L’humanité parviendra cette année à
obtenir la distinction douteuse d’avoir plus d’un milliard de membres de son
espèce à souffrir de la faim pour la première fois de l’histoire.
Le nombre de personnes sous-alimentées est
estimé avoir fortement augmenté d’environ 100 millions au cours de l’année
passée pour atteindre 1,02 milliard selon l’Organisation des Nations unies pour
l’alimentation et l’agriculture (FAO).
L'augmentation de 11 pour cent des affamés
du monde est principalement une conséquence de la crise économique mondiale
combinée à la hausse persistante du prix de la nourriture. L’on s’attend à ce
que la production économique mondiale baisse de plus de 3 pour cent cette
année, la première contraction mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale. La
crise économique, remarque la FAO, « a réduit les revenus et augmenté les
pertes d’emplois pour les pauvres réduisant ainsi considérablement leur accès à
la nourriture ».
Les affamés du monde sont concentrés en Asie
et dans le Pacifique (642 millions), en Afrique subsaharienne (265 millions),
en Amérique latine et dans les Caraïbes (53 millions), au Proche-Orient et en
Afrique du Nord (42 millions). L'Afrique subsaharienne compte la plus
importante concentration de personnes affamées, tandis que le Proche-Orient et
l'Afrique du Nord ont enregistré la plus forte croissance du nombre de
personnes affamées (13,5 pour cent.)
La définition de la
faim par l’agence est fondée sur le nombre de calories consommées. En fonction
de l’âge relatif et de la proportion homme-femme d’un pays donné, la limite
varie entre 1600 et 2000 calories par jour.
Il est probable que
les chiffres de la FAO sous-estiment de manière significative le nombre de
personnes souffrant de la faim. Une étude publiée en début d’année a montré que
12 millions d’enfants sont menacés par le risque d’insuffisance alimentaire aux
Etats-Unis (voir, US: 12 million
children face hunger and food insecurity). Les chiffres de la FAO évaluent
le nombre total de personnes affamées à 15 millions dans l’ensemble des
« pays développés » (y compris les Etats-Unis et l’Europe).
Selon la FAO,
l’augmentation de la faim n’est pas le résultat d’une baisse de la production
alimentaire. La production des céréales par exemple ne baissera que faiblement
cette année par rapport à 2008. Par contre, « les pauvres sont moins en
mesure d’acheter de la nourriture, particulièrement là où les prix sur les
marchés locaux restent très élevés… A la fin de 2008, les aliments de base
locaux coûtent encore en moyenne 24 pour cent de plus en termes réels qu’il y a
deux ans ; une donnée qui était valable pour toute une gamme d’importants
produits alimentaires. »
En d’autres termes,
la forte augmentation de la faim n’est pas due à un manque de capacité, bien
que la production alimentaire mondiale puisse être accrue de manière
significative grâce à une utilisation rationnelle et scientifique des
ressources agricoles. L’augmentation de la misère sociale vient par contre du
fait que davantage de millions de gens ne peuvent plus à présent se payer les
produits de première nécessité.
La FAO souligne trois
aspects de la crise actuelle qui la rendent tout particulièrement sévère.
Premièrement, elle fait suite à l’augmentation rapide des prix alimentaires des
années 2006-2008. Cette bulle avait en partie été créée par des activités
spéculatives d’investisseurs qui avaient déversé de l’argent dans les matières
premières alors que se développait la crise financière. Cette augmentation
antérieure des prix avait grignoté la marge de manœuvre créée par les ménages
pour faire face aux chocs économiques (voir graphique).
Deuxièmement, la
crise est mondiale. La FAO remarque, « Lorsque les crises économiques se
limitent à des pays individuels, ou à plusieurs pays dans une région
particulière, les gouvernements ont la possibilité de recourir à des
instruments tels la dévaluation de la monnaie, l’emprunt ou le recours fréquent
à l’aide officielle pour contrecarrer les effets de la crise. »
Troisièmement, les
pays plus pauvres sont « financièrement et commercialement plus intégrés
dans l’économie mondiale » et sont de ce fait « bien plus exposés aux
fluctuations des marchés internationaux ». Ils sont bien plus sensibles
aux rapides variations de la demande ou de l’offre mondiale et aux restrictions
de crédit.
Un autre facteur
concerné et qui n’a pas été mentionné par la FAO est la façon avec laquelle le
gouvernement américain a monopolisé les marchés de crédit pour financer ses
plans de sauvetage des banques à hauteur de plusieurs milliers de milliards de
dollars en exploitant pour ce faire la position privilégiée du dollar
américain. Les pays plus pauvres n’ont pas ce privilège et doivent faire face
en conséquence à des coûts d’emprunt plus élevés.
La FAO prend note de
l’augmