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WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

Le manifeste de Québec solidaire et le poison du nationalisme

Par Richard Dufour
14 juillet 2009

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Québec solidaire (QS), une organisation dite « de gauche » qui a fait élire un député aux dernières élections provinciales, a publié le 1er mai dernier un manifeste intitulé : « Pour sortir de la crise : dépasser le capitalisme ? ».

Le titre ambigu sous forme d’interrogation a pour but de faire passer QS pour une organisation radicalement opposée à l’ordre existant.

En fait, ce regroupement d’éléments venus d’organismes communautaires, de groupes de pression et d’ex-radicaux de la classe moyenne, n’aspire qu’à une chose : s’intégrer pleinement à l’establishment politique. C’est ce que confirme une lecture attentive du manifeste.

Celui-ci est articulé autour de deux idées centrales. Premièrement, QS nie toute base objective à la crise historique qui frappe aujourd’hui le capitalisme mondial, rejetant du même coup la nécessité d’instaurer le socialisme par la lutte politique indépendante des travailleurs.

Il cherche plutôt à convaincre l’élite dirigeante d’abandonner le « néo-libéralisme », présenté comme une simple idéologie dénuée de base matérielle. Selon QS, c’est cette « idéologie » qui aurait donné naissance au « capitalisme débridé » et mené au bout du compte à l’effondrement financier actuel.

Le véritable rapport entre idéologie et intérêts de classe se trouve ainsi complètement inversé. Il s’agit là de la vieille illusion petite-bourgeoise qu’il serait possible de dépouiller le capitalisme de ses « mauvais côtés » pour n’en garder que les « bons ».

Deuxièmement, QS prône plus de pouvoirs pour l’État provincial québécois, jusqu’à la pleine souveraineté envers l’État fédéral canadien, comme étant la voie vers « un monde meilleur ».

En réalité, c’est le moyen pour une couche des classes moyennes de prendre une part plus active à la gestion de l’État québécois et aux privilèges qui y sont associés, en échange des services politiques qu’elle rend à l’élite dirigeante en appliquant un vernis  « populaire » et « démocratique » à cet instrument de classe de la grande bourgeoisie québécoise.

Québec solidaire est orienté politiquement vers le Parti québécois, le parti pro-indépendantiste de la grande entreprise québécoise qui a mis la hache dans les programmes sociaux lors de ses deux derniers mandats à la tête du gouvernement provincial (1994-2003). Le programme de la souveraineté du Québec sert à garder les travailleurs du Québec politiquement subordonnés à l’élite dirigeante québécoise, en les empêchant de s’unir à leurs frères et sœurs de classe du Canada, des États-Unis et d’ailleurs dans une lutte commune contre le capitalisme.

Québec solidaire s’accroche à l’État national en tant que bouée de sauvetage face au capitalisme décadent alors que cette forme politique représente justement tout ce qu’il y a d’historiquement dépassé dans le système de profit.

L’incapacité de freiner la propagation de la crise financière est largement due aux rivalités nationales, les principaux États-nations (l’Amérique en tête) cherchant à s’extirper de cette crise aux dépens des autres. Et c’est cette même contradiction fondamentale entre le système des États-nations et les besoins d’une économie mondiale intégrée qui attisent le militarisme et le chauvinisme national, posant un énorme danger à l’humanité toute entière.

Revenons maintenant plus en détail sur le contenu du manifeste.

Le document commence par faire référence à la crise financière mondiale qui a éclaté à l’été 2007 lorsque le marché des prêts hypothécaires à risque (ou subprimes) s’est effondré aux Etats-Unis. Parmi « les impacts sur l’économie réelle », le document cite « des fermetures d’usine, des mises à pied, des faillites », avant de soulever la question : « Mais d’où viennent ces différentes crises ? »

Il s’ensuit une longue description des montages financiers associés aux subprimes (« déréglementation du marché financier », « conditions de prêts extrêmement avantageuses », « marges de crédits hypothécaires »), le tout menant à la thèse centrale suivante : « quand les gens arrêtent de rembourser leurs prêts, la roue cesse de tourner ».

Pour Québec solidaire, la cause de la pire crise économique depuis au moins la Grande Dépression des années 30 se trouve dans un manque de consommation causé par une crise du crédit. Le caractère superficiel de cette explication ressort dans le passage suivant :

« L’endettement permet de répondre à une contradiction inhérente au capitalisme : pour dégager des profits, les patrons baissent les salaires ou les font stagner alors que le coût de la vie augmente ; mais pour que l’économie roule, il faut que les gens achètent les biens produits par les entreprises»

La sous-consommation des travailleurs a caractérisé le capitalisme tout au long de son histoire. C’est le mécanisme même de l’exploitation, la source du profit : le salaire que le travailleur reçoit en échange de sa journée de travail est inférieur à la valeur ajoutée de son travail.

Ce rapport d’exploitation inhérent au capitalisme ne l’a pas empêché, à son époque ascendante, de développer les forces productives à un rythme jamais vu auparavant.

La roue a continué de tourner dans la mesure où l’exploitation capitaliste permettait d’accumuler les profits, le seul véritable but de la production du point de vue de la minorité possédante.

Si elle se brise aujourd’hui, c’est parce que l’accumulation des profits, basée sur l’exploitation du travail humain, a atteint une limite objective dans un contexte d’automatisation où le travail humain occupe une part toujours plus mince du processus de production. 

La crise économique actuelle est donc avant tout une crise de production, et non de consommation. Elle exprime la nécessité historique de remplacer la production pour le profit individuel par la production pour les besoins humains.

Le point de vue petit-bourgeois de Québec solidaire le rend incapable de considérer le système capitaliste en tant que système de production historique, qui correspond à une étape dans l’évolution de l’humanité.

D’où l’approche subjective du manifeste en ce qui a trait aux causes de la crise actuelle. QS soulève par exemple la question : « Mais comment cette crise des subprimes a-t-elle pu se répandre au cœur du système financier au point d’ébranler les bourses et le système bancaire mondial ? »

Sa réponse est de citer une série de produits financiers opaques ayant servi à gonfler la bulle du crédit avant de conclure sur la note suivante : « La crise financière a donc commencé par un assouplissement des règles dans le crédit hypothécaire … [et une] déréglementation des secteurs financiers. »

Cette déréglementation est présentée comme un simple choix idéologique, alors que c’était la réponse de l’élite dirigeante à une crise de l’accumulation des profits, elle-même le produit des contradictions fondamentales du capitalisme – la contradiction entre les besoins sociaux et le profit individuel, et celle entre l’État-nation et l’économie mondiale.

Dans la mesure où le manifeste fait référence aux conditions objectives qui prévalaient lors du tournant néolibéral, c’est du point de vue d’une simple toile de fond, et non en tant que déterminant essentiel de ce tournant.

On peut y trouver certaines références historiques qui sont correctes, prises isolément : le fait qu’en « 1945, l’économie des États-Unis comptait pour la moitié de l’économie mondiale » ; que « les grandes entreprises … pouvaient se permettre … d’accorder des concessions à leurs travailleuses et travailleurs » ; qu’à « partir des années 1970… ce système est déstabilisé par la montée des compétiteurs en Europe et en Asie ».

Mais le tout reste à un niveau schématique qui dissimule le caractère fondamental du tournant opéré au début des années 1970 par la classe dirigeante au niveau de sa politique économique et sociale.

Ce tournant dit « néolibéral » était en réponse à l’effondrement de l’équilibre capitaliste de l’après-guerre qui était basé sur la position économique dominante des États-Unis.

Pour faire face à la baisse du taux de profit, la classe dirigeante a entrepris de démanteler l’Etat-providence, de briser les syndicats militants et d’utiliser les avancées technologiques pour faire sauter les contraintes imposées par l’État national sur la mobilité du capital et étendre sa production à l’échelle mondiale à la recherche de la main-d’œuvre la moins chère.

La déréglementation des marchés financiers a été une étape dans ce processus de mondialisation et de « libération » du capital de toute entrave nationale. Elle allait aussi devenir un moyen pour la classe dirigeante de contrer la baisse des profits, au moins temporairement, par la manipulation d’une masse de capital fictif qui semblait avoir la propriété magique de grossir d’elle-même. Une bulle financière a succédé à l’autre (internet à la fin des années 90, les marchés immobiliers dans les années 2000) jusqu’à ce que tout l’échafaudage financier ne s’écroule faute de base solide dans la production même.

