La défaite massive du parti gouvernemental hongrois MSZP
(socialiste) à l'élection européenne de juin a provoqué un nouveau et
spectaculaire tournant à droite de la part de cet ancien parti stalinien
d'Etat. Le MSZP veut mettre en place de soi-disant « gardes villageoises »
dans les communes. Celles-ci porteraient des armes et exerceraient les fonctions
qui sont celles de la police. A l'avenir, elles seraient aussi actives dans les
centres importants du pays.
Ce genre de milice existe déjà depuis deux ans en Hongrie.
La soi-disant « garde hongroise », qui est associée au parti d'extrême
droite Jobbik, terrorise de préférence les quartiers habités par les Roms et
les étrangers. On lui attribue plus d'une dizaine de meurtres, parmi lesquels
celui d'un enfant de quatre ans.
Les arguments avec lesquels le premier ministre indépendant,
nommé par les socialistes, Gordon Bajnai justifie les « gardes villageoises »
sont en tous points semblables à ceux de la droite. « L'ordre doit
régner en Hongrie — elles [les gardes] sont déterminantes pour toute
l'évolution et la gestion de la crise » dit Bajnai selon le journal Pester
Lloyd, à Miskolc, une ville du Nord-Est de la Hongrie, où il parlait devant
une classe composée de « personnel de sécurité» , des gens destinés à
devenir des « auxiliaires de police » et formés par la police.
Le fait que Bajnai parle publiquement à Miskolc a une
signification particulière. Le nombre de Roms vivant dans cette ville est
particulièrement élevé. Le chômage, la pauvreté et la criminalité également. Le
chef de la police de la ville avait fait parlé de lui il y a un an, lorsqu'il
avait accusé, dans une tirade raciste, les Roms d'être responsables de la criminalité
et du déclin social. Il fut révoqué, mais seulement pour un jour. A la suite de
protestations de la part de politiciens de droite et de policiers, on l'avait
restauré dans ses fonctions et le gouvernement social-libéral lui avait accordé
une rallonge budgétaire de 7,4 millions d'euros.
On recrute les « auxiliaires de police » parmi des
jeunes socialement déchus qui sont sans éducation, sans travail et sans
perspective. La première centaine de ces personnes formée à Miskolc comme
personnel de sécurité sera armée et affectée aux commissariats des environs. Le
Pester Lloyd décrit ces éléments, dont on se sert déjà en d'autres
lieux, comme étant des « personnages d'apparence fruste (signe caractéristique :
forte nuque et chaîne en or) qui jouent aux gardiens de l'ordre, ailleurs ce
sont d'anciens officiers de l'Armée populaire qui paradent en tenue martiale
dans les rues, ailleurs encore des hommes ultra-bavards du type Blockwart
[soi-disant « chef de bloc », chargé de surveiller un pâté de maisons
sous les nazis, ndt.] passent leur temps en "patrouille" ».
La mise en place de ces « gardes villageoises » est
une réaction du MSZP à la récente montée électorale de Jobbik et à ses propres
sondages, de plus en plus mauvais. Le MSZP est passé pour la première fois sous
la barre des 10 pour cent, selon une enquête de l'institut de sondage Nezöpont
Intezet. Ce parti qui gouverne le pays depuis 2002 se trouve ainsi au même
niveau que le parti néo-fasciste Jobbik.
Mais il serait trompeur de ne voir dans ce tournant à droite
du MSZP qu'une réaction tactique en vue des prochaines élections
parlementaires. Les cercles dirigeants hongrois se préparent bien plutôt à de
violents conflits avec l'ensemble de la classe ouvrière. Les Roms, qui furent
déjà victimes des persécutions et des plans d'extermination nazis pendant
l'occupation de la Hongrie dans les années quarante, servent à présent à ces
cercles de bouc émissaire et de paratonnerre.
