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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

L’arrestation de Gates et le « débat national sur la race »

Par Tom Eley
31 juillet 2009

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La controverse provenant de l’arrestation à son domicile le 16 juillet de Henry Louis Gates Jr, un éminent érudit afro-américain, a dominé les médias pendant une semaine. Elle a fourni une occasion de plus pour faire passer la race comme la division sociale décisive et pour obscurcir les réalités fondamentales de classe, y compris l’assaut sans précédent perpétré par le gouvernement Obama contre les conditions de vie de la classe ouvrière.

Les détails de l’affaire qui ont été sans arrêt disséminés par les médias sont à présent bien connus. Juridiquement, Gates n’aurait pas dû être arrêté. Mais, ce qui est beaucoup plus révélateur c’est l’utilisation de cet incident dans le but de promouvoir ce que le président Barack Obama, dont l’intervention malheureuse a fait que l’affaire fut catapultée sur le devant de la scène médiatique, qualifie de « modèle de leçon » sur la race.

Les médias, Obama, et les autres politiciens ont utilisé cette controverse qui a entouré l’arrestation de Gates, affaire qu’ils ont eux-mêmes gonflé au point d’en faire une histoire de premier ordre, pour affirmer une fois de plus que la race est l’unique et seule division sociale comptant vraiment dans l’Amérique contemporaine. L’incident, soutiennent-ils, montre que la nation n’a pas dépassé son passé raciste et ce en dépit de l’élection du premier président afro-américain. Ils insistent pour dire que ce qui est nécessaire et ce que l’interpellation de Gates serait susceptible d’initier c’est un nouveau « débat national sur la race ».

Cette formule extraordinairement pompeuse et impliquant que la nation se trouve en plein milieu d’une grande discussion intellectuelle, est absurde. Rien de tel ne se passe qui a trait à la race ou à toute autre question.

Le « débat national » tel qu’il est, place le concept de la race dans une catégorie sociale indépendante, en dehors et sans considération de la classe et de la structure économique même de la société, un point de vue promu des décennies durant par les couches de l’élite académique pour lesquelles la race est une idée fixe. La proposition qu’une telle perspective de faillite puisse fournir la base à un débat intellectuel sérieux ne fait que démontrer la régression étonnante de la pensée sociale américaine survenue ces dernières décennies.

Des ressources énormes ont été investies dans le but de faire de la question raciale la question centrale aux Etats-Unis tout en minimisant et en empêchant littéralement toute discussion sur l’inégalité sociale. Le « débat » est réellement déterminé par de puissants intérêts qui le promeuvent en politique, dans les médias et dans les universités.

La volonté d’abstraire la race de l’inégalité de classe fit son apparition dans les années 1970 après seulement que le reflux du mouvement des droits civiques eut commencé. Tout au long des années 1960, il avait été largement accepté qu’on ne pouvait répondre à ce qui autrefois avait été appelé la « question nègre » sans reconnaître que l’exploitation et la répression des travailleurs noirs étaient finalement des questions de classe liées à la structure sociale, à la fois dans le Sud et les régions urbaines du Nord. En d’autres termes, l’exploitation, la discrimination et la répression étaient considérées comme des expressions raciales d’une réalité sociale et économique sous-jacente. Il s’ensuivit qu’aucune avancée majeure quant à la question raciale ne pourrait être réalisée sans un défi de cet ordre économique et social.

Telle était la perspective qui était à la base du lancement de la campagne des pauvres gens (Poor People’s Campaign) par Martin Luther King Jr. en 1968. King avait cherché à rassembler « une armée multiraciale des pauvres ». Il avait décidé que la lutte pour l’égalité économique était la deuxième et décisive phase du mouvement des droits civiques. Un mois avant que la campagne des pauvres gens ne marche sur Washington, King fut assassiné à Memphis (Tennessee), où il s’était rendu pour soutenir la grève des éboueurs de la ville.

