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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La loi Bachelot poursuit la destruction du système de santé français

Par Olivier Laurent
24 juin 2009

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La loi de réforme de la santé défendue par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, en discussion au Parlement depuis plusieurs mois et votée par le Sénat le 5 juin, pourrait porter le coup de grâce à un modèle de santé déjà fortement malmené depuis une vingtaine d'années par les réformes successives de l’assurance maladie, les déremboursements répétés de médicaments et des franchises médicales, ainsi que les exonérations de cotisations sociales des entreprises (42 milliards d’euros pour 2009, soit plus de cinq fois le déficit de l’assurance maladie).

Cette loi intitulée « Hôpital Patients Santé et Territoires » (HPST) contient une multitude de mesures disparates touchant de nombreux aspects en rapport avec la santé, mais ses principales mesures visent à réduire les dépenses et à permettre au secteur privé de se développer.

L'HPST est un approfondissement de la loi « Hôpital 2007 » en vigueur depuis 2002. Celle-ci augmentait le pouvoir des directeurs d’hôpitaux au détriment des conseils d’administration, et donc le poids du gouvernement face aux représentants des personnels et des usagers. De plus, elle augmentait la part de la Tarification à l’Activité (la T2A) dans le financement. Avec la T2A, les établissements qui recevaient une dotation en fonction de leur capacité d’accueil furent désormais dotés en fonction de leur activité. Cela revenait à un financement « à l'acte » comme dans le privé. Le nouveau type de dotation a été introduit à hauteur de 10 pour cent du budget des hôpitaux publics en 2004 pour atteindre 50 pour cent en 2008. Selon la nouvelle loi, elle devrait arriver à 100 pour cent en 2012.

C’est une aubaine pour les cliniques privées : n'ayant aucune obligation de service public, elles peuvent se spécialiser dans les activités les plus rentables, y prendre des parts de marché aux hôpitaux publics et laisser ceux-ci assumer seuls les patients aux maladies chroniques, ou non rentables pour d'autres raisons. Par exemple, 98 pour cent des malades atteints du sida sont traités dans le public.

Depuis sa mise en œuvre, les déficits des hôpitaux s'envolent. En 2007, ils ont atteint 660 millions d’euros et cela va s’accentuer avec sa généralisation. En conséquence, cette marchandisation des soins affecte aussi les personnels. Soumis aux mêmes pratiques managériales que dans n'importe quelle grande compagnie privée, ces derniers subissent des pressions croissantes afin de répondre aux impératifs de rentabilité. Les Plans de retour à l'équilibre imposés par le gouvernement (en supplément du passage à la T2A) devraient entraîner la disparition de 20 000 postes dans les hôpitaux publics.

Le financement grandissant du secteur public par la T2A ne peut conduire qu’à son implosion au vu des missions et des objectifs qui lui sont assignés : continuité des soins, accueil large aux urgences, interventions non programmées et aussi les très importantes fonctions de formation des personnels et de contribution à la recherche.

Le gouvernement cherche de plus à obtenir qu'une part croissante des financements soit à la charge des collectivités locales, ce qui rompt avec la notion de péréquation et les rendra encore plus tributaires des aléas de l'économie locale.

La nouvelle loi renforce la préparation aux fermetures d’hôpitaux. Localement, la politique gouvernementale est incarnée dans le SROS (Schéma Régional de l’Organisation Sanitaire), un découpage du territoire de chaque région en territoires de santé. Ce schéma prépare ces derniers à la fermeture d'établissements, et à la fermeture de nombreux services dans les établissements qui subsisteront, notamment les blocs opératoires. La contrepartie sera une concentration des activités dans les Centres hospitaliers universitaires (CHU). Mais, qu'ils soient urbains ou ruraux, les patients subiront un recul de la qualité des soins, par l'éloignement et par la baisse globale des moyens financiers.

Le projet HPST encourage également la création de Groupements de coopération de santé (GCS), présentés comme des contrats de coopération entre les secteurs public et privés. À terme, l'idée est de permettre aux GCS de devenir des Établissements publics de santé, plus libres de fixer leurs tarifs tout en pouvant recevoir directement des subventions. C’est la porte ouverte à des actes de santé publique pratiqués pour le profit du secteur privé.

Pour défendre ses arguments, le gouvernement les fait relayer par le Collectif inter associatif sur la santé (CISS), regroupant une trentaine d'associations de malades. Financé par la fondation Pfizer France (les laboratoires Pfizer sont une importante firme pharmaceutique), la mutuelle Mederic (dont l'un des frères de Nicolas Sarkozy, Guillaume, est délégué général) et le ministère de la Santé, le CISS se cache derrière l'appellation de « défenseur des usagers des services de santé » pour donner une caution d'objectivité aux arguments du gouvernement. Dans un communiqué du 16 octobre 2008, il a apporté son soutien au projet de loi en estimant que « le projet va dans le bon sens » et ajoutant, « Acceptons donc quelques contraintes pour assurer une meilleure régulation du système ! ».

