué
une forte contraction de l’industrie dans le monde entier.
L’industrie automobile a été particulièrement touchée. Les ventes de
voitures ont chuté de 18 pour cent en décembre en Europe et on prévoit un
déclin de 15 à 20 pour cent en 2009 avec un taux de licenciements similaire de
150 000 à 200 000, selon l’Association des constructeurs
européens.
En France, l’industrie automobile et ses fournisseurs emploient
actuellement 2,5 millions de travailleurs, soit 10 pour cent des personnes en
activité dans le pays. Les ventes de décembre n’avaient diminué
« que » de 6,5 pour cent par rapport à décembre 2007. La prime à la
casse de 1000 euros pour ceux qui achètent des voitures neuves a ralenti ce
déclin mais a surtout encouragé l’achat de petites voitures produites à
l’étranger. On prévoit une chute beaucoup plus vertigineuse des ventes en
2009. Crédit Suisse estime que Renault a la plus grande réserve de voitures
invendues de tous les producteurs automobile européens.
Le Figaro fait remarquer que « Le maintien de l'activité en
France suppose aussi d'inverser une tendance lourde qui a vu ces dernières
années les constructeurs diminuer le nombre de voitures produites en France (un
million de moins entre 2002 et 2007) pour l'augmenter en Europe de l'Est où les
coûts sont plus bas. Les deux constructeurs ont notamment délocalisé vers l'Est
la production de leurs petits modèles, ceux dont les ventes progressent le plus
en France. »
Le prix que la classe ouvrière devra payer pour maintenir la production en
France est partiellement révélé par Carlos Ghosn, PDG de Renault. Il a indiqué
qu’il était prêt à prendre des engagements en échange de l’argent
public, mais qu’il considérait qu’il était
« fondamental » que le gouvernement agisse en retour pour maintenir
la compétitivité de l’industrie française, en accordant des concessions
sur les taxes et les contributions sociales des employeurs. Il s’agit là
d’attaques cachées significatives contre les droits sociaux des
travailleurs.
Ghosn a demandé que la taxe professionnelle soit suspendue et que les charges
sociales soient abaissées. Il explique : « L'écart de coût de
production entre la France et un pays de l'Est s'élève à 10 pour cent du total,
soit en moyenne 1400 euros. Sur cette somme, 400 euros sont liés au
salaire, 250 euros à la taxe professionnelle et 750 euros au
différentiel de charges sociales. »
La taxe professionnelle sert à financer les services des collectivités
territoriales et les contributions patronales financent les prestations de
sécurité sociale (maladie, chômage, retraite.) Ces attaques proposées et la
référence menaçante de 400 euros en salaire donnent une idée de l’effort
actuel visant à détruire le niveau de vie des travailleurs en faisant du
chantage au chômage. Dans la situation actuelle d’une crise économique
mondiale dévastatrice, les concessions exigées par Ghosn seront vite largement dépassées.
Les différentes entreprises Automobile nationales et les politiciens, activement
aidés par les syndicats, ont recours au patriotisme économique pour essayer de
faire accepter aux travailleurs les licenciements, les diminutions des salaires
et des prestations et l’intensification de l’exploitation. Henri
Guaino, principal conseiller du président Nicolas Sarkozy, dans un entretien au
Figaro du 24 janvier joue la carte patriotique lorsqu’il rejette
l’idée de donner la priorité au niveau de vie des travailleurs :
« Mais la relance par la consommation serait une erreur économique. Le pouvoir
d'achat distribué servirait surtout à acheter des produits importés. La
question est de savoir si l'argent du contribuable doit servir à sauver nos
emplois ou ceux des autres. » [Italiques ajoutées.]
On ne peut combattre la tentative du gouvernement et des entreprises
automobile de faire baisser le coût du travail en dessous de celui de leurs
concurrents, que si on unifie les luttes des travailleurs des différentes
compagnies et pays pour défendre les emplois et les conditions de travail. Cela
signifie qu’il faudra rompre avec les syndicats existants et fonder des
organisations de lutte indépendantes qui se basent sur des perspectives
socialistes internationalistes.
La CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti communiste), du
fait qu’elle accepte le système capitaliste fondé sur le profit, a sa
part de responsabilité à encourager le patriotisme et la concurrence entre
travailleurs. Un tract de la CGT intitulé « Bilan de Renault contrat
2009 : Rien pour les salariés. » déclare : « La direction
peut amorcer une politique de vente offensive sur la Laguna en offrant des
prix plus intéressants que la concurrence au lieu de supprimer 1000 postes
à Sandouville. » [Italiques ajoutées.]
Un communiqué de presse de la CGT datée du 9 septembre utilise un argument « Vert »
pour essayer de diviser les travailleurs de Renault de leurs collègues
étrangers: « Et si Renault parle beaucoup d’écologie, il faudra nous
expliquer en quoi le transport des Logan de Roumanie, des Twingo de Slovénie,
du Koléos de Corée, de la Clio Estate de Turquie et maintenant des Sandero du
Brésil, constitue une avancée pour l’écologie. »
Dans une lettre à Sarkozy, la CGT en appelle à son soutien, encore une fois
sur la base du patriotisme économique: « L’essentiel des investissements
industriels se fait à l’international (Maroc, l’Inde ou bien la
prise de participation dans le constructeur russe Aftovaz) au détriment des
sites … implantés en France. »
Sarkozy a clairement dit qu’il compte sur les syndicats pour
l’aider à faire endosser aux travailleurs le fardeau de la crise et
étouffer toute opposition. De nouveaux mécanismes sont mis en place dans ce but.
Le quotidien économique Les
Echos du 14 janvier écrit : « Nicolas Sarkozy a reçu, hier, les
leaders syndicaux pour aborder les effets de la crise sur l'emploi. Il promet
d'associer les syndicats à la prévention et au traitement des licenciements,
via des groupes de travail au niveau des branches. » Les Echos
rapporte que « Bernard Thibault (CGT) s'est néanmoins félicité du dispositif
de suivi annoncé. »
(Article original anglais paru le 28 janvier 2008)