Fareed Zakaria, éditorialiste pour le magazine Newsweek
International, a écrit un essai intitulé « Le manifeste
capitaliste : l’avidité est une bonne chose (jusqu’à un
certain degré) » censé exprimer le soulagement, montrer que la panique créée
par la crise financière mondiale est en train de s’apaiser et offrir
aussi l’assurance qu’en dépit de toutes ses fautes, le capitalisme
demeure « le moteur économique le plus productif que nous ayons inventé jusque-là ».
Le problème avec l’affirmation selon
laquelle une fois de plus tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes
est que la crise, loin d’être arrivée à son terme, commence tout juste à
se développer.
Zakaria commence par se consoler de ce que
les crises financières de ces vingt dernières années ont toutes été surmontées
en ayant eu pour conséquence une croissance économique plus grande. Le crash
boursier de 1987 a défié les prédictions d’un retour à la Grande Dépression
« en se révélant être une défaillance passagère sur la voie d’un
boom bien plus grand et de plus longue durée ». La crise financière
asiatique de 1997 n’avait pas résulté en une récession mondiale. Au lieu
de cela, les économies asiatiques « s’étaient reprises dans les deux
années qui suivirent ». L’effondrement du fonds
d’investissement Long-Term Capital Management en 1998, décrit alors par
le secrétaire au Trésor des Etats-Unis de l’époque, Robert Rubin, comme
étant « la pire crise financière de ces 50 dernières années »,
n’avait pas entraîné la fin des fonds d’investissement. Ceux-ci se
sont en réalité plutôt « considérablement accrus » depuis.
Comment ces crises passées avaient-elles été surmontées ?
Comme le remarque Zakaria, le président de la Réserve fédérale (FED) américaine,
Alan Greenspan, avait toujours prôné la même solution : diminuer les taux
d’intérêt et fournir de l’argent facile en créant une série de
bulles financières.
Quand la crise des crédits « subprime » a débuté,
le président de la FED, Ben Bernanke, a suivi le même processus. A cette
occasion, toutefois, la baisse des taux d’intérêt ne réussit pas à
réduire la crise. La FED commença à injecter des liquidités en août 2007 mais
la situation ne fit que s’aggraver. La banque d’affaires Bear
Stearns fit faillite en mars 2008 suivie de l’effondrement de Lehman
Brothers en septembre et, dès la fin 2008, malgré l’injection massive de
liquidités les cinq grandes banques d’investissement de Wall Street
s’étaient soit effondrées soit avaient été obligées de mettre en
œuvre des plans de restructuration. Le système financier mondial était au
bord de l’écroulement.
Ceci en soi montre déjà que, loin de correspondre au tableau
dépeint par Zakaria, à savoir que cette crise ressemble à toutes les autres
depuis 1987, l’effondrement qui a commencé en 2007 a induit un changement
qualitatif dans un processus continu.
Zakaria est obligé de reconnaître que le système financier
mondial s’est « effondré plus souvent ces dernières trente années
qu’à n’importe quelle autre période comparable de l’histoire ».
Mais, il insiste pour dire que le problème n’est pas le système de profit
en soi. « Ce à quoi nous assistons n’est pas une crise du
capitalisme. C’est une crise de la finance, de la démocratie, de la
mondialisation et finalement une crise de la morale. »
Pour commencer, séparer le capitalisme de chacun de ces
phénomènes est absurde, comme si le mode capitaliste de production pouvait être
extrait d’une façon ou d’une autre de la situation historique dans
laquelle il est placé ; comme s’il ne façonnait pas
l’environnement sociopolitique dans lequel il opère, y compris la morale dominante.
Examinons une à une les explications que Zakaria donne de la
crise. Il insiste, comme beaucoup d’autres, que la faute se trouve dans
l’application du système financier.
