La crise de l'emploi qui touche le monde
entier peut durer huit ans, selon un rapport publié mercredi par l'Organisation
internationale du travail. (OIT) L'agence des Nations unies, qui s'est réunie à
Genève a averti que des niveaux élevés prolongés de chômage seront une menace
pour « la stabilité politique et sociale » internationale.
Dans son rapport à la conférence de Genève,
le directeur général de l'OIT, Juan Somavia a rapporté que « la récession
économique mondiale a provoqué une vaste et profonde crise de l'emploi
conduisant à une récession sociale croissante de par le monde. » Il a
averti que « l’on s’attend à ce que le chômage continue de croître jusqu’à
la fin de 2010, probablement 2011 ».
Le rapport fait remarquer : « Le
dernier trimestre de 2008 et le premier trimestre de 2009 ont vu des chutes
rapides et synchronisées de l'investissement, de la consommation, de la
production et du commerce à l'échelle mondiale, conduisant à des pertes
d'emplois massives dans de très nombreux pays. »
Commentant une prévision du Fonds monétaire
international faisant état d'au moins quelques signes de reprise de la
croissance économique mondiale d'ici le milieu de l'année prochaine, Somavia a
dit qu'une quelconque reprise dépendait du succès des divers plans de relance
nationaux et de la restabilisation du secteur financier. « Et ces deux
résultats sont encore à ce jour incertains », a-t-il dit.
Même en cas de reprise de la croissance
économique, a dit le directeur de l'OIT, l'expérience des crises antérieures
indique que la reprise de l'emploi ne survient qu'après « une période de
quatre à cinq ans. » Etant donné la profondeur de la crise actuelle, la
plus grave depuis la Dépression des années 1930, et les taux de chômage déjà
importants avant qu'elle n'éclate, ce pronostic est, pour le moins, optimiste.
« En bref, le monde est confronté à une
crise mondiale profonde et durable de l'emploi », a déclaré Somavia.
Parmi les autres découvertes de l'OIT on
compte les suivantes :
* On s'attend à ce que le taux mondial du
chômage monte jusqu'à 7,4 pour cent cette année, ce qui signifierait 59
millions de travailleurs de plus qui perdront leur emploi, ce qui ramène le
chiffre total de chômeurs dans le monde entier à 239 millions. Ce serait la
première fois que l'on enregistrerait un taux de chômage dépassant la barre de
7 pour cent.
* Les rangs des personnes appauvries dans le
monde et vivant avec moins de 2 dollars par jour pourraient augmenter de près
de 200 millions de personnes cette année par rapport à 2007. Dans le même
temps, on s'attend à ce que le nombre de personnes survivant difficilement avec
1,25 dollar par jour augmente de 53 millions.
* Citant les chiffres produits par Food
and Agriculture Organisation (FAO, Organisation pour l'alimentation et
l'agriculture), le rapport fait remarquer qu’au lieu de se rapprocher de
l'objectif de faire diminuer de moitié le nombre de personnes mal nourries
d'ici 2015, l'effondrement économique actuel a gravement exacerbé les effets de
la récente escalade spéculative des prix de la nourriture, rajoutant encore
bien des personnes au milliard de gens qui sont affamés.
* On s'attend à ce que le nombre de jeunes
sans-emploi augmente de près de 17 millions cette année, faisant passer le taux
mondial de chômage des jeunes de 12 pour cent en 2008 à 15 pour cent en 2009.
* Même dans les 30 pays dits développés qui
constituent l'Organisation de coopération et de développement économique
(OCDE), la moitié des chômeurs ne reçoivent pas d'allocations chômage. Là où
existent ces allocations, très souvent elles ne répondent pas de façon adéquate
aux besoins des chômeurs. Dans la plupart des pays dits en voie de
développement, il n'existe pas de telles allocations. Il en résulte que 8
travailleurs au chômage sur 10 dans le monde n'ont aucune protection.
Le rapport souligne à la fois l'étendue
mondiale et le caractère féroce de cette attaque contre les emplois.
Dans les pays « développés » de
l'OCDE, plus de 7 millions de travailleurs sont devenus chômeurs en 2008.