Malcolm X, un autre célèbre partisan de la lutte des noirs pour l’égalité dans les années 1960, avait commencé à être influencé par les idées du socialisme peu de temps avant son assassinat en 1965. « Montre-moi un capitaliste, et je te montrerai un raciste », avait-il l’habitude de dire. La pensée de King et de Malcom X subissait en fait un changement dû aux aspirations sociales et au mouvement de masse des travailleurs noirs à la fois dans le Sud et dans le Nord, un mouvement de plus en plus centré sur les griefs économiques.

La compréhension que la race n’est pas indépendante de l’ordre social, mais en est un produit, a des racines encore plus profondes. W.E.B. Du Bois qui fut un membre fondateur de la NAACP fut, comme nombre de travailleurs et d’intellectuels noirs, électrifié par la Révolution russe de 1917. « La Russie essaie de placer entre les mains des gens qui accomplissent le travail du monde le pouvoir de guider et de diriger l’Etat pour le plus grand bien-être des masses », avait-il conclu. Et l’enracinement social de la race avait inspiré la politique et la prose des grands auteurs afro-américains des années 1920 aux années 1940, dont entre autres Richard Wright, Zora Neal Hurston, Langston Hughes et Claude McKay.

Cette histoire, bien sûr, est écartée du « débat national sur la race » qui s’était d’abord développé au début des années 1970. Cette nouvelle perspective raciale correspondait à un virage bien défini de la politique de la classe dirigeante vers les minorités. Antérieurement interdits d’entrer dans les lycées et les universités d’élite, par coutume sinon par la loi, les jeunes afro-américains furent recrutés et promus au début des années 1970 par les universités du Ivy League [groupe d’universités privées dans le Nord-Est des Etats-Unis] et d’autres institutions réputées. Munie de diplômes des meilleures écoles, cette nouvelle élite minoritaire fut alors prise en main et, une fois de plus par le biais de la politique de la discrimination positive (« affirmative action »), positionnée dans des postes importants dans les institutions académiques, le monde des affaires, du gouvernement et de l’armée.

Les deux développements, la promotion incessante de la race comme catégorie sociale décisive et la promotion d’une nouvelle élite noire, ne sont pas sans importance. Des milliers de lieues séparent la nouvelle minorité élitaire des masses de pauvres et des minorités de la classe ouvrière dont les intérêts sociaux objectifs sont partagés par les travailleurs blancs. La promotion de la race et la « politique identitaire » était l’antidote à cette réalité, en clamant que l’identité raciale était plus cruciale que la réalité de classe.

L’ensemble de la carrière d’Obama, depuis son séjour à l’université Colombia, est l’expression accomplie de ce processus; ce fut finalement en raison de son identité ethnique qu’Obama fut promu à la présidence comme l’incarnation du « changement ». Une fois au pouvoir, il lança l’offensive la plus brutale de l’histoire des Etats-Unis contre les emplois et les conditions de vie de la classe ouvrière, noire, blanche et immigrée.

Obama et l’élite noire se considèrent comme étant la figure de proue du mouvement des droits civiques. Partant de leur perspective, il ne reste rien que les travailleurs noirs puissent obtenir. Obama l’a révélé dans son récent discours prononcé devant la NAACP, l’organisation des droits civiques d’antan. « C’est parce que les lois Jim Crow ont été abrogées que des PDG noirs dirigent des entreprises figurant au classement du magazine Fortune 500 », avait-il dit. « Parce que les lois sur les droits civiques ont été votées, que des maires noirs, des gouverneurs noirs, des parlementaires travaillent en des lieux où par le passé ils auraient non pas simplement pu voter, mais pu prendre une gorgée d’eau. Et parce que des gens ordinaires ont fait ces choses si extraordinaires… qui m’[ont] permis d’être ici ce soir en tant que 44ème président des Etats-Unis d’Amérique. »

Le « débat national sur la race » est encadré de manière à servir les intérêts de l’establishment politique tout en portant un intérêt à cette petite section d’Afro-Américains qui furent promus aux échelons supérieurs du gouvernement et des affaires. Leurs succès individuels sont survenus en ayant pour toile de fond une pauvreté et une oppression aux effets de plus en plus dévastateurs pour les masses de travailleurs et de jeunes afro-américains.