« La finance a foiré ou pour être plus précis, les
banquiers ont foiré. En juin 2007, lorsque la crise financière a commencé,
Coca-Cola, PepsiCo, IBM, Nike, Wal-Mart et Microsoft présentaient tous des
bilans solides et un modèle d’affaires judicieux. Les principales
entreprises américaines étaient hautement rentables et elles dépensaient avec
prudence en s’accrochant à leurs liquidités dans le but de se constituer
un coussin en cas de récession. »
La séparation de la finance (le mauvais côté) du reste de
l’économie capitaliste (le bon côté) a une longue histoire. Elle fut
traitée par Marx dans sa critique cinglante de l’anarchiste
petit-bourgeois français Proudhon il y a plus de 150 ans. Comme
l’expliquait Marx alors, le « mauvais » côté ne peut pas être
séparé du « bon » surtout quand il apparaît que la plupart du temps
le « mauvais » côté est la force motrice du développement historique.
Et ceci est le cas dans la présente situation. Le développement du capitalisme
américain, et de l’économie mondiale, s’est basé sur les vastes
changements associés au processus de financiarisation qui a débuté dans les
années 1980.
Quelques chiffres illustrent ce qui s’est produit. En
1980, les entreprises financières comptaient pour quelque 5 pour cent dans
l’ensemble des bénéfices des entreprises. En 2006, ce pourcentage était
passé à environ 40 pour cent. A l’échelle mondiale, en 1980 les valeurs
financières égalaient presque en valeur le produit intérieur brut (PIB) mondial.
Vingt-cinq ans plus tard, elles représentaient 350 pour cent du PIB mondial. Au
cœur de cette transformation se trouve l’accumulation de la dette du
secteur financier de l’économie américaine. Elle est passée de 63,8 pour
cent du PIB en 1997 à 113,8 pour cent en 2007, suite au fait que les banques et
les entreprises financières avaient plongé de plus en plus profondément dans la
dette pour financer leurs opérations financières fondées elles-mêmes sur la dette.
Le développement et l’augmentation de la financiarisation
n’était pas simplement un choix, mais était la réaction à la crise du
processus d’accumulation capitaliste qui s’était développée à la
fin des années 1960 et 1970. Confronté à une baisse du taux de profit, le
capitalisme américain entreprit à partir de la fin des années 1970 un important
programme de restructuration qui prévoyait la destruction de vastes pans de
l’industrie manufacturière, une attaque concertée de la position sociale
de la classe ouvrière, le développement de la délocalisation et de l’externalisation
dans le but de profiter d’une main-d’œuvre meilleur marché, ainsi
que le recours en tant que source de profit à la manipulation financière telles
les offres publiques d’achat (OPA) hostiles et les fusions.
Un nouveau mode d’accumulation
La transformation de l’économie américaine dans les
années 1980 a vu l’émergence d’un nouveau mode d’accumulation
dans lequel le profit était fait par l’appropriation, par des méthodes
financières, de richesse déjà créée. Au cours de l’histoire, la richesse
avait été accumulée dans l’économie américaine par
l’investissement, le commerce et la production manufacturière. A présent,
la force motrice de l’accumulation était devenue l’augmentation du
prix des actifs. C’est ce qui a déterminé la physionomie de
l’économie américaine et l’accumulation du profit par toutes les
sections du capital, même celles qui n’étaient pas directement liées à la
finance.
Dans les années 1950 et 1960, les entreprises manufacturières
basées sur la production à la chaîne, ne représentaient pas la majeure partie
de l’économie américaine. Mais l’augmentation considérable de la
rentabilité permise par ces méthodes créait des conditions dans lesquelles tous
les secteurs du capital étaient en mesure de s’étendre. C’était une
société dominée par ce que les sociologues ont appelé le « régime
fordiste » dans lequel, comme le remarquait l’ancien PDG de General Motors
Charles Wilson dans une phrase devenue célèbre « ce qui est bon pour le pays
est bon pour General Motors et vice versa. »
Au cours de ces 25 dernières années, le rôle fondamental joué
autrefois par la production à la chaîne dans l’économie américaine a été
joué par le capital financier.
