Nous
publions ici de nouveau la première de deux parties d’un rapport sur Israël et
la Palestine présenté par Jean Shaoul lors d'une réunion du Comité de rédaction
international du WSWS qui a eu lieu
du 22 au 27 janvier 2006. Shaoul est une correspondante du WSWS et
membre du Parti de l’égalité socialiste en Grande-Bretagne.
La présente situation
économique, sociale et politique en Israël et en Palestine est une condamnation
du projet sioniste et de l’Etat-nation en tant que solution à l’oppression des juifs.
L’Etat sioniste a été conçu comme la solution à la persécution européenne des juifs
— un Etat où ces derniers trouveraient un refuge sûr, la justice sociale et
l’égalité.
Il fut réalisé en
tant qu’Etat capitaliste créé par la dépossession d’un autre peuple et maintenu
par la guerre et la répression ainsi que par l’inégalité sociale à l’intérieur
du pays. En fait, il est impossible, en présentant ce document, de passer sous
silence le fait que le peuple juif, dont plusieurs sections ont une longue
histoire dans chaque mouvement progressiste, dont le mouvement socialiste international,
est maintenant considéré comme un oppresseur ayant du sang sur les mains.
La Quatrième Internationale et la Palestine en 1948
Je crois qu’il est
important de rappeler ce que la Quatrième Internationale a dit sur la Palestine
en 1947-48. En lisant sa déclaration « Contre le courant »,
écrite il y a 60 ans, on ne peut qu’être frappé de l’extraordinaire prescience
de ses mises en garde. Elle insistait sur le fait que le sionisme était autant
utopique que réactionnaire et dénonçait la décision de 1947 de l’ONU consistant
à partitionner la Palestine en deux minuscules Etats.
« La partition
creuse un fossé entre le travailleur arabe et juif. L’Etat sioniste, par ses
lignes de démarcation provocatrices, provoquera le développement de mouvements
de vengeance des deux côtés. Il y aura des luttes pour une « Palestine
arabe » et un « Etat juif » à l’intérieur des frontières
historiques de la terre d’Israël. L’atmosphère chauvine conséquemment créée
empoisonnera le monde arabe au Moyen-Orient et étranglera les luttes
anti-impérialistes des masses, pendant que les sionistes et les arabes féodaux
rivaliseront pour obtenir les faveurs des impérialistes. »
La Quatrième
Internationale déclarait : « L’Etat juif, ce cadeau de Truman et
Bevin, donne à l’économie capitaliste des sionistes un répit. Cette économie
repose sur des bases très fragiles. Ses produits ne peuvent être concurrentiels
sur le marché mondial. Son seul espoir est le marché intérieur dans lequel les
produits arabes sont interdits. L’afflux continu des immigrants juifs, pouvant
posséder des biens, pourrait faire augmenter la circulation des produits. Cela
permettra aux producteurs bourgeois de se défaire de leurs biens coûteux.
L’immigration de masse serait aussi un moyen très utile pour faire baisser les
salaires qui « pèsent si lourd » sur l’industrie israélienne. Un Etat
engagé dans d’inévitables conflits militaires signifierait des commandes
provenant de l’armée d’Israël, une source israélienne de profit à ne pas
sous-estimer. Un Etat signifierait des milliers de retraites douillettes pour
les hauts fonctionnaires sionistes. »
Les travailleurs
juifs auraient à en supporter le coût sous la forme de prix élevés et de
lourdes taxes. Séparés de leurs frères et sœurs arabes et ne pouvant lutter
comme une classe unie, ils seraient à la merci de leurs ennemis de classe, de
l’impérialisme et de la bourgeoisie sioniste. Comme Chaim Weitzmann, qui allait
devenir le premier président de l’Etat, l’a déclaré : « L’Etat juif va
endiguer l’influence communiste. »
En réponse aux
questions « Que nous promet l’Etat juif ? Est-ce qu’il contient en
lui des éléments progressistes pouvant résoudre la question juive ? »,
la Quatrième Internationale mit en garde : « La partition ne fut pas
mise de l’avant pour résoudre la misère juive et elle ne le fera jamais. Cette
parcelle d’Etat, qui est trop petite pour absorber les masses juives, ne peut
même pas résoudre les problèmes de ses citoyens. L’Etat hébreu ne peut
qu’empoisonner l’Est du monde arabe par l’antisémitisme et pourrait bientôt
s’avérer être, dans les mots de Trotsky, un piège sanglant pour des centaines
de milliers de juifs. »
Pour les leaders
féodaux arabes, le vote de l’ONU pour un Etat sioniste fut un cadeau du ciel,
leur permettant de détourner l’attention des masses d’une lutte de classe unie
et de toute possibilité d’une solidarité de classe internationale en déclarant
la guerre au nouvel Etat sioniste. Le conflit militaire et tout le sang qui a été
versé par la suite, toujours au nom de l’anti-impérialisme, a aussi servi à
briser les mouvements ouvriers des deux côtés, affaiblissant ainsi la classe
ouvrière et renforçant l’impérialisme.