Depuis, la destruction des emplois s'est fortement accélérée. Aux Etats-Unis,
5,4 millions d'emplois ont été supprimés entre juillet 2008 et février 2009,
portant le taux officiel de chômage à 8,5 pour cent ou à plus de 14 pour cent
quand on y inclut les travailleurs en chômage technique forcé.
L'Espagne a vu 776 000 emplois disparaître
au seul premier trimestre de 2009, ce qui a porté à 17,4 pour cent le taux de
chômage, soit 4 millions de travailleurs au chômage.
L'Irlande a vu son taux de chômage grimper
en flèche de 4,9 pour cent au premier trimestre de 2008 à plus de 10 pour cent
en février 2009.
Dans la Fédération russe, le nombre de
chômeurs a augmenté de 2 bons millions entre mai 2008 et janvier 2009, tandis
qu'en Corée du Sud, 1,2 million d'emplois ont été supprimés entre juin 2008 et
février 2009.
Dans les pays « en voie de
développement », la situation est encore pire, avec des millions et des
millions de personnes qui perdent leur emploi et sont poussés vers le secteur
dit informel. Le rapport signale les quelque 20 millions de travailleurs
chinois contraints de migrer des zones d'exportation industrielles côtières
vers provinces rurales de l'ouest. Il fait remarquer que les pays d'Asie du Sud
et d'Amérique du Sud ou d'Amérique centrale qui comptent beaucoup sur l'envoi
d'argent à leur famille des personnes qui migrent sont durement touchés par le
retour de ces travailleurs migrants à présent au chômage.
Le rapport de l'OIT avertit en particulier
des conséquences de la crise pour les jeunes travailleurs, faisant remarquer
que l'économie mondiale devrait créer 300 millions de nouveaux emplois entre
aujourd'hui et 2015 pour procurer un emploi aux jeunes gens et jeunes filles à
la recherche de leur premier emploi. Au lieu de cela, actuellement, le
capitalisme mondial est en train de détruire un nombre encore plus grand
d'emplois.
« Des dizaines de millions de jeunes
sont sur le point de quitter l'école et d'entrer sur un marché du travail en dépression »,
dit le rapport. « Le manque d'opportunités pour trouver un emploi décent à
un jeune âge peut compromettre de façon permanente les perspectives d'emploi
futures des jeunes. »
L'agence a aussi fait remarquer, sans
fournir de détails précis, la manière impitoyable dont la classe dirigeante
capitaliste a utilisé la crise dans le monde entier pour accroître ses profits
en réduisant les conditions basiques de vie et de travail de la classe
ouvrière, jusqu'au niveau de l'esclavage. « les conventions collectives
librement négociées ne sont plus respectées et les travailleurs doivent céder
du terrain sur des niveaux de salaire et de prestations durement acquis pour
conserver des perspectives crédibles d'emploi et de revenus futurs »,
déclare le rapport. « Le risque d'un recours au travail clandestin ou au
travail illégal des enfants en tant qu'alternatives bon marché croît dans
beaucoup de pays, ainsi que celui du recours au travail forcé ou
obligatoire. »
L'image de dévastation sociale présentée par
le document de l'OIT s'est vue récemment confirmée dans la publication de
nouveaux chiffres sinistres au moment même où le rapport était présenté.
Aux Etats-Unis, on a appris mercredi que des
patrons du secteur privé avaient supprimé 532 000 emplois supplémentaires
en mai, ce qui confirme la spirale descendante continue de la plus grande
économie du monde.
En Europe, l'Union européenne a annoncé que
le chômage avait dépassé 9,2 pour cent dans les seize pays de l'eurozone, soit
le niveau le plus élevé depuis dix ans avec 3,1 millions de personnes qui ont
perdu leur emploi entre avril 2008 et le mois dernier. Le nombre de chômeurs de
l'eurozone a atteint 14,6 millions, soit plus ou moins l'équivalent des
populations combinées d'Irlande et du Portugal.