Peu importe qu’une société capitaliste soit saine ou
bien gérée, l’accumulation du profit est un processus social. L’expansion
de toute société dépend de la croissance de l’économie en général. Et,
aux Etats-Unis, le capital financier a été la force motrice.
Toute tentative de séparer le « mauvais » côté du
« bon » côté échoue dès qu’on y regarde d’un peu plus
près. Zakaria nomme diverses entreprises comme faisant partie du
« bon » côté du capital américain. L’une
d’entre elles est Microsoft. Mais, l’une des principales
sources de profit de Microsoft a été la vente d’ordinateurs et de logiciels
qui ont stimulé le secteur financier. Examinons Nike et Wal-Mart. Ils ont fait
des profits par l’exploitation de main-d’œuvre bon marché en
Chine et dans d’autres pays, dans les conditions d’une production mondialisée.
Mais ces opérations impliquant des relations financières complexes n’auraient
pas été possibles sans la croissance des produits dérivés financiers. Dans le
même temps, Nike et Wal-Mart n’auraient pas pu rester rentables sans
l’augmentation de la dette à la consommation aux Etats-Unis, une grande
partie de cette dette provenant du crédit immobilier, qui a soutenu les
dépenses à la consommation en dépit de la stagnation ou du déclin des revenus
réels durant le dernier quart de siècle.
La signification essentielle de la crise financière mondiale
est qu’elle marque l’effondrement du mode d’accumulation qui
avait prévalu ces dernières 25 années.
Les actifs financiers tirent en dernière analyse leur valeur
de leur exigence sur la production de richesse réelle. Les actions en sont un
exemple patent. L’action est la revendication d’une part des
rentrées régulières générées par une entreprise particulière. Cette action peut
être achetée et vendue et, sur le marché, sa valeur peut s’accroître
au-delà de la valeur des actifs qui en forment la base.
Le fait que les actifs financiers aient presque quadruplé
par rapport à la production mondiale au cours de ces deux dernières décennies
et demie signifie que leurs revendications par rapport à la richesse réelle ne
peuvent être satisfaites. Cette différence est exprimée dans l’émergence
des soi-disant « actifs pourris » (toxic assets) dans les bilans des
banques et des institutions financières, des revendications par rapport au
revenu et à la richesse qui sont en fait sans valeur.
En d’autres termes, la crise n’est pas une crise
de liquidité, autrement dit un manque de fonds suffisants pour assurer le
fonctionnement d’un système autrement sain, mais d’insolvabilité.
Son ampleur est indiquée par le fait que vouloir rétablir la parité qui avait
existé en 1980 entre la valeur des actifs financiers et le PIB mondial voudrait
dire éliminer des actifs financiers d’une valeur correspondant à deux
fois le PIB mondial.
Ces chiffres montrent clairement la signification des plans de
renflouement et de sauvetage que les gouvernements ont lancé de par le monde.
Ils n’ont rien à voir avec la sauvegarde des emplois et des conditions de
vie de la classe ouvrière. Ils visent plutôt à transférer à l’Etat le
plus possible des dettes massives et des « actifs pourris » amassés
par les institutions financières et les banques.
C’est précisément cette opération de sauvetage par
l’Etat qui a stimulé les marchés boursiers au cours de ces derniers trois
mois et qui a permis à Zakaria de pousser un soupir de soulagement. Comme le rapportait
un récent article du Wall Street Journal,
l’une des principales raisons du sursaut de plus de 30 pour cent est « déconcertante
tant elle est simple ». Les marchés financiers « regorgent de fonds
gouvernementaux » suite aux plus importants plans de sauvetage combinés de
l’histoire moderne.
Le gouvernement américain a déjà promis de verser 12,7
billions de dollars pour étayer le système financier, soit à peu près
l’équivalent du produit intérieur brut américain. Depuis
l’intensification de la crise financière en septembre 2008, les
gouvernements de par le monde ont engagé 18 billions de dollars de fonds
publics, l’équivalent de presque 30 pour cent du PIB mondial, pour
recapitaliser les banques. Ceci a conduit à un éclatement de leur position
fiscale.