Les Roms représentent la plus importante minorité de la
Hongrie. Selon des estimations officieuses, ils constituent entre 4 et 10 pour
cent de la population. Malgré le fait qu'ils vivent en Hongrie depuis cinq cents
ans et sont pour la plupart sédentaires, ils font l'objet d'une forte
discrimination sociale. Ce sont eux qui ont souffert le plus des suites
économiques de la restauration du capitalisme et ils appartiennent aux couches
les plus pauvres du pays. Leur espérance de vie est d'environ dix ans inférieure
à celle de la moyenne de la population. Seul un tiers des enfants roms
fréquentent une école conduisant à un certificat comparé à 90 pour cent pour le
reste de la population. Le chômage des jeunes est chez eux considérable.
Face à la crise économique qui a pris possession du pays, le
gouvernement intensifie les attaques contre l'ensemble de la classe ouvrière.
Après avoir fait accepter des baisses sensibles de revenus aux salariés du
secteur public, le gouvernement a ordonné de nouveaux taux d'imposition, qui
font sentir leurs effets depuis le premier juillet. La taxe sur la valeur
ajoutée (TVA) est passée de 20 à 25 pour cent, ce qui a encore fait monter le
prix des aliments de base et de l'énergie, déjà en augmentation permanente. Un
nouvel impôt immobilier frappe les ménages qui ont financé leur maison ou leur
appartement en monnaie étrangère et qui, du fait de la dévaluation du forint,
la monnaie hongroise, sont menacés de faillite.
La réforme de l'impôt sur le revenu rapproche la Hongrie du
taux unique d'imposition existant déjà depuis pas mal de temps dans les pays
voisins de Slovaquie et de Roumanie. Ce type de système dégrève les hauts
revenus aux dépens des faibles et moyens revenus ainsi que des chômeurs, qui
doivent désormais payer des impôts sensiblement plus élevés.
Bajnai et les socialistes au gouvernement sont déterminés à
poursuivre ce cours et à l'intensifier, alors que la crise financière creuse
des trous de plus en plus larges dans le budget de l'Etat et aggrave la
situation de l'économie.
« Après que les mesures gouvernementales ont
déjà éliminé plusieurs tabous au cours de 75 premiers jours de [notre] mandat,
nous nous trouvons devant de nouvelles décisions clés à prendre dans les six à
neuf mois à venir »déclara Bajnai dans une interview donnée
au magazine économique HVG. « Les dépenses des budgets communaux et
fédéraux et du système de transport public doivent faire l'objet d'une
réduction de l'ordre de 100 milliards de forints supplémentaires (370 millions
d'euros). »
L'Europe occidentale exerce une forte pression qui pousse le
gouvernement hongrois à imposer de telles mesures. L'Union européenne et le
patronat exigent de nouvelles mesures d'austérité aux dépens de la population
laborieuse.
Depuis les privatisations des années 1990, les entreprises
allemandes et autrichiennes ont pu s'imposer comme les plus importants
investisseurs du marché hongrois. Elles y ont investi environ 7,7 milliards
d'euros. Avec la crise économique, ces investissements se sont totalement arrêtés.
Selon l'Agence de promotion du commerce et des investissements (ITD) il n'y a
plus du tout d'investissement direct en provenance d'Autriche. En 2008
c'étaient encore 900 millions d'euros qui étaient venus du pays voisin, ce qui
représentait presque un quart de tous les investissements directs en Hongrie.
Le secteur financier est lui aussi fortement intégré sur le
plan international. Les banques allemandes et autrichiennes comptent parmi les
plus grandes institutions financières de la Hongrie. Un des problèmes-clés du
secteur financier est la dévaluation du forint qui plonge ceux qui ont des
crédits en monnaie étrangère dans des dettes incontrôlables. Dans l'intervalle,
le coût de tels crédits a augmenté de 20 pour cent. Selon l'autorité de
surveillance bancaire hongroise, 20 000 débiteurs ont demandé une aide et
ont négocié une transformation de leurs crédits en forints ou un moratoire.
La chambre de commerce américaine en Hongrie, l'AmCham,
exige elle aussi de nouvelles démarches de la part du gouvernement hongrois
afin de renforcer la compétitivité du pays. Une déclaration de cette
organisation patronale américaine dit qu'elle s'attend déjà, pour les premières
mesures, à de nombreux « éléments positifs », mais que bien
d'autres choses sont encore nécessaires.