Lors d’un colloque international qui s’est tenu
le 8 janvier à Paris, le président français, Nicolas Sarkozy s’en est pris violemment
à ce qu’il a appelé le « capitalisme financier ». Sarkozy a déclaré
que le rêve de la mondialisation s’était évanoui le 11 septembre 2001. « On
attendait la concurrence et l’abondance. On a eu la rareté, le triomphe de
l’économie de rente, la spéculation et des dumpings », a-t-il dit.
Toutefois, Sarkozy a poursuivi en disant que
la crise du « capitalisme financier » n’était pas la crise du
capitalisme en soi. L’anticapitalisme est une impasse a-t-il précisé, la
négation de tout ce qui est une idée de progrès. « On doit moraliser le
capitalisme et pas le détruire », a-t-il souligné. La tâche est de
« rééquilibrer les rôles respectifs de l’Etat et du marché ». La
crise actuelle représente la « fin de l’idéologie de l’impuissance
publique ». L’élément le plus important de la présente crise est le
« retour de l’Etat ».
Sarkozy s’exprimait devant un illustre auditoire.
Etaient présents au colloque dont le titre était « Nouveau monde, nouveau
capitalisme », la chancelière allemande, Angela Merkel, l’ancien premier
ministre britannique, Tony Blair, les chefs de la Banque centrale européenne et
de l’Organisation mondiale du commerce, trois prix Nobel d’économie et des
fonctionnaires syndicaux de haut rang. Dans l’ensemble, ils étaient tous
d’accord avec Sarkozy même s’ils ne l’exprimait pas aussi clairement.
La chancelière Merkel a réclamé la mise en
place d’une « nouvelle régulation des marchés financiers internationaux ainsi
que des institutions » en disant que cette fois-ci elle resterait ferme au
cas où les acteurs des marchés financiers tenteraient une fois de plus
d’empêcher les politiciens d’appliquer les nouvelles règles.
Il n’y a rien de progressiste dans la promesse de Sarkozy pour
une moralisation et une refondation du capitalisme. L’abandon de l’idéologie
d’une dérégulation effrénée n’est pas un pas vers une plus grande démocratie ou
égalité. L’Etat dont Sarkozy veut accroître l’influence est un Etat
capitaliste. Il défend les intérêts du patronat et pas ceux de la population
laborieuse.
Par le « retour à l’Etat », Sarkozy n’entend pas la
subordination des intérêts de profit privés aux besoins de la société en
général. Il veut placer les entreprises françaises sous la protection de l’Etat
afin de les renforcer en cas de conflit avec la classe ouvrière française et
leurs rivaux étrangers.
Ce type d’intervention de l’Etat a une longue tradition en
France et qui remonte jusqu’à Jean-Baptiste Colbert, le ministre des Finances
de Louis XIV au 17e siècle. Dans les années 1960, sous le président de Gaulle,
d’importants secteurs de l’industrie, tels l’automobile et l’aviation, furent
développés sous le contrôle de l’Etat tandis que la classe ouvrière était
réprimée. Dans les années 1980, le président Mitterrand avait temporairement
nationalisé l’industrie sidérurgique dans le but d’enclencher la
rationalisation et les licenciements de masse.
Le capitalisme d’Etat que prône Sarkozy est étroitement lié au
protectionnisme et au corporatisme. L’Etat étend sa protection sur les groupes
nationaux, garantit leurs profits au moyen de fonds publics, les assiste dans
la réduction des emplois et des salaires, les protège contre les offres
publiques d’acquisition (OPA) étrangères et renforce leur lutte contre les
concurrents internationaux.
Du fait que des liens très étroits existent entre l’Etat et
les intérêts des entreprises, chaque conflit économique risque de tourner en
conflit politique. C’est ce qui peut actuellement être observé dans le conflit
du gaz entre la Russie et l’Ukraine. Il n’y a alors qu’un pas à franchir entre
un conflit politique et un conflit militaire. C’est peut-être un hasard si la
conférence sur le « nouveau capitalisme » a été organisée à l’Ecole militaire
de Paris, mais la valeur symbolique n’en demeure pas moins évidente.