L’on peut dire avec certitude qu’en une seule semaine l’arrestation de Gates et sa prétendue signification raciale ont reçu de la part des médias davantage de couverture que celle attribuée ces derniers mois à l’impact social dévastateur qu’a eu sur les travailleurs noirs la fermeture des usines automobiles dans la région de Detroit.

En effet, dans le même discours prononcé devant la NAACP, Obama avait dit que les jeunes de la classe ouvrière noire étaient responsables de leur propre sort, malgré le chômage et la misère sociale considérable déclenchés par la crise du capitalisme. « Ce n’est pas une raison pour avoir de mauvaises notes, ce n’est pas une raison pour sécher les cours, ce n’est pas une raison pour abandonner la scolarité et quitter l’école », avait dit le président. « Nous devons apprendre à nos enfants…Votre destin est entre vos mains… Pas d’excuses… toutes ces difficultés vont simplement te rendre plus fort, mieux à même de prendre part à la compétition. » (Voir Le discours d’Obama devant la NAACP).

Parmi les conditions qu’Obama a rejetées comme une « excuse » pour de « mauvaises notes » se trouvent l’énorme présence dans la vie des jeunes de la police et du système de justice criminelle. Le « profilage racial » de travailleurs afro-américains, latinos et immigrés est très réel. La raison en est que ces populations constituent les sections les plus appauvries et les plus opprimées de la classe ouvrière. Il ne fait pas de doute que la colère de Gates vient du fait, qu’en dépit de sa fortune et de son prestige considérables, il fut soumis au genre de traitement auquel les travailleurs et les jeunes africains-américains sont confrontés au quotidien.

La réaction d’Obama à l’affaire Gates contraste fortement avec son indifférence à l’égard de l’acquittement de la police dans le cas du meurtre brutal d’un jeune travailleur noir à New York, Shawn Bell, la veille de son mariage, comme le notait un article perspicace paru récemment dans le NewYork Times. Dans ce cas, Obama, le candidat présumé, avait répondu que « le plus important était, pour les gens qui sont préoccupés par cette fusillade, de savoir comment se retrouver ensemble pour s’assurer que de telles tragédies ne se reproduisent plus. »

Mais le harcèlement policier, la maladresse et la violence sont des réalités dans la vie des jeunes de la classe ouvrière indépendamment de la race. Le matraquage et l’agression au Taser (« taserings ») de jeunes gens a lieu tous les jours ; ces incidents n’accèdent au rang d’information que quand ils sont filmés ou si la victime décède après coup. Les meurtres policiers sont fréquents mais ils sont rarement punis.

Les jeunes gens entrent et sortent continuellement de l’immense système carcéral national. Les Etats-Unis ne comptent que pour cinq pour cent de la population mondiale, mais pour 23,6 pour cent de la population carcérale. Aux Etats-Unis, selon une étude récente, un homme sur 18 est emprisonné ou condamné avec sursis ou libéré sur parole. Parmi les jeunes noirs entre 20 et 34 ans, un sur neuf se trouve derrière les barreaux. La population carcérale a quadruplé depuis 1980, marquant le début de la dernière offensive de classe majeure contre les travailleurs américains.

Ces conditions, auxquelles les travailleurs et les jeunes sont confrontés, n’étaient certainement pas la préoccupation d’Obama lorsqu’il s’est mêlé de l’affaire Gates. Elles ne figureront pas non plus au centre du dernier « débat national sur la race » dont le but même est d’obscurcir la réalité sociale morose et le système de profit qui en est la source.

(Article original paru le 28 juillet 2009)


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