Le ministre des Finances du Canada, Jim Flaherty, a admis
jeudi dernier que le déficit budgétaire fédéral pour l’exercice financier
débutant le 1er avril dépassera les 50 milliards de dollars, presque
50 pour cent de plus que le déficit de 34 milliards $ qu’il avait prévu
dans son budget déposé fin janvier.
Flaherty a expliqué la hausse marquée du déficit projeté
par la chute des revenus de taxation, la hausse des demandes pour
l’assurance-emploi et le coût du sauvetage de l’industrie automobile.
La forte contraction de l’économie canadienne (l’économie
s’est contractée à un taux annualisé de 7,1 pour cent au premier trimestre de
2009) et les baisses subséquentes dans les profits des entreprises et l’emploi
a entraîné une chute importante des revenus gouvernementaux.
Depuis octobre, près de 350 000 emplois à temps plein
ont été éliminés. Le taux de chômage officiel est passé de 6,2 à 8 pour cent et
l’indicateur plus large de chômage de Statistiques Canada (représentant tous
ceux qui sont en recherche d’emploi, qui attendent d’être contactés suivant une
mise à pied ou qui ont été forcés d’accepter un travail à temps partiel) a
augmenté de 4,4 points, atteignant 12,4 pour cent.
Les changements régressifs qui ont été apportés au régime
d’assurance-emploi du Canada au cours des dernières décennies font en sorte que
la majorité des 1,46 million de chômeurs ne peuvent recevoir de prestations de
chômage. Néanmoins, le nombre de prestataires d’assurance-emploi a augmenté
considérablement. En mars, ce nombre a augmenté de 65 300, ou 10,6 pour
cent, par rapport à février. Durant la période de six mois allant d’octobre
2008 à mars 2009, le nombre de prestataires d’assurance-emploi a augmenté de
36,2 pour cent, atteignant 681 400.
Bien que Flaherty prétende que des indicateurs démontrent
que le pire de la crise est derrière nous (lui et le premier ministre
conservateur Stephen Harper avaient déclaré en septembre dernier que le Canada
n’entrerait pas en récession), il admet que le chômage va continuer d’augmenter
dans les mois à venir. L’OCDE et d’autres analystes financiers, y compris la
Banque Toronto Dominion, ont prédit que le taux de chômage allait dépasser les
10 pour cent en 2010.
Afin d’empêcher l’effondrement total du secteur de
l’automobile, l’un des principaux moteurs de l’économie canadienne, et avec
l’objectif d’en faire de nouveau une source lucrative de profits pour les
investisseurs, le gouvernement fédéral du Canada s’est joint à la province de
l’Ontario et au gouvernement des Etats-Unis pour fournir de l’aide financière à
Chrysler et General Motors. Cette aide est conditionnelle à la destruction des
droits et avantages gagnés dans la lutte par des générations de travailleurs de
l’auto. Les conservateurs de Harper et le gouvernement libéral de l’Ontario ont
menacé de pousser Chrysler, et ensuite GM, à la faillite si le syndicat des
Travailleurs canadiens de l’automobile n’imposait pas des changements dans la
productivité et des diminutions suffisantes des salaires, les avantages sociaux
et les régimes de retraite pour réduire le coût horaire de la main-d’œuvre de
Chrysler et GM au niveau de celui régnant dans les usines non syndiquées des
constructeurs asiatiques.
Flaherty refuse de fournir les détails, avant la mise à
jour économique le mois prochain, de la projection du déficit gouvernemental, y
compris l’argent mis de côté pour couvrir les garanties de prêt et l’aide
destinée aux constructeurs d’automobiles.
Un déficit de 50 milliards $ serait le plus important
de l’histoire du Canada. Mais Flaherty a rapidement ajouté que ce déficit
correspond à un peu plus de 3 pour cent du PIB du Canada, soit considérablement
moins que les ratios déficit-PIB des Etats-Unis et d’autres pays du G7. Par
rapport au PIB, un déficit de 50 milliards de dollars serait aussi moins
important que de nombreux déficits encourus par les gouvernements canadiens
dans les années 1980 et au début des années 1990.
L’augmentation importante du déficit fédéral a tout de même
entraîné des commentaires alarmistes de la part de l’establishment corporatiste
canadien. D’abord et avant tout, parce que c’est une indication de l’ampleur et
de la profondeur de la crise. Deuxièmement, parce que la grande entreprise
croit que la position fiscale relativement forte de l’Etat canadien lui a donné
des avantages dans la lutte pour attirer l’investissement et avoir accès
facilement au crédit. Troisièmement, parce qu’elle veut utiliser les déboires
du budget gouvernemental, comme elle l’a fait dans les années 1990, pour
engendrer de nouvelles coupures dans les services publics et sociaux et ainsi
placer tout le fardeau de la crise sur les travailleurs.
Les conservateurs ont cité la montée rapide du déficit
comme une raison pour résister aux demandes de l’opposition d’étendre la
couverture de l’AE et d’augmenter les dépenses dans les infrastructures par
rapport à celles annoncées dans le budget de janvier.
Flaherty a insisté cette semaine pour que le gouvernement
respecte sa promesse d’éliminer tout déficit budgétaire annuel d’ici l’exercice
financier de 2013-2014 sans augmenter les taxes et les impôts. Même en
envisageant le plus rose des scénarios, cela requerrait des coupes
significatives dans les dépenses. L’économiste Douglas Porter de BMO Nesbitt a
dit : « Nous sommes trop loin du compte pour miser sur une reprise de
l’économie. »
Les libéraux, qui constituent l’opposition officielle et
qui, afin de répondre aux demandes de l’élite économique canadienne, ont
abandonné leur tentative de renverser les conservateurs en décembre dernier et
ont voté pour le budget « d’aide économique » qui a suivi, font tout
un plat de la montée du déficit. Le chef des libéraux, Michael Ignatieff, a
accusé Flaherty de mauvaise gestion et a demandé qu’il démissionne, alors que
le critique libéral en matière de finance, John McCallum, a dit que des mesures
« sévères » devront être prises afin de mettre rapidement fin aux
grands déficits.
L’attaque des libéraux sur le déficit
« incontrôlé » sert à mettre l’accent sur leurs propres politiques
d’imposition des demandes de la grande entreprise. Sous Jean Chrétien et Paul
Martin, les libéraux ont dans les années 1990 imposé les plus grandes coupes de
dépenses dans l’histoire canadienne pour ensuite, dans les années 2000, se
tourner agressivement vers des diminutions d’impôts pour les entreprises, les
gains en capitaux et les revenus personnels tout en payant des dizaines de
milliards pour la dette nationale. Les baisses d’impôts avaient un double
but : redistribuer le revenu national en faveur des sections les plus
privilégiées de la société et enlever à l’Etat les moyens d’entreprendre de
nouvelles mesures majeures de dépenses sociales.
Les conservateurs ont poursuivi sur cette trajectoire de
droite.
Tout en appelant la grande entreprise à soutenir le vrai
parti de la « responsabilité fiscale », les libéraux font un appel
cynique pour obtenir l’appui de la population en démontrant les inégalités dans
le système de l’assurance-emploi et en demandant un assouplissement
« temporaire » des conditions d’accès.
Ce furent les libéraux qui en 1995, dans le cadre de leur
assaut massif sur les services publics et sociaux, avaient radicalement diminué
le droit aux prestations de chômage et qui avaient rebaptisé l’assurance-chômage
pour l’assurance-emploi pour symboliser cet assaut. De plus, lors de la
décennie suivante, les libéraux ont siphonné des dizaines de milliards de
dollars des « surplus » de l’assurance-emploi dans le cadre de leur
campagne pour éliminer le déficit au détriment de la classe ouvrière.
Répétant les demandes auparavant formulées par les
syndicats et les autres partis d’opposition, les libéraux demandent que
l’éligibilité à l’assurance-emploi soit uniformisée pour tout le pays et que
tous ceux qui ont travaillé au moins 360 heures dans une période de douze mois
puissent obtenir des prestations d’assurance-emploi. Actuellement,
l’éligibilité à l’assurance-emploi varie selon le taux de chômage régional. Les
personnes habitant dans les régions connaissant un très haut taux de chômage
doivent présentement travailler 420 heures dans une année et celles habitant
dans une région où le taux de chômage est faible devant travailler 910 heures
avant de pouvoir obtenir des prestations.
Les libéraux croient que cette modeste demande pourrait
devenir une des questions clés qui leur permettra d’avoir un soutien populaire,
surtout que les conservateurs ont très fortement condamné toute relaxation des
conditions d’éligibilité de l’assurance-emploi, même dans le contexte de la
plus importante crise économique depuis la Grande Dépression, comme étant une
« taxe » imposée aux « Canadiens qui travaillent fort ».
L’appel des libéraux pour une « unique norme
nationale » d’éligibilité à l’assurance-emploi, toutefois, est aussi
un appel à la grande entreprise. Le monde des affaires canadien se plaint
depuis longtemps qu’un accès plus facile à l’assurance-emploi dans les régions
où règne le chômage est un frein à la « mobilité de la
main-d’œuvre ». L’assurance-emploi empêcherait que les travailleurs dans
les régions économiquement moins développées comme les provinces de
l’Atlantique, le Québec et le Nord de l’Ontario se déracinent ainsi que leurs
familles pour déménager vers des villes où le capital peut mieux exploiter leur
travail.
Le NPD s’est joint aux libéraux pour critiquer
l’augmentation du déficit budgétaire selon un point de vue de droite. Le
critique des Finances du NPD, Thomas Mulcair, un ancien ministre du
gouvernement libéral québécois, a dit mardi : « Les conservateurs sont
en train de briser tous les records de la médiocrité économique. Ils sont en
train de produire les pires déficits de l’histoire canadienne, pire encore que
ceux du [premier ministre progressiste-conservateur] Brian Mulroney, ce qui est
beaucoup dire. »
Le NPD et les syndicats ont répondu à la crise capitaliste
en allant encore plus à droite. L’automne dernier, ils se sont alliés aux
libéraux, le parti de la grande entreprise canadienne traditionnellement au
pouvoir, dans une tentative avortée de former un gouvernement de coalition, un
gouvernement qui avait promis d’implanter le plan conjoint des libéraux et des
conservateurs de réduire les impôts pour les sociétés de 50 milliards de
dollars et de continuer à faire la guerre en Afghanistan. Ensuite, lorsque les
conservateurs ont fermé le parlement en faisant usage des pouvoirs arbitraires
de la gouverneure-générale (qui n’est pas élue), ils ont pris le rang, refusant
de chercher à rallier la population contre ce geste anti-démocratique.
Même après que Michael Ignatieff, bien connu pour être à la
droite de son parti, ait utilisé cette crise politique pour réaliser son propre
« coup » au Parti libéral, le NPD a continué à s’accrocher à l’idée
de la coalition, faisant valoir qu’Ignatieff était un « progressiste »
jusqu’au moment où il a officiellement proclamé qu’il soutenait le budget de
Flaherty.
Les TCA, le plus grand syndicat industriel au pays, se sont
ralliés aux manufacturiers de l’automobile, au gouvernement libéral ontarien et
au gouvernement conservateur fédéral pour forcer les travailleurs par la menace
à accepter d’importantes concessions et l’élimination de beaucoup d’emplois,
avançant que l’unique alternative était la faillite.
Ces développements soulignent l’urgence pour les
travailleurs d’adopter une stratégie radicalement nouvelle. La classe ouvrière
doit être mobilisée pour entreprendre des actions syndicales et politiques
indépendantes contre toutes les tentatives de la grande entreprise et de ses
représentants politiques de faire payer les travailleurs pour la faillite du
système de profit en coupant les emplois, les salaires, les services sociaux et
publics, et lutter pour un gouvernement ouvrier.