La Quatrième
Internationale insista que le sionisme était un mouvement réactionnaire et
utopiste. Il était utopique de croire que :
1. Un
développement harmonieux dans une économie isolée et fermée au beau milieu d’un
monde capitaliste est possible. Sans l’expansion de l’économie, des millions
d’immigrants juifs ne pourraient être intégrés.
2. Un
Etat juif peut exister malgré l’hostilité ouverte de dizaines de millions
d’Arabes et face à une population arabe qui croît au moins aussi vite que
l’immigration juive.
3. Israël
peut manœuvrer avec succès entre les puissances impérialistes rivales, qui
utilisent toutes Israël pour défendre leurs propres intérêts stratégiques dans
la région.
4. L’antisémitisme
pourrait être éradiqué simplement en donnant une nationalité aux juifs,
ignorant ses racines sociales, historiques et idéologiques.
Le sionisme était
réactionnaire car :
1. Il présente un
appui à la domination impérialiste en offrant une couverture d’arbitre entre
les juifs et les Arabes.
2. Il produit une
réaction nationaliste de la part des masses arabes, créant ainsi une division
raciale dans la classe ouvrière internationale et renforçant
l’« unité » nationale des juifs et des Arabes.
3. En tant que force
nationaliste, il agit comme une rupture de la participation des travailleurs
juifs à la lutte des classes dans le reste du monde, les sépare du prolétariat
mondial, leur donne leurs propres et différents buts à atteindre et, par-dessus
tout, crée des illusions dans la possibilité d’améliorer leur sort dans les
cadres du capitalisme.
La Quatrième
Internationale mit en garde qu’aucune des deux parties dans le conflit opposant
Arabes et sionistes n’avait de caractère progressiste : cette guerre servait
seulement à obscurcir les antagonismes de classe et à faire reculer les limites
des excès nationalistes, affaiblissant ainsi le prolétariat et renforçant
l’impérialisme dans les deux camps. La Quatrième Internationale appela les
travailleurs des deux peuples à s’unir dans un front commun contre
l’impérialisme et ses agents. Elle avertit les travailleurs juifs qu’ils ne
seraient pas libérés et en sécurité tant et aussi longtemps qu’ils n’en
auraient pas fini avec la discrimination nationale, l’isolationnisme et la
loyauté impérialiste.
Quelles sont les conditions à l’intérieur de l’Etat sioniste
aujourd’hui ?
Avançons maintenant
de 60 ans et demandons-nous : quel a été le résultat du projet sioniste pour la
sécurité du peuple juif ? Quelles ont été les principales tendances du
développement qui éclairent notre travail sur les perspectives ?
Premièrement, Israël
a, depuis le début, fait face à une crise économique, sociale et politique.
Il a été découpé avec
quatre autres Etats (Israël, Palestine, Jordanie, Liban et Syrie) de l’ancienne
province syrienne de l’Empire Ottoman. Le capitalisme, à l’intérieur d’un si petit
Etat, entouré d’Etats hostiles, avec peu de ressources naturelles, peu de
réserves d’eau et non-intégré dans une économie régionale plus large, ne fut
jamais économiquement viable. Depuis le début, les régimes arabes ont refusé de
commercer avec Israël et ont boycotté les compagnies qui le faisaient.
C’est cela, au moins
en partie, qui a forcé les gouvernements successifs à chercher à étendre les
frontières d’Israël et, par le fait même, à augmenter les dépenses de l’armée
et des colonies. C’est pourquoi Israël est passé, tout au long de son
existence, d’une crise économique à l’autre et c’est aussi pourquoi il a été
autant dépendant du soutien extérieur. Cela a inévitablement affecté son rôle
internationalement et à l’intérieur de ses frontières.
Dans ses premières
années, Israël a été maintenu à flot par la diaspora, qui offrait 200 millions
de dollars par année avant 1967 et 700 millions pendant les six années qui ont
suivi. Encore aujourd’hui, Israël reçoit 1,5 milliard par année de dons privés
américains. Dans les années 1950, l’argent des réparations allemandes
fournissait une autre importante source de financement : 125 millions de
dollars par année avant 1966. Même après la fin des réparations, l’aide
provenant de l’Allemagne de l’Ouest a continué à affluer à un niveau plus élevé
qu’avant.
Mais la plus
importante source d’aide économique a été, et de loin, le gouvernement
américain. Alors qu’avant 1967 les Etats-Unis fournissait très peu d’aide (50
millions de dollars par année), celle-ci a grimpé jusqu’à 3 milliards par année
en 1986 (1,2 milliard pour l’aide économique et 1,8 milliard pour l’aide
militaire) en plus d’une aide de 500 millions par année provenant d’autres
sections du budget ou dans certains cas, hors budget. Depuis ce temps, l’aide a
été maintenue au même niveau, faisant d’Israël le plus important récipiendaire
per capita de l’aide américaine dans le monde.
Mais cette aide à
Israël diffère de la plupart de l’aide américaine ailleurs. Premièrement,
l’aide américaine est normalement liée à des projets spécifiques et à l’achat
de biens et de services américains et elle est supervisée par l’agence
gouvernementale USAID. Une grande partie de l’aide américaine à Israël va
directement à son ministère des Finances en tant que transfert d’argent.
Deuxièmement, le terme « aide » est une expression qui ne convient
guère. Ce type de transfert d’argent vient habituellement sous la forme de prêt
avec intérêt et obligations de remboursement. Mais une grande part des prêts militaires a
été convertie en subventions et le reste des prêts militaires a été
« gracié » par le Congrès. Seule l’aide économique a dû être remboursée
avec intérêt.
Afin de mettre l’aide
américaine à Israël en perspective, l’aide directe à Israël correspond à six
fois plus que l’aide accordée à l’Afrique subsaharienne. Mais même ces 3,5
milliards de subventions étaient insuffisants. De 1992 à 1996, les Etats-Unis
sont intervenus pour fournir 10 milliards en garanties de prêts et un montant
similaire en 2002-2003. Sans de telles garanties, Israël aurait été en
faillite. Sa dette extérieure est maintenant beaucoup plus importante que son
PIB.
En plus de secourir
l’économie, les Etats-Unis ont aussi permis l’expansion des colonies. Même si
Clinton a officiellement soustrait le coût des colonies de l’aide, il a
simplement mis des montants équivalents disponibles sous forme de subventions à
partir d’autres sources. Les Etats-Unis ont donc en fait subventionné les
colonies.
99 pour cent de
l’aide militaire américaine à Israël n’a été transférée qu’après qu’Israël soit
devenu plus fort que toutes les armées arabes et domine la population
palestinienne. L’aide a augmenté après chaque intervention militaire et la
suppression des Palestiniens. Elle augmenta après les Accords de paix d’Oslo et
elle augmenta après leur échec. Elle continue aujourd’hui alors qu’Israël ne
fait face à aucune menace militaire. En fait, l’aide américaine a pour but
d’assurer la supériorité militaire d’Israël. De façon similaire, les Etats-Unis
fournissent de l’assistance économique à un pays qui a un PIB beaucoup plus
grand que les PIB total de ses voisins arabes, incluant l’Egypte, malgré une
population de 6 millions comparativement à 100 millions.