En Grande-Bretagne, l’on s’attend à ce que la
dette gouvernementale atteigne bientôt 100 pour cent du PIB tandis que la dette
gouvernementale japonaise devrait approcher les 200 pour cent d’ici 2011
et la dette du gouvernement des Etats-Unis les 100 pour cent du PIB dans le
même laps de temps. Selon les économistes du FMI, le ratio d’endettement
public au PIB des pays du G20, qui représentent quelque 85 pour cent de
l’économie mondiale, aura augmenté de 36 points de pourcentage du PIB par
rapport aux niveaux atteints à la fin de 2007.
Un nouveau régime politique
Le financement gouvernemental ne peut cependant pas se
poursuivre indéfiniment. Les dettes contractées par l’Etat pour financer
les banques seront payées par des coupes dans les dépenses publiques et les
services sociaux et un appauvrissement de force de la classe ouvrière.
L’ampleur de cette attaque contre les conditions sociales et le niveau de
vie sera directement proportionnée au montant des sommes d’argent engagées.
Selon une évaluation faite en Grande-Bretagne, la consommation dans ce pays
devra être réduite d’au moins 20 pour cent par rapport à son niveau de
2006-2007 pour pouvoir amorcer le retour à l’équilibre des comptes
publics.
Zakaria souligne la croissance « terrifiante » de
la dette gouvernementale aux Etats-Unis, notamment quand des droits et des
engagements de retraite en font partie, et remarque que « personne
n’a sérieusement essayé de combler le fossé, ce qui ne peut se faire
qu’en (1) augmentant les impôts ou (2) en diminuant les dépenses. »
« Voici la maladie de la démocratie moderne : le
système ne peut pas imposer une souffrance à court terme pour des gains à long
terme. » Les implications politiques sont claires : il est impossible
d’imposer les coupes massives des dépenses publiques et des revenus
nécessaires à l’effacement de la dette gouvernementale dans le cadre de
l’ordre politique actuel. La restructuration des Etats-Unis et des autres
principales économies capitalistes requiert un régime nouveau et infiniment
plus répressif.
Zakaria déploie des efforts extraordinaires pour essayer
d’affirmer que le capitalisme n’est pas la cause de la crise. Le
vrai problème, insiste-t-il, n’est pas l’échec, mais trop de
succès. Le monde est arrivé à « un degré extraordinaire de stabilité
politique » ; il n’y a pas de compétition militaire majeure
entre les grandes puissances ; la violence politique connaît un déclin.
Compte tenu des guerres qui sont menées par les Etats-Unis en Irak, au Pakistan
et en Afghanistan, une telle affirmation ne peut être qualifiée que
d’absurde. Quant à la persistance des rivalités entre grandes puissances,
il suffit de noter l’inquiétude permanente et croissante qui règne dans
le milieu des responsables politiques américains quant à la montée de la Chine.
Zakaria ne laisse pas les faits déranger l’histoire
qu’il veut raconter. La stabilité politique, affirme-t-il, est allée de
pair avec une réduction de l’inflation, avec la croissance économique et avec
l’établissement d’un système économique mondial. C’est ce
« bon temps » qui a rendu les gens complaisants et plus
déraisonnables au fur et à mesure que le coût du capital a baissé. « L’économie
mondiale est devenue l’équivalent d’une voiture de course, plus
rapide et plus complexe que n’importe quel véhicule jamais vu. Mais il
s’avéra que personne n’avait jamais piloté une telle voiture avant
et personne ne savait comment le faire. Elle a donc eu un
accident. »
Qu’en est-il de l’avenir ? « Le vrai
problème », poursuit-il, « est que nous continuons de piloter cette
voiture. L’économie mondiale demeure hautement complexe, interconnectée
et déséquilibrée. Les Chinois continuent d’accumuler leur excédent
commercial qu’ils doivent placer quelque part. Washington et Beijing
devront travailler dur pour stabiliser petit à petit leur dépendance mutuelle
de façon à ce que le système ne soit pas confronté à un autre crash. »
En d’autres termes, la crise est passée et toutes les
conditions qui l’ont produite sont encore présentes et loin d’être
résolues.
