Sa position officiellement confirmée mercredi en tant que
nouveau commandant du président Barack Obama pour la guerre en Afghanistan et
au Pakistan, le général Stanley McChrystal s’est vu accorder des pouvoirs
exceptionnels pour mettre sur pied sa propre équipe.
Selon plusieurs articles publiés jeudi, McChrystal, pour la
création d’un comité permanent de guerre surnommé cellule de coordination
Afghanistan-Pakistan, recruterait bon nombre d’éléments d’une escouade
d’assassins ultra-secrète qu’il commandait sous l’administration Bush.
Cette unité, le Joint Special Operations Command (JSOC),
fut formée en décembre 1980 dans la foulée de l’opération militaire avortée qui
devait libérer des otages américains en Iran. Le commandement, composé de la
Delta Force et des Navy SEALs, dirige des unités spéciales dans des opérations
secrètes, souvent en collaboration avec des escouades de la CIA.
Sous le commandement de McChrystal entre 2003 et 2008, on a
relié JSOC à des assassinats dans plus d’une douzaine de pays ainsi qu’à des
enlèvements et de la torture. Sous l’administration Bush, il aurait mené des
opérations secrètes en Iran, dont l’enlèvement et l’assassinat d’officiels
suspectés d’aider les groupes de miliciens irakiens.
Plus tôt cette année, le chevronné journaliste d’enquête
Seymour Hersh, qui écrit présentement un livre sur le sujet, a qualifié le
commandement de « département de l’assassinat de l’exécutif ». Hersh
a affirmé que le JSOC avait pour tâche « de se rendre dans des pays… de
trouver des gens dont les noms étaient sur une liste, de les exécuter et de
sortir de là ». Il a de plus ajouté que, sous l’administration Bush,
l’unité se rapportait au bureau du vice-président Dick Cheney.
Selon le New York Times, McChrystal « a obtenu
carte blanche pour sélectionner une équipe rêvée de subalternes, y compris de
nombreux vétérans des opérations spéciales ». Le journal a expliqué
l’« extraordinaire marge de manœuvre » dont a pu bénéficier le
général par l’inquiétude de l’administration Obama face à la guerre. En effet,
depuis l’invasion américaine du pays en octobre 2001, les plus hauts niveaux de
violence ont été enregistrés au cours de la dernière année et les talibans
ainsi que d’autres groupes d’insurgés ont pris le contrôle de la majeure partie
du pays.
Citant des statistiques provenant du Pentagone, McClatchy
News rapporta que, « Durant les cinq premiers mois de l’année, les
attaques des insurgés en Afghanistan ont augmenté de 59 pour cent, les morts
dans les forces de la coalition ont grimpé de 62 pour cent et l’utilisation
d’engins explosifs a augmenté de 64 pour cent par rapport à la même période
l’an dernier. »
Le mois dernier, le secrétaire à la Défense, Robert Gates,
a annoncé le congédiement précipité du général David McKiernan et son
remplacement par McChrystal, un geste qui reflétait une détresse grandissante à
Washington. Le grand remaniement avait suivi les conclusions d’un détachement
spécial du Pentagone mené par McChrystal en mai qui avait rapporté, concernant
l’Afghanistan que la « situation de la sécurité dans les zones clés soit
est médiocre, soit est dans une impasse ou bien se détériore. »
Choisi pour devenir l’adjoint de McChrystal et devant
superviser les opérations quotidiennes en Afghanistan, on trouve le
lieutenant-général David Rodriguez, l’ancien commandant de la 82e division
aéroportée, qui avait été choisi l’année dernière par le secrétaire à la
Défense Gates en tant qu’assistant pour le personnel militaire. Rodriguez est
apparemment un ami de longue date et protégé de McChrystal.
McChrystal a sélectionné le major-général Michael T. Flynn
comme conseiller au renseignement pour l’Afghanistan, a rapporté le Times.
Flynn, qui est présentement le directeur du renseignement pour l’état-major
interarmes à Washington, avait précédemment servi comme chef du renseignement
pour McChrystal dans les opérations obscures du JSOC.
Le général Scott Miller a été choisi comme le commandant en
chef de la Cellule de coordination Afghanistan-Pakistan. Il est depuis
longtemps officier des opérations spéciales et, en tant que capitaine, avait
commandé les troupes de la Delta Force dans le fiasco de « Blackhawk
Down » de l’armée américaine à Mogadiscio en Somalie.
Selon le Wall
Street Journal, la prétendue cellule de coordination a « pour modèle
le système qu’a mis en place le général McChrystal en Irak alors qu’il
commandait les Marines et d’autres forces spéciales ».