En plus de
l’assistance économique, les Etats-Unis ont fourni une couverture politique à
Israël à l’ONU. Entre 1972 et 2001, les Etats-Unis ont utilisé leur veto lors
de 39 résolutions du Conseil de sécurité dans le but de bloquer les critiques
des politiques et des actions israéliennes dans les territoires occupés. Ils
ont aussi utilisé leur veto en de nombreuses autres occasions afin de faire
retirer des résolutions ou de les affaiblir. Ainsi, les Etats-Unis ont fait en
sorte qu’aucune action ne soit prise contre Israël pour son attitude de
provocation envers des résolutions de l’ONU ou son développement d’armes
nucléaires.
Quelle a été la contrepartie d’Israël envers les Etats-Unis ?
Israël a empêché des
victoires par les Palestiniens et leurs partisans à l’extérieur même des
frontières d’Israël : en Jordanie en 1970, au Liban en 1976-82 et aussi
dans les territoires occupés. Il a donc aidé à défaire la classe ouvrière arabe
et à maintenir des régimes corrompus au pouvoir. Il a gardé la bureaucratie
stalinienne de Moscou en respect pendant la Guerre froide : en 1967 et
plus tard en 1973, il a défait l’Egypte et la Syrie, les deux armés et aidés
par l’Union soviétique. En fait, Israël a remplacé la Grande-Bretagne après son
retrait « Est de Suez » en tant que policier du Moyen-Orient sous
l’égide de l’impérialisme américain.
Ses fréquentes
guerres ont fourni aux Etats-Unis des occasions de tester leurs armes, souvent
contre l’armement soviétique. Avec son arsenal nucléaire, Israël avait des
armes capables d’atteindre l’Union soviétique. Il a empêché l’émergence de
l’Irak comme une puissance nucléaire avec le bombardement des réacteurs
nucléaires irakiens en 1981.
Israël a aussi rendu
de précieux services en tant que sous-traitant pour les Etats-Unis. Il a servi
de conduit pour les armes américaines à des régimes que les Etats-Unis ne
pouvaient pas s’identifier ouvertement : l’Apartheid en Afrique du Sud,
l’Iran de Khomeyni durant la guerre Iran-Irak ainsi que plusieurs dictatures et
forces rebelles de droite, particulièrement en Amérique latine. Les services
secrets israéliens, le Mossad, ont approvisionné Washington en renseignements
et ce dernier a pu compter sur lui pour réaliser sous l’égide des Etats-Unis
des opérations illégales en sous-main que les Américains ne pouvaient pas
commettre, du moins à la vue de tous. Il expérimenta de nouvelles formes
d’interrogations et de tortures qui seraient utilisées plus tard en Irak.
En d’autres mots,
Israël agit comme un mercenaire de l’impérialisme américain, une situation que
ses propres commentateurs ont comparée au « messager du parrain »
parce qu’Israël accompli le « sale boulot » du parrain qui
« essaie toujours de paraître comme étant le propriétaire de quelque
grande entreprise respectable ». Un intellectuel israélien nota que l’Etat
avait rassemblé trois millions de Juifs en Israël et avait fait d’eux
« parasites des Etats-Unis ».
Croissance de l’antisémitisme
Parmi les plus
puissants facteurs qui ont contribué à raviver l’antisémitisme aujourd’hui sont
les méthodes brutales adoptées par le gouvernement israélien. Ce facteur a été
utilisé de façon très efficace par un régime du Moyen-Orient après l’autre afin
d’attiser l’antisémitisme et de s’en servir comme une diversion pour obscurcir
leur propre banqueroute politique. En partie, cela a été l’un des éléments qui
a, dans la présente confusion politique, encouragé la montée des
fondamentalistes islamistes qui emploient un populisme antisémite pour
manipuler le mécontentement politique.
Deux ans auparavant,
un rapport de l’Union européenne montrait une augmentation dans le nombre
d’attaques des jeunes musulmans européens sur les juifs. Elle établissait un
lien entre la montée des attaques sur les Juifs et les évènements au
Moyen-Orient, particulièrement depuis le début de l’Intifada en septembre 2000
et de l’attaque d’Israël sur Jénine en Cisjordanie en avril 2003. Reconnaître
ces faits ne signifie pas endosser les points de vue antisémites ou défendre
ceux qui les mettent de l’avant. Cependant, la base politique pour une
réémergence dangereuse de l’antisémitisme parmi une deuxième génération
d’immigrants arabes et africains souvent sans éducation politique ne peut être
ignorée.