Pendant ce temps, l'UNICEF rapporte que la
faim en Asie du Sud-Est « au plus haut depuis 40 ans » du fait de la
hausse des prix des carburants et de l'alimentation provoquée par le
ralentissement économique mondial. Par rapport à deux ans auparavant, 100
millions de personnes supplémentaires ne mangent pas à leur faim. La Banque
mondiale a récemment évalué à 400 millions le nombre de personnes dans cette
région souffrant de malnutrition chronique, avec les trois quarts des 1,2
milliard de la population de la région vivant avec moins de 2 dollars par jour.
L'information peut-être la plus frappante du
rapport de l'OIT est l'avertissement répété et remarquablement explicite, pour
un document publié par une agence de l'ONU, lancé aux gouvernements et aux
élites dirigeantes du monde sur les implications potentiellement
révolutionnaires d'une crise prolongée du chômage.
« Les crises prolongées du chômage
comportent des risques majeurs pour la stabilité politique et sociale, »
déclare le document, en ajoutant, « Les conséquences pour le
bien-être personnel et familial, le bien-être des sociétés, la stabilité des
nations et la crédibilité de la gouvernance nationale et multilatérale sont
incalculables. »
Et le rapport fait ensuite remarquer que
« les classes moyennes, sur lesquelles repose la stabilité politique et
sociale, se sont affaiblies à mesure que leur part dans le revenu total a
diminué et que la polarisation s'est accentuée, » et avertit, « le
sentiment d'injustice monte et alimente les tensions sociales. »
Le rapport cite l'indice d'instabilité
politique élaboré par l'Economist Intelligence Unit qui indique que dans
95 pays sur 165 étudiés, le risque d'instabilité est élevé ou très élevé, et
dans 17 pays seulement il est jugé faible.
De plus, il cite le témoignage récent du
directeur américain du renseignement national, Dennis Blair, qui a dit au
Congrès : « La principale inquiétude sécuritaire à court terme des
Etats-Unis est la crise économique mondiale et ses implications
géopolitiques. » Le rapport poursuit, faisant remarquer que Blair « a
développé l'idée que si les crises économiques duraient plus d'une ou deux
années, cela augmentait le risque d'une instabilité menaçant le régime ».
La réponse de l'OIT à cette crise très
profonde est aussi vide de sens que sa mise en garde est vraie. Il propose
« un pacte mondial pour l'emploi » qui consiste tout juste en des
voeux pieux et des appels lancés aux gouvernements du monde « à placer les
questions d'emploi et de marché du travail, ainsi que les questions de protection
sociale et de respect des droits des travailleurs au coeur des plans de relance
et autres mesures adoptées au niveau national pour faire face à la
crise ». Il prône également « le dialogue social », ce qui
signifie la collaboration tripartite entre le patronat, le gouvernement et les
bureaucraties syndicales, comme « instrument clé pour bâtir un
consensus. »
Mais la réalité est que dans tous les pays
les uns après les autres la solution capitaliste à la crise est la destruction
des emplois et du niveau de vie des travailleurs. Dans ce processus, les
syndicats aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne et ailleurs,
collaborent à la réduction des salaires et la suppression des emplois tout en
cherchant à détourner la colère des travailleurs vers des voies nationalistes
et protectionnistes afin de protéger la source réelle de l'augmentation du
chômage et des inégalités, à savoir le système capitaliste.
L'OIT, en tant qu'agence représentant les
Etats membres de l'ONU n'a aucun intérêt à dévoiler au grand jour les racines
de la crise dans le contexte de l'échec historique du capitalisme. Néanmoins,
son rapport montre clairement que les contradictions sociales à l'échelle
mondiale sont en train de s'intensifier du fait de la crise économique mondiale
jusqu'à un niveau qui rend inévitables une éruption de la lutte de classes et
des soulèvements politiques. Les travailleurs ne peuvent pas accepter et ne
veulent pas accepter des années de chômage, de pauvreté, de faim et la mise au
rebut d'une génération toute entière.
On ne peut réussir à résister à cette
situation qu'au moyen d'une lutte internationale pour unifier la classe
ouvrière sur la base d'un programme socialiste visant à mettre fin au système
capitaliste fondé sur le profit et à construire une nouvelle société fondée sur
l'égalité et l'utilisation des ressources du monde pour subvenir aux besoins
humains et non aux profits des grandes entreprises et à l'accumulation de
richesse de l'oligarchie financière.