Le système actuel d’Etat providence remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La classe ouvrière française était prête à en découdre avec une bourgeoisie totalement discréditée par sa collaboration avec le régime nazi et craignant un mouvement révolutionnaire. Pour rétablir l'ordre, le programme du Conseil national de la résistance — réunissant l’extrême-droite, gaullistes, patronat, monarchistes, staliniens et sociaux-démocrates — devait apporter des garanties importantes à la population, qui sortait de quatre années de privations, quant à son niveau de vie.

Selon l’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 : « la sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes […] Elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain qui crée chez eux un sentiment d’insécurité et fait peser, à tout moment, la menace de la misère [...] »

La France est aujourd’hui encore l’un des premiers pays d’Europe pour ses dépenses sociales : 11 pour cent de son PIB y est consacré, et le taux de prise en charge par le régime général de l’assurance maladie s’élève à 77 pour cent, un des plus importants des pays riches. Ce qui résulte dans une espérance de vie moyenne de 80 ans (77 pour les hommes, 84 pour les femmes) parmi les meilleures au monde avec la Suède et le Japon.

Mais derrière cette statistique générale, les disparités s'accumulent depuis 20 ans, quel que soit le gouvernement. Il y a par exemple neuf années de différence d’espérance de vie, à 35 ans, entre un cadre et un manœuvre. Le système fonctionne à la limite de ses capacités, ou dans le langage bureaucratique : « en flux tendus ».

La Loi Bachelot, à l’ordre du jour durant plusieurs mois, est passée à l'Assemblée nationale le 18 mars puis au sénat au milieu d’une forte vague d’opposition de la part des personnels médicaux et hospitaliers. Ainsi, les médecins urgentistes avaient déjà fait le 6 décembre une grève dénonçant les conditions de travail « qui pourraient par le laxisme du gouvernement entraîner des morts », le manque de personnel devient de plus en plus dramatique aux urgences. Le personnel paramédical de l’Hôpital Édouard Herriot (à Lyon) avait lancé un mouvement de grève reconductible pour dénoncer le manque de moyens et de personnel, entraînant « un délai de prise en charge des patients de six heures en moyenne, générateur de tensions avec les malades ».

Les accidents se multiplient. Ainsi en radiothérapie, l’Association pour la protection contre les rayonnements ionisants dénonce des accidents provenant directement d’une insuffisance de formation des personnels (par manque de temps), et d’un travail, précisément, à « flux tendu ». Entre mai 2004 et août 2005, 24 personnes (dont 5 sont décédées) ont été très fortement surirradiées à l'hôpital Jean Monet d'Épinal. Depuis il a été établi que 4900 patients y ont été surexposés entre 1989 et 2006. À Toulouse, 6 des 145 patients victimes d'une surdose de radiations à l'hôpital de Rangueil entre avril 2006 et avril 2007 sont décédés.

L'opposition populaire à ces attaques est très large, mais elle ne trouve pas de perspective pour se développer. Le 28 avril, une manifestation conjointe des personnels hospitaliers et des universitaires en grève avait réuni 32 000 personnes à Paris, mais les syndicats de chaque domaine n'ont pas voulu rééditer cette union pour la manifestation suivante, le 14 mai.

Le refus des syndicats de mener une lutte contre ces attaques sur le droit à la santé fut illustré par leur réaction par rapport à une loi sur l’emploi. Dans le cadre des débats sur cette loi le secrétaire général de l'UMP et ancien ministre de la santé Xavier Bertrand, souvent qualifié de « porte-flingue de Sarkozy », avait apporté son soutien à une proposition qui aurait permis aux personnes en arrêt maladie ou aux femmes en congés maternité de continuer à travailler à la maison. Ce ballon d’essai, ayant soulevé d’énormes oppositions même au sein de l’UMP, fut vite botté en touche par le gouvernement. Par contre, les syndicats ont soigneusement évité tout lien avec le débat sur la santé et ont minimisé la menace qu’il représentait pour les conditions de travail.

Michel Biaggi de FO n'y a vu qu'un « Poil à gratter destiné à ne pas parler des choses sérieuses. On sait très bien que ça ne peut pas aller au bout. » Marcel Grignard de la CFDT a déclaré, « On ne peut pas réagir à quelqu'un qui tous les matins pond un projet de loi, oublié le lendemain soir […] Nous notre boulot, c'est d'être concrets et de bosser. »

Le rôle des partis dits d’extrême gauche a été, sur la base d’un programme purement économiste et nationaliste de maintenir les mouvements de résistance des travailleurs sous l’emprise des syndicats. C’est précisément ce qui s’est passé lors la grande mobilisation des personnels hospitaliers de 1988. Cette année-là, le gouvernement socialiste de Michel Rocard avait imposé la réduction des moyens de la santé en diminuant les salaires. Si la combativité des personnels a été très forte tout au long de ce mouvement de 27 jours, réunissant 100 000 personnes dans les manifestations, organisé en assemblées générales et coordinations nationales, tout cela n'a pourtant pas permis d'annuler la réforme et les syndicats ont pu épuiser le mouvement.

Pour gagner une telle lutte, il faut combattre sur la base d’une politique de défense inconditionnelle des acquis de santé, indépendante des syndicats. Il faut la mise en place de comités d’actions indépendants voués à l’unification de tous les secteurs dans une lutte politique contre le capitalisme en crise.


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