Israël, lui-même, met
de façon routinière tout le monde dans le même panier en taxant d’antisémite
tous ceux qui critiquent légitimement son traitement des Palestiniens. Toute
approche objective de ce qu’Israël a fait est dépeinte comme de
l’antisémitisme. Cela sert des buts politiques bien précis en obscurcissant la
compréhension politique.
Se sortir d’une autarcie nationale
La solution du
sionisme à ses problèmes économiques — repousser les frontières d’Israël —
s’est avérée ne pas être une solution du tout, et pas seulement parce que cela
a fait d’Israël un paria international et a entraîné des coûts miliaires
massifs. Pendant que dans la période d’après-guerre, Israël évolua comme une
économie régulée nationalement, le développement de la mondialisation à la fin
des années 1970 a rendu cette façon de gérer l’économie impossible. Israël devait
s’intégrer économiquement au Moyen-Orient.
Les politiques de
privatisations, de libéralisme économique et de dévaluations drastiques mises
de l’avant par le gouvernement du Likoud après 1985 ont dévasté une grande
partie des entreprises traditionnelles israéliennes, ont rompu l’économie
régulée nationalement et l’ont ouverte à l’économie internationale. Les
investisseurs institutionnels étrangers ont ainsi commencé à posséder une part
de plus en plus grande des compagnies du marché boursier de Tel-Aviv. De
nombreuses compagnies de haute technologie d’Israël ont commencé à avoir leurs
actions listées à la Bourse de New York et à opérer en dehors d’Israël.
Ces mesures ont aussi
changé la composition sociale des cercles d’affaires d’Israël. Le changement de
cap vers l’internationalisation brisa le vieil équilibre qui avait existé entre
les grandes entreprises et l’establishment militaire à la faveur d’une nouvelle
élite basée sur le secteur de haute technologie israélienne, l’informatique et
la pharmaceutique. La paix avec les voisins arabes d’Israël mènerait à la fin
de son isolement. Elle promettait plus de nouveaux marchés que l’Etat de
garnison d’Israël ne pourrait jamais offrir. Mais le prix à payer pour un rôle
régional plus grand et des marchés qui feraient d’Israël une puissance
économique régionale était une sorte d’entente avec Arafat et les Palestiniens,
même si cela ne représentait pas le retrait complet des territoires occupés et de
Jérusalem comme l’exigeaient les conventions internationales et les résolutions
de l’ONU.
Les Accords d’Oslo
étaient ce prix à payer. Comme le chef du Parti travailliste Shimon Peres l’a
expliqué dans un journal lors d’une interview en 1992 : « Le
monde entier est organisé comme une maison à deux étages : au sous-sol, il
y a les accords régionaux. Et, au rez-de-chaussée : des groupes de
compagnies multinationales. » Il a ensuite parlé plus clairement :
« Nous ne voulons pas la paix entre les nations. Nous voulons une paix
entre les marchés. »
En d’autres termes,
et ce qui tend à être oublié, derrière toute la rhétorique et le remaniement du
Parti travailliste comme le parti de la paix se cache les ambitions d’Israël de
devenir la puissance économique du Moyen-Orient. Faire de la sous-traitance à
un mini-Etat palestinien permettrait l’accès aux marchés arabes et de l’Union
européenne tout en excluant les Palestiniens de la main-d’œuvre israélienne et
préservant la majorité juive en Israël.
Mais une telle
« paix » fameusement proclamée sur le parterre de la Maison-Blanche
en septembre 1993 ne pouvait être rien de plus qu’une chimère. Elle ne pouvait
améliorer les conditions sociales épouvantables des Palestiniens. En fait, elle
n’était pas conçue pour une telle tâche. Israël ferma ses frontières aux
travailleurs palestiniens et remplaça simplement les travailleurs bon marché
palestiniens par des travailleurs asiatiques. Ces travailleurs immigrants
coûtent moins cher et ont encore moins de droits que les travailleurs
palestiniens. Même si leur nombre peut sembler faible, ils sont
proportionnellement les plus nombreux dans le monde. Ils ont eu un impact
considérable, forçant les salaires et les dépenses sociales en Israël à
diminuer et augmentant la pauvreté en Palestine.
