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et analyses : EuropeFrance : Défaite de justesse pour les néo-fascistes
aux élections anticipées à Hénin-Beaumont
Par Antoine Lerougetel
29 juillet 2009
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La défaite de justesse, le 5 juillet, des
néo-fascistes du Front national (FN) aux élections anticipées d'Hénin-Beaumont,
une petite ville de 26 000 habitants dans le Nord de la France, constitue un
avertissement sérieux à la classe ouvrière. Dans des conditions où de grandes
parties de la population ne voient aucune alternative crédible au Parti
socialiste (PS) et au Parti communiste français (PCF), discrédités, et sont
largement exaspérés par la vie politique, le FN peut s'attirer un soutien
significatif.
Ce développement est d'autant plus inquiétant que le
FN n'a jamais eu un soutien électoral important dans le Nord, ancien bassin
minier et bastion de longue date d'une opinion publique de gauche.
Hénin-Beaumont a eu des maires socialistes et communistes depuis la Première
Guerre mondiale. Tout près, la grève de 46 jours des mineurs d'Anzin en 1884,
qui inspira Emile Zola pour son célèbre roman Germinal, entraîna le
passage de la Loi Waldeck-Rousseau qui légalisa les syndicats en France.
Mais les sociaux-démocrates et les staliniens ont
progressivement épuisé leur soutien politique, étant aux commandes durant la
destruction de l'économie. Ville minière de charbon depuis le milieu du 19e
siècle, Hénin-Beaumont a fermé son dernier puits en 1970. Aujourd'hui, elle est
confrontée à un taux de chômage de 19 pour cent.
Les circonstances de ces élections anticipées,
déclenchée par l'emprisonnement le 7 avril du maire socialiste, Gérard
Dalongeville, pour détournement de fonds publics, soulignent l'immense fracture
sociale qui sépare les officiels du PS des travailleurs dans cette région
industrielle dévastée.
Hénin-Beaumont a été pillée par une équipe d'hommes
d'affaires et d'élus du PS. Les articles de presse décrivaient, selon les mots
du site Rue89, « un vaste système de fausses factures, animé par un réseau
d'élus qui échangent factures bidons contre prestations fictives ».
Un exemple révélateur de la corruption municipale fut
la décision du maire de payer les voyages en jet privé de son associé, l'homme
d'affaires Guy Mollet, qui vendait des propriétés publiques pour financer la
fraude.
La police a estimé qu'au moins 900 000 euros ont été
détournés, mais les estimations du total des sommes volées s’élèvent jusqu'à 4
millions d’euros. N'ayant pas de réserves d'argent, la ville est à toutes fins
pratiques en banqueroute. Lorsque la police a fouillé le bureau de Dalongeville
le 7 avril, elle y a trouvé un coffret contenant 13 000 euros en petites
coupures. Le 9 avril, il a été accusé de « détournement de fonds publics, faux
en écriture et favoritisme ». Il a été placé en détention, et son ex-adjoint aux
finances et contrats publics a également été emprisonné.
Dans le premier tour des élections, le 28 juin, la
liste du Front national, activement soutenue par les dirigeants nationaux du FN
comme Marine Le Pen, a reçu le plus de voix, soit 39 pour cent. Le FN s'est
présenté sur la base d’un programme populiste, dénonçant Dalongeville et le PS
tout en faisant attention à ne pas mettre en avant sa rhétorique anti-immigrés.
Le PS, qui avait une liste commune avec le PCF et des
partis de droite plus petits comme le MoDem de François Bayrou, a été relégué en
troisième position par la candidature de « gauche indépendante » de Daniel
Duquenne, avec respectivement 17 et 20 pour cent des voix. Le parti conservateur
au pouvoir, l'UMP (Union pour un mouvement populaire) a fait 4 pour cent et le
Nouveau Parti anti-capitaliste (NPA) de Besancenot, 2 pour cent.
Au second tour, les listes minoritaires ont formé un
« Front républicain », appelant les électeurs à voter pour la liste de Duquenne.
De l'UMP au NPA, ils ont formulé leur appel dans les mêmes termes : tout pour
empêcher le Front National de l'emporter. Avec un taux de participation plus
élevé, le FN a augmenté son score de plus de 7 pour cent, arrivant à 48 pour
cent des voix. Duquenne a obtenu 52 pour cent.
L'establishment politique français a accueilli la
victoire de la coalition « républicaine » avec des clameurs de victoire. Le
ministre de l’UMP Xavier Bertrand, qui avait appelé à voter Duquenne pour
« barrer la route » au Front National, a applaudi la victoire de la « gauche ».
Martine Aubry, première secrétaire du PS, a salué la « victoire du Front
républicain » et affirmé : « c'est la démocratie qui a gagné ».
Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, a
déclaré, « Le PS doit tirer toutes les leçons de cette élection », appelant à
une unité de la gauche « en capacité de porter un projet audacieux face au
chômage et de le mettre en œuvre ». Le NPA a déclaré que « les électeurs
d'Hénin-Beaumont ont évité le pire en empêchant l'extrême droite de prendre le
pouvoir dans une municipalité » et a exprimé son « soulagement ».
De tels jugements sont aussi stupidement complaisants
qu'ils sont politiquement en faillite. Tandis que la défaite du FN reflète les
instincts démocratiques traditionnels de la population d'Hénin-Beaumont, les
politiques qu'appliquera Duquenne, un ancien associé des officiels PS locaux, ne
feront qu'accroître le ressentiment populaire qui a entraîné un certain soutien
au FN.