Lénine avait remarqué une fois que la force du marxisme vient
de ce qu’il est vrai. De temps en temps, même des adversaires conscients
du marxisme sont obligés, en raison de la logique même des faits objectifs, de
noter des processus qui constituent le cœur de l’analyse marxiste. C’est précisément le cas ici.
Selon Zakaria, « Plus généralement, la crise à laquelle
nous sommes confrontés est la mondialisation elle-même. Nous avons mondialisé
les économies des nations. Le commerce, les voyages et le tourisme rapprochent
les gens. La technologie a créé des chaînes mondiales de distribution,
d’entreprises et de clients. Mais notre politique reste résolument
nationale. Cette tension est au cœur de nombreux crash dans ce domaine, un
décalage entre des économies liées entre elles et qui produisent des problèmes mondial,
mais pas de processus politique adéquat qui puisse produire des solutions
mondiales. »
Le mouvement marxiste a depuis longtemps identifié comme l’une
des contradictions centrales du monde capitaliste celle existant entre le
développement mondial des forces productives d’un côté et le système
d’Etat-nation sur lequel s’élève la superstructure juridique et
politique de l’autre. C’est cette contradiction qui fait que le
socialisme basé sur le développement d’une économie planifiée à une
échelle internationale est une nécessité historique. Tout comme l’ordre
politique du féodalisme avait dû être renversé pour permettre le développement
des forces productives sous le capitalisme, il en est de même aujourd’hui
de la production mondialisée qui a rendu le système capitaliste
d’Etat-nation aussi réactionnaire et arriéré que l’étaient il y a
deux à trois siècles les principautés et les royaumes féodaux.
Cette contradiction était survenue durant la première
décennie du siècle dernier sous la forme de la Première Guerre mondiale. Elle
est à présent apparue une fois de plus à un niveau bien plus élevé. Elle ne
peut être résolue que par la prise de pouvoir politique de la classe ouvrière à
une échelle mondiale ; car autrement l’humanité risque d’être
plongée dans des guerres et des crises économiques éventuellement plus
dévastatrices encore que celles qui ont marqué les cinq premières décennies du
vingtième siècle.
Zakaria appelle à une meilleure coordination internationale.
Mais la logique objective du système capitaliste elle-même pousse les
événements dans la direction opposée. La production capitaliste se fait à une
échelle mondiale. Son objectif n’est pas de satisfaire les besoins de
l’humanité, mais d’accumuler du profit privé. Lorsque
l’accumulation s’accroît, les différentes sections du capital,
remarquait Marx, opèrent comme une sorte de fraternité en se partageant le
butin entre eux. Lorsque le système s’effondre et qu’il n’est
plus question de se partager le profit mais d’essayer d’éviter les
pertes, une lutte féroce éclate. Un tel effondrement n’implique plus des
luttes concurrentielles intenses sur le marché, comme c’était le cas au
dix-neuvième siècle, mais avec l’énorme développement de l’industrie
et de la finance capitalistes, les crises économiques occasionnent
inévitablement l’implication directe de l’Etat capitaliste.
C’est ce qui s’est passé l’année dernière.