Ainsi, Oslo était
destiné à être opposé, malgré la capitulation de l’Organisation de libération
de la Palestine (OLP). De plus, en Israël, Oslo était opposé par les réelles
forces sociales déclenchées par l’expansion d’Israël : les colons et les
ultrareligieux autant que Sharon, Netanyahu et le Likoud. A leur
insistance, les colonies furent étendues.
L’effondrement du cadre
d’Oslo, le soulèvement de l’Intifada qui a suivi en septembre 2000, le coût de
la suppression militaire des Palestiniens, qui coûte actuellement 1,4 milliard
par année, et l’expansion continue des colonies ont été un désastre absolu pour
le capital sioniste et le Parti travailliste. Israël plongea dans la plus
profonde récession de son existence pendant que le tourisme, le plus grand
employeur et source de devises étrangères, et l’investissement étranger s’effondraient.
La plus importante
politique d’Israël — l’expansion des colonies et la guerre meurtrière contre les Palestiniens — a coûté
très cher à la classe ouvrière israélienne. Premièrement, Sharon nomma l’ancien
employé du Fonds monétaire international, Stanley Fischer, pour diriger la
banque centrale et son rival par excellence, Netanyahu, pour diriger le
ministère des Finances. Ensemble, ils ont introduit plusieurs
« réformes » du marché :
* des privatisations
* l’ouverture du
système bancaire israélien à la concurrence
* des coupures dans
les avantages sociaux comme l’assurance-chômage, les primes à l’enfant, d’autres
assurances sociales ainsi que l’aide aux revenus
* le gel des seuils
d’assistance qui sont liés à l’index des prix à la consommation, et non aux
salaires, depuis 2006
* l’augmentation de
l’âge pour bénéficier des pensions
* des baisses d’impôt
aux entreprises et sur le revenu des plus riches
* des lois antisyndicales,
des restrictions sur le droit de grève et l’interdiction de grève dans le
secteur public
Tout cela avait pour
but non pas tant de réduire le déficit du gouvernement que d’affaiblir la
sécurité sociale et augmenter la « flexibilité de la main-d’œuvre ».
Les dépenses pour les forces armées et les colonies, incluant les routes et les
infrastructures, ont augmenté. Par ces mesures, la misère, le chômage et la
pauvreté deviennent réalité pour un nombre croissant de travailleurs et leurs
familles.
Le prix pour l’appui
américain à la prise de territoire par Sharon — incluant le territoire
supplémentaire saisi par le mur de sécurité, même s’il n’a pas été aussi
important que Sharon l’aurait souhaité — était que Sharon soit vu comme faisant
des concessions mineures aux Palestiniens. Cela explique le
« désengagement » unilatéral de Sharon de Gaza — imposé à
l’opposition des ultranationalistes et des forces religieuses — pour lequel il
a été présenté par les médias internationaux comme un « pacifique ».
En réalité, du point
de vue d’une perspective économique, le retrait fait partie d’un plan pour
approfondir l’isolement des Palestiniens et pour assurer leur séparation
absolue d’Israël dans un ghetto militarisé et glorifié. Les exportations de
Gaza ont chuté de moitié. Sharon avait l’intention de restreindre massivement
l’utilisation de la main-d’œuvre palestinienne dans Israël. Cela doit en retour
mener à de futures attaques sur les salaires des Israéliens et sur les
conditions sociales si Israël veut être concurrentiel sur le marché mondial.
En conséquence de
tous ces facteurs — une petite économie autarcique et non viable, l’échec
de la perspective économique qui sous-tendait Oslo, le soulèvement, le coût de
l’armée et des colonies, la main-d’œuvre étrangère bon marché, le chômage et le
resserrement de la sécurité sociale — les travailleurs israéliens et leurs
familles ont vu leur niveau de vie chuter. Le rêve sioniste d’un domicile
national pour les juifs et d’un échappatoire à l’oppression et à la persécution
dans les frontières d’Israël s’est transformé en son opposé.