Les exportations de gaz de la Russie vers l'Europe via
l'Ukraine ont été totalement interrompues, d'après Noftogaz. La compagnie
d'État ukrainienne a déclaré hier que la compagnie russe Gazprom a coupé tout
approvisionnement de gaz. Gazprom a répondu en accusant l'Ukraine d'être à
l'origine des coupures.
Selon la BBC, la Roumanie, la République tchèque, la
Slovaquie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la Grèce, la
Hongrie, la Macédoine, la Serbie et l'Autriche ont indiqué une rupture totale
des approvisionnements depuis l'Ukraine.
Gazprom avait coupé l'approvisionnement de l'Ukraine pour la
première fois le 1er janvier, tout en insistant pour dire
qu’il maintiendrait l'envoi de plus de 300 millions de mètres cubes, à
travers l’Ukraine, vers le marché européen. Le réseau de gazoducs
ukrainien transporte un cinquième de la consommation européenne, ainsi que du
gaz à destination des Balkans et de la Turquie.
Le 5 janvier, le Premier ministre russe Vladimir Poutine a
déclaré que l'approvisionnement de l'Europe via l'Ukraine diminuerait d'un
sixième environ, mais il a affirmé que Gazprom allait augmenter ses fournitures
au reste de l'Europe par d'autres voies. Poutine a également affirmé que
Gazprom avait été contraint de réduire les approvisionnements transitant par l'Ukraine
parce que Naftogaz siphonnait du gaz destiné à l'exportation. Le PDG de
Gazprom, Alexeï Miller, a déclaré que les livraisons à destination de l'Europe
transitant par l'Ukraine pourraient être réduites « de la quantité volée
par l'Ukraine, soit 65,3 millions de mètres cubes de gaz ».
Kiev nie avoir siphonné du gaz, imputant les variations du
débit à des problèmes techniques. Le porte-parole de Naftogaz, Valentino
Zemlyansky, a déclaré que sa compagnie ne volait pas mais qu'elle « retirait
du gaz pour des raisons techniques, pour assurer le transit des exportations
russes ».
Beaucoup de pays sont contraints à puiser dans leurs
réserves nationales limitées ou à augmenter l'utilisation d'autres combustibles
dans le contexte d'une vague de froid qui a augmenté la consommation. La
Bulgarie est particulièrement vulnérable à une coupure des approvisionnements transitant
par l'Ukraine car elle n'a aucune source de gaz en remplacement. L'Ukraine et
les autres pays concernés subissent un hiver particulièrement froid, les
températures y descendent jusqu'à -15°C.
L'Union européenne a publié une diatribe contre l'Ukraine et
la Russie le 5 janvier, admonestant les deux camps de reprendre les
négociations et de ne pas laisser leur querelle affecter les économies des pays
voisins. La présidence tchèque de l’Union européenne a publié une
déclaration adressée à Moscou et Kiev :
« Sans avertissement préalable et en contradiction
flagrante avec les assurances données par les plus hautes autorités russes et
ukrainiennes à l'Union européenne, les fournitures de gaz à certains états
membres ont été fortement réduites. Cette situation est totalement
inacceptable. La présidence tchèque de l'Union européenne et la Commission
européenne demandent que les fournitures de gaz à l'Union européenne soient
rétablies immédiatement et que les deux parties (la Russie et l'Ukraine)
reprennent sur le champ les négociations dans l'objectif d'un accord définitif
sur leur querelle commerciale bilatérale. »
Le président de la Commission européenne, José Manuel
Barroso, a accusé les deux pays de prendre « en otage » les
fournitures de gaz à destination de l'UE et a proposé d'envoyer des experts à
la frontière russo-ukrainienne, et en différents terminaux, pour déterminer
d'où viennent les fuites. Les deux pays se sont officiellement déclarés en
faveur d'une telle initiative.
Une délégation ukrainienne s’est rendue à Prague, la
capitale tchèque, ainsi qu’à Bruxelles où se trouve la Commission
européenne à la recherche de soutien. Le vice-ministre russe des Affaires
étrangères Alexander Gruschko a appelé à une session extraordinaire du
Parlement européen afin de donner à la Russie la possibilité de présenter ses
arguments à l’UE.