La chambre régionale des comptes a clairement dit que
le déficit budgétaire de la ville, et ses 39 millions d’euros de dettes, sera
remboursé par la population dans son ensemble. Durant sa campagne, Duquenne a
promis de réduire les dépenses et les embauches de personnel temporaire. Il a
récemment abandonné le contrôle du budget de la ville au préfet, le représentant
local du gouvernement, et mis fin aux subventions aux associations locales.
Plus largement, la prétention à combattre le FN en
soutenant le PS ou ses partis satellites est absurde. Leurs politiques de droite
ont créé les conditions nécessaires à l'émergence du FN, et aujourd'hui ils font
activement des campagnes sur la loi et l’ordre basées sur le ressentiment contre
les immigrés, ce qui aide le FN à se développer.
La montée du FN, parti populiste et raciste, a
commencé en 1983, lorsque le président socialiste François Mitterrand, s'est
lancé dans son « tournant de la rigueur », embrassant le marché capitaliste,
réduisant les dépenses sociales et abandonnant les industries de base comme le
textile, le charbon et l'acier. Le plus important succès électoral du FN a été
son score aux élections présidentielles de 2002, lorsque les désillusions
populaires quant aux politiques libérales du premier ministre socialiste Lionel
Jospin ont fait éclater le vote de gauche. Le FN a obtenu 17 pour cent au
premier tour, éliminant Jospin et accédant au second tour.
La réponse du PS, du PCF, et de la Ligue communiste
révolutionnaire (précurseur du NPA) a été d'appeler à un vote pour le candidat
de la droite, Jacques Chirac. Ayant soutenu Chirac, ils ont rejoint la campagne
des conservateurs pour stimuler le nationalisme et le sentiment anti-immigrés.
Ils ont tous soutenu la loi de 2004 contre le port du voile par les jeunes
filles musulmanes à l'école.
Cet été, le président conservateur Nicolas Sarkozy a
travaillé avec les partis « de gauche » pour préparer une autre campagne raciste
contre les musulmanes portant la burqa ou le niqab. Il soutient une mission
parlementaire menée par André Gerin, le maire communiste de Vénissieux, qui
prépare une loi pour interdire le port de ces vêtements en public dans toute la
France. Onze députés du PS participent également à cette mission parlementaire.
La promotion des formes les plus virulentes du
chauvinisme par de tels partis n'est pas un phénomène purement français, il
s'étend dans toute l'Europe. En Hongrie, le Parti socialiste crée des milices de
droite appelées « gardes villageoises » (Lire :
). En Espagne, le PSOE (Partido Socialista
Obrero Español, Parti socialiste ouvrier espagnol), au pouvoir, fixe des quotas
pour l'expulsion d'immigrés et lance des raids contre les immigrés dans les
quartiers ouvriers.
Ce sont des preuves supplémentaires d'une réalité
politique fondamentale, mise en lumière par la récente défaite de la
social-démocratie aux élections du Parlement européen comme par les crimes du PS
à Hénin-Beaumont : l'effondrement moral et idéologique de la social-démocratie
et des partis staliniens.
De plus, à Hénin-Beaumont comme ailleurs, le NPA a
loyalement joué son rôle de satellite politique de ces partis, sous le couvert
d'une rhétorique pseudo-gauchiste. Avant les élections d'Hénin-Beaumont, il
appelait à une alliance pour créer une « gauche des partis de combat contre la
crise ». De manière absurde, il proposait de former cette alliance avec des
personnels dirigeants de longue date de la bourgeoisie française, comme le PCF
et le Parti de gauche de l'ex-ministre socialiste Jean-Luc Mélenchon.
Reprenant le rôle qu'ils avaient tenu entre les deux
tours de l'élection présidentielle de 2002, où ils avaient appelé à voter Chirac
en répétant sans cesse qu'il fallait maintenir les néo-fascistes hors de
l'Élysée, le NPA a publié un court communiqué avant le second tour à
Hénin-Beaumont, appelant les électeurs à « empêcher le Front National de
s'emparer de la mairie ». Après la victoire de Duquenne, le NPA a publié un
autre communiqué appelant les travailleurs à « se regrouper et agir autour d'un
programme de rupture avec ce système, qui défendrait leurs intérêts jusqu'au
bout ».
Mais les appels elliptiques de ce genre ne servent à
rien, ils ne représentent au mieux qu'une feuille de vigne cachant la course
éperdue du NPA pour obtenir des positions dans l'appareil d'Etat français. Il a
fait liste commune avec le PCF et le Parti de gauche aux récentes élections
anticipées d'Aix-en-Provence. Il est également en pourparlers avec ces partis
pour former des listes communes aux élections régionales de mars 2010. Ils se
sont mis d'accord pour combiner leurs listes avec celles du PS au second tour,
au cas où cela pourrait empêcher les partis conservateurs de prendre une
présidence de région.
L'hypocrisie de ce genre d'accessoires politiques du
PCF et du PS joue un rôle essentiel dans la création des crises comme celle des
élections d'Hénin-Beaumont. Frustrés et désillusionnés par les forfaits du PS et
ne voyant aucune alternative politique crédible, les couches les plus
désorientées de la population ne voient aucune autre option qu’un vote pour le
FN.
Les problèmes des communautés comme Hénin-Beaumont ne
peuvent être résolus sans un programme massif d'investissement et de travaux
publics pour reconstruire les infrastructures et les industries. Mener à bien un
tel programme impliquerait cependant un mouvement de la classe ouvrière pour
éliminer le système de profit qui guide l'économie mondiale et de renverser
l'ordre politique parasitaire qui domine l'Europe. Le Comité international de la
Quatrième Internationale s'est fixé la tâche de construire un parti en France
qui puisse lutter pour une telle perspective.
(Article original anglais paru le 27 juillet 2009)