Les plans d’aide de plusieurs milliards d’euros que les
gouvernements français et allemand ont accordé à leurs banques et entreprises
respectives sont étroitement liés à des mesures protectionnistes. La France a mis
en place un fonds public de 20 milliards d’euros dans le but de protéger les
principales entreprises françaises contre des OPA étrangères. C’est pour la
même raison que le gouvernement allemand a pris le contrôle partiel de la
Commerzbank et projette de racheter prochainement la banque immobilière Hypo
Real Estate.
Après la conférence sur le « nouveau capitalisme »,
Merkel et Sarkozy se sont rencontrés au Palais de l’Elysée pour discuter de
l’élaboration de mesures de protection de leur industrie automobile nationale. Il
a été rapporté plus tard qu’au vu de l’aide accordée par le gouvernement
américain à l’industrie automobile américaine, il a été nécessaire d’apporter
aux constructeurs automobiles européens un soutien comparable.
Un aspect important de la conférence de Paris a été l’attaque sévère
lancée contre les Etats-Unis. Elle a pris la forme d’un appel adressé au
nouveau président, Barack Obama, duquel les gouvernements européens attendent
un changement de trajectoire dans la politique étrangère. Néanmoins, Sarkozy a
fait comprendre clairement qu’il n’était plus enclin à accepter la domination
économique des Etats-Unis.
« J’ai toujours été partisan dans ma vie politique d’une
alliance très proche avec les Etats-Unis d’Amérique », a-t-il dit, mais
que « les choses soient claires : au 21e siècle, il n’y a plus une
seule nation qui peut dire ce qu’il faut faire ou ce qu’il faut penser ».
Il est même devenu plus explicite en attaquant ouvertement la
domination des Etats-Unis. « Nous n’accepterons pas de statu quo, nous
n’accepterons pas l’immobilisme, nous n’accepterons pas le retour à la pensée
unique », a-t-dit. « A Bretton Woods en 1945 », a-t-il poursuivi,
« il y avait une monnaie [le dollar]. Cette monnaie a construit la
prospérité du monde. En 2009, il n’y a plus une monnaie, il y en a plusieurs.
Il va falloir qu’on discute comment chacun gère sa monnaie, ses taux d’intérêt.
Il ne peut plus y avoir un seul pays qui explique aux autres : payez la
dette qui est la nôtre, il ne peut plus y avoir un seul modèle. »
Sarkozy et Merkel peuvent compter sur le soutien des syndicats
pour maintenir le cap de leur politique actuelle. Figurait parmi les participants
à la conférence, le secrétaire général de la Confédération européenne des
syndicats, John Monks. Depuis l’arrivée au pouvoir de Sarkozy, les dirigeants
syndicaux français sont régulièrement invités à l’Elysée et au ministère du
Travail, rue de Grenelle.
Afin de défendre les entreprises nationales, les bureaucraties
syndicales sont prêtes à organiser et à perpétrer les attaques contre les
salaires et les emplois de leurs propres membres. Dans les conditions d’une
guerre commerciale, elles se positionnent inconditionnellement derrière leur
propre bourgeoisie. Au fur et à mesure que l’Etat et le patronat resserrent les
liens, les syndicats resserrent les rangs avec l’Etat.
Il y a soixante-dix ans, à la veille de la Seconde Guerre
mondiale, Léon Trotsky avait attiré l’attention sur ce processus. Il
écrivait : « Les cliques capitalistes, à la tête de trusts puissants,
des syndicats d’entreprises, des consortiums bancaires, etc. contrôlent
la vie économique de la même hauteur que le fait le pouvoir d’Etat, et à chaque
instant ils ont recours à la collaboration de ce dernier. A leur tour les
syndicats, dans les branches les plus importantes de l’industrie, se trouvent
privés de la possibilité… doivent affronter un adversaire capitaliste
centralisé, intimement uni au pouvoir. De là découle pour les syndicats, dans
la mesure où ils restent sur ces positions réformistes, c’est-à-dire sur des
positions basées sur l’adaptation à la propriété privée, la nécessité de
s’adapter à l’Etat capitaliste et de lutter pour la coopération avec
lui. » (Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste (1949))
La classe ouvrière doit définitivement rejeter une telle voie
nationaliste qui ne peut qu’aboutir dans une catastrophe politique. Elle ne
peut défendre ses intérêts qu’en s’unissant internationalement et en luttant
pour une alternative socialiste à la crise.