La politique du
gazoduc
Tout en cherchant à récupérer les importantes indemnités,
pour retards de paiement, dues par l'Ukraine à Gazprom, lesquelles se montent
actuellement à 600 millions de dollars (environ 450 millions d'euros), l'élite
russe utilise le conflit énergétique à des fins politiques. Tout ce qui peut
déstabiliser le régime du président Victor Youchenko est incontestablement
bienvenu pour le Kremlin, qui est profondément hostile à la volonté de
Youchenko d'intégrer l'OTAN dirigée par les Américains. Il est également
question d'un accord qui aurait été passé entre Moscou et le premier ministre
ukrainien, Yulia Tymoshenko.
Cependant, pour les oligarques qui dirigent Gazprom et
dominent le gouvernement russe, il y a des considérations plus importantes, à
plus long terme, qui interviennent dans leur déstabilisation de
l'approvisionnement de gaz transitant par l'Ukraine.
Le vice-président de Gazprom, Alexandre Medvedev, a insisté
sur le fait que la Russie ne considérait plus l'Ukraine comme un partenaire
fiable pour l'acheminement du gaz vers l'Europe, affirmant qu'il était « nécessaire
de développer, le plus tôt possible, des voies d'acheminement de remplacement ».
La Russie développe en ce moment le gazoduc du Nord qui doit
rejoindre l'Allemagne en passant sous la mer Baltique, ainsi que le gazoduc du
Sud qui rejoindra l'Italie en passant sous la Mer Noire et à travers la
péninsule balkanique. Ces voies de remplacement réduiront grandement la
dépendance de Moscou envers Kiev lorsqu'elles seront achevées, elles
permettront à Gazprom de couper le gaz en Ukraine sans affecter les livraisons
lucratives, et économiquement vitales, à destination de l'UE.
Ces voies ont été critiquées par l'Ukraine et d'autres pays
de transit, membres de l'UE, ainsi que par de nombreux analystes de
l'industrie, comme étant coûteuses et superflues. Ils affirment que les voies
actuelles traversant l'Europe de l'Est sont largement suffisantes pour répondre
à la demande d'énergie de l'Europe de l'Ouest, mais que la Russie développe ces
voies de remplacement pour diviser les Etats européens selon leurs besoins
énergétiques.
L'Union européenne herche à développer ses
approvisionnements en gaz à partir de l'Algérie et de la Norvège. Mais elle
coopère aux projets russes pour les voies du Nord et du Sud. L'Allemagne, en
particulier, a travaillé en lien étroit avec la Russie pour développer le gazoduc
sous la Baltique, contournant la Pologne et les Pays baltes qui s'étaient
opposés à ce projet de crainte qu'il ne les prive de leurs taxes de transit et
qu'il ne les rende vulnérables à une coupure de gaz par la Russie.
La voie du Nord est un projet commun à Gazprom, BASE et Eon
(deux firmes allemandes), et Gasunie (firme hollandaise). Prévue pour 2012,
cette voie ira de Vyborg, au Nord de St-Petersbourg, à Greifswald en Allemagne.
En novembre, le gouvernement allemand a déclaré que ce projet est « indispensable
pour garantir le transport de quantités de gaz plus importantes vers l'Europe à
l’avenir ».
La voie du Sud est un projet en partenariat avec la
compagnie énergétique italienne ENI. Il est séparé en deux branches :
l'une traversera la Bulgarie et la Grèce avant d'arriver en Italie ; la
branche Nord ira de la Bulgarie à la Serbie puis la Hongrie et l'Autriche. Ce
projet comprend une grande installation de stockage en Serbie.
Les deux voies du Sud sont généralement considérées comme la
réponse de Gazprom au projet du gazoduc Nabucco. Financé par l'UE et favorisé
par les États-Unis, le projet Nabucco transportera le gaz naturel provenant
d'Asie Centrale depuis Erzurum en Turquie jusqu'à la gigantesque station
d'interconnexion de Baumgarten an der March en Autriche. Une fois ouverte,
cette voie permettrait à une grande quantité du gaz à destination de l'Europe
de contourner la Russie. L'on estime que le projet de Gazprom passant par le
Sud coûtera deux fois plus cher que le gazoduc Nabucco.