Après l’écroulement de Lehman Brothers en septembre, et le risque
d’effondrement du système bancaire et financier, chaque gouvernement de
par le monde a réagi non pas en faveur d’une action coordonnée mondialement,
mais pour protéger son « propre » système bancaire en précipitant
immédiatement des conflits. Dans les mois qui ont suivi, les divergences
n’ont fait que s’accroître. Les Allemands et les Français sont
hostiles aux plans de sauvetage du gouvernement américain parce qu’ils
craignent, à juste titre, que ceux-ci permettront aux banques américaines de
préserver leur position de domination mondiale. Le gouvernement américain quant
à lui, rejette les appels en faveur d’une plus grande régulation parce
qu’ils visent le système bancaire américain. Entre-temps, le gouvernement
britannique ne veut pas introduire des régulations plus strictes de peur de
mettre en danger la position de Londres, décrite par l’éditorialiste du Financial Times, John Plender, comme étant
« le lieu des aventures du système financier mondial. » Ceci suscite
l’opposition du gouvernement allemand qui nourrissait l’espoir que
la crise serait porteuse de davantage d’opportunités pour Francfort. Les
diverses interventions au profit des entreprises ont également aiguisé les
rivalités nationales. Le plan de renflouement d’Opel du gouvernement
allemand par exemple met en danger la production en Belgique, soulevant même
des questions à propos d’une éventuelle violation des règles qui gèrent
l’existence du marché unique européen.
En ce qui concerne une coordination entre les Etats-Unis et
la Chine en vue de résoudre le problème du déséquilibre monétaire
international, la Banque centrale chinoise a, par deux fois dans les trois
derniers mois, appelé à la restructuration du système financier international
et au remplacement du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale. Au cas où
ceci aurait lieu, il s’ensuivrait un rapide déclin de la position
mondiale du capitalisme américain qui a tiré d’énormes avantages du rôle
joué par le dollar en tant que monnaie mondiale.
En l’absence d’une coopération internationale,
Zakaria met en garde qu’il « y aura davantage de crash, et [qu’]
il pourrait éventuellement y avoir une retraite hors de la mondialisation vers la
sécurité, et la croissance lente, d’économies nationales
protégées. » Dans les années 1930, le développement précisément d’une
telle situation avait conduit à la Deuxième Guerre mondiale. Ceci aurait même
des conséquences encore bien plus destructrices de nos jours.
A la fin, Zakaria conclut en disant qu’une
« crise morale » pourrait « se trouver au cœur de nos
problèmes. » La majorité de ce qui s’est passé au cours de ces dix
dernières années était légitime, mais « très peu de personnes ont agi de
manière responsable ». Pourtant, poursuit-il, rien de tout cela
n’est arrivé parce que « les hommes d’affaires sont subitement
devenus plus immoraux. Cela fait partie de l’ouverture et de la
compétitivité accrue du monde des affaires. »
Zakaria a choisi de ne pas développer ce point parce que
cela ne montrerait que trop clairement que cette « crise morale » est
elle-même l’expression de la crise de l’économie capitaliste.
Le processus même lié à la montée du capital financier a
rendu la ligne de partage entre la légalité et l’illégalité encore plus
indécise, sans parler de moralité et d’immoralité.
Dans un monde où des opérations financières portant sur plusieurs
millions ou milliards de dollars et comprenant des instruments financiers
dérivés complexes, où la valeur des actifs financiers peut être modifiée en
changeant la valeur de l’une ou de l’autre variable du modèle
mathématique sur lequel elle est basée ; où plus un dérivé financier est complexe
et obscur plus il rapportera de profit à son vendeur ; où de vastes
fortunes peuvent être constituées par la spéculation financière et où une
entreprise, qui n’a recours pour améliorer ses résultats à aucune des
méthodes douteuses les plus récentes, risque d’être avalée par un
dépeceur d’entreprise financé par des fonds spéculatifs, à quel prix la morale ?
De plus, le développement de l’oligarchie financière
qui domine et contrôle l’ensemble du système politique signifie que toute
réforme rationnelle de l’ordre actuel est impossible même si une solution
était disponible.
Les forces productives de l’économie mondiale, la
voiture de course complexe et puissante, pour reprendre l’analogie de
Zakaria, créées par le travail intellectuel et physique conjoint de la classe
ouvrière mondiale se sont développées dans des proportions considérables. Et
elles ne doivent plus rester entre les mains de l’élite dirigeante qui a
perdu le droit historique, politique et moral de garder la commande du volant.
C’est pourquoi une révolution socialiste et le transfert du pouvoir
politique entre les mains de la classe ouvrière est devenu une nécessité
historique.