L’ensemble de ces processus historiques est abordé par QS de manière abstraite. Parlant de la « période de la stagflation » des années 1970, le manifeste en tire la conclusion suivante : « C’est le prétexte rêvé pour les néolibéraux pour infliger des reculs aux syndicats, exiger des États des coupures dans les protections sociales qu’ils ont consenties au cours de la période de croissance et ainsi en finir avec l’État-providence en vigueur. »

L’emploi du mot « prétexte » évacue d’un trait toute notion de conflit de classe ayant un caractère objectif. Ce rejet de la lutte des classes est encore plus explicite à la fin du manifeste, où l’on peut lire : « Les crises financière, économique et écologique relèvent d’une idéologie, le néolibéralisme, qui propose une vision fortement individualiste de la société et un laisser-faire économique aux effets dévastateurs. »

Le corollaire politique de l’analyse économique subjective de Québec solidaire est un appel, non pas à l’action politique indépendante des travailleurs, mais aux éléments « éclairés » de l’élite dirigeante.

« Toute solution qui aurait pour objectif de "moraliser" le monde financier », écrit QS dans son manifeste sur le ton le plus sérieux, « sera appréciée, évidemment ». Il en énumère d’ailleurs toute une série lui-même: « Interdire la spéculation et les paradis fiscaux ? Contrôler démocratiquement les institutions financières ? Réformer la fiscalité pour qu’elle redistribue la richesse équitablement ?  Revoir le système international d’échanges des biens et des services afin de favoriser la coopération au lieu de la compétition ? »

Des millions d’emplois sont éliminés dans le monde ; les fonds de pension sont dilapidés ; les budgets pour l’éducation, la santé et autres programmes sociaux sont charcutés ; l’argent des contribuables est détourné par trillions vers les coffres des grandes banques responsables de la crise en premier lieu ; bref, la classe dirigeante, devant la crise finale de son système, veut entraîner l’humanité avec elle dans l’abysse. 

La classe ouvrière ne peut répondre à cette grave menace qu’en menant avec tout autant de détermination sa propre lutte politique sur la base d’une perspective socialiste. Elle doit se méfier en particulier des groupes de protestation de la classe moyenne, comme Québec solidaire, qui cherchent à l’endormir par des contes de fée sur de possibles mesures palliatives dans le cadre du capitalisme.

L’autre danger politique contre lequel les travailleurs doivent se prémunir est celui du nationalisme, tel que mentionné au début de cet article.

Le manifeste de Québec solidaire présente la mondialisation (toujours suivie de l’épithète « néolibérale ») comme un complot des « capitalistes purs et durs » pour « empêcher les États d’intervenir pour contrôler ces rapaces de l’économie ».

L’intégration sans précédent de l’économie mondiale reflète plutôt la tendance inhérence des forces productives à dépasser le cadre trop étroit des États-nations et représente de ce point de vue un immense potentiel de progrès socio-économique.

Le principal obstacle à la réalisation de ce potentiel, à l’utilisation des vastes ressources disponibles pour satisfaire les besoins humains, se trouve justement dans la survivance de l’État national au sein duquel le capitalisme s’est historiquement développé.

Mais QS s’accroche à cette forme archaïque et va jusqu’à préconiser un retour à la petite production locale, appelant dans son manifeste à « [R]ecentrer les villes, villages et quartiers sur leurs propres capacités à se développer économiquement ».

La classe ouvrière, en tant que classe internationale objectivement unie dans un vaste processus mondial de production, n’a aucun intérêt à défendre cet instrument de la classe capitaliste dirigeante qu’est l’État national. Ni à en créer de nouveaux, comme le prône Québec solidaire en Amérique du Nord, et une panoplie de mouvements nationalistes petits-bourgeois à travers le monde.

La tâche de l’heure des travailleurs du Québec n’est pas d’ériger un État national sous la subordination d’une aile de la grande entreprise menée par le Parti québécois. C’est plutôt de bâtir leur propre parti politique de masse basé sur un programme socialiste et internationaliste. Telle est la perspective pour laquelle lutte le Parti de l’égalité socialiste (Canada), en étroite collaboration avec les partis de l’égalité socialiste établis ailleurs dans le monde.

 


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