Il a été
rapporté que les unités qu’il a commandées en Irak auraient mis en œuvre un
programme d’assassinat dans ce pays dont l’objectif était d’éliminer ceux qui
étaient soupçonnés de diriger des groupes d’insurgés irakiens hostiles à
l’occupation américaine. Sous son commandement, il y avait aussi les personnels
responsables d’un centre de détention et d’interrogation près de l’aéroport de
Bagdad connu son le nom de Camp Nama, où les prisonniers étaient soumis à un
abus systématique équivalent à de la torture. La devise de l’unité responsable
de ce camp était « Pas de sang, pas de problème », pour signifier que
tous les genres d’abus qui ne faisait pas saigner ses victimes étaient
acceptables et ne provoqueraient pas d’enquêtes ou d’accusations. Des soldats
qui ont été affectés à cette unité ont rapporté que McChrystal en était un
visiteur régulier.
Etant donné
son histoire, il est remarquable que le comité sur l’armée du Sénat sous
direction démocrate n’ait pas soumis McChrystal à un interrogatoire sérieux ou
prolongé durant son passage la semaine dernière devant le comité qui étudiait
sa nomination. Le président du comité, le sénateur du Michigan Carl Levin a
réglé la question de la torture en entrée de jeu en aidant McChrystal à faire
porter le blâme au secrétaire de la Défense de cette époque, Donald Rumsfeld,
et, ce, sous les ordres de Washington.
Dans un de ses
éditoriaux, le quotidien de droite Wall Street Journal s’est réjoui de
l’échec des démocrates à utiliser la question de la torture, ayant supposé le 4
juin qu’il en était ainsi parce que « le général McChrystal a été nommé
par le président Obama, pas le président Bush ».
Au bout du
compte, le seul obstacle à la nomination de McChrystal a été posé par les
républicains qui ont laissé les procédures traîner en longueur.
Pour mettre
fin au blocage des républicains, le leader de la majorité au Sénat Harry Reid a
déclaré devant le Sénat mercredi dernier qu’il avait reçu un appel de l’amiral
Mike Mullen, le plus haut gradé américain. Le chef de l’état-major interarmes
lui avait dit, a affirmé Reid, que McChrystal devait se rendre en Afghanistan
le soir même et qu’« un avion l’attendait actuellement » parce
qu’il n’y avait pas de commandant sur le sol afghan.
« Approuvez
donc sa nomination ce soir pour qu’il puisse partir », a dit Reid. Les
républicains du Sénat ont répondu en déposant une motion recommandant
McChrystal dans son poste en même temps que deux autres nominations militaires.
La couverture
qu’ont faite les médias de la nomination de McChrystal et des changements de la
stratégie de guerre que signifie la création de la Cellule de coordination Afghanistan-Pakistan
a consisté en suggestion que la rotation prévue de ce groupe de 400 personnes
entre la zone de guerre en Afghanistan et la planification de cette guerre à
Washington allait permettre d’avoir un personnel « ayant développé de l’expertise ».
La carrière
militaire de McChrystal et des hauts officiers qu’il a choisis comme adjoints,
toutefois, suggère plutôt que se qui se prépare, c’est une importante escalade
des meurtres en Afghanistan en mettant en place le même genre de méthodes qui
furent employées lors de l’Opération Phoenix au Vietnam ou des escadrons de la
mort lors de l’intervention américaine au Salvador.
Prenant la
parole devant un groupe de journalistes lors d’un vol qui l’amenait à une
réunion de l’OTAN à Bruxelles, le secrétaire à la Défense Gates a répété les
avertissements donnés par de hauts responsables de l’armée selon qui
l’augmentation du nombre des soldats américains qui atteindra 70 000 avant
la fin de l’année signifie que le bain de sang deviendra lui aussi plus
important.
« Nous
avons été très ouverts pour annoncer que lorsque nous enverrons plus de soldats
dans des régions qui n’ont pas encore vu de forces du gouvernement afghan ou de
l’ISAF (Force internationale d'assistance et de sécurité), il y aura plus de combats
et donc par conséquent plus de victimes. »
Pour son
escalade de la guerre en Afghanistan et sa constante expansion au-delà de la
frontière avec le Pakistan, l’administration Obama a choisi comme commandant un
officier parmi ceux qui étaient le plus profondément impliqués dans les
opérations criminelles réalisées sous Bush et Cheney. Cette nomination, et sa
confirmation par un Sénat sous contrôle démocrate, est un signe clair qu’il y a
consensus au sein de l’élite dirigeante à Washington sur la politique à suivre
en Afghanistan. Cette politique signifiera encore plus de crimes de guerre
contre le peuple afghan dans la campagne de Washington pour affirmer son
hégémonie en Asie centrale par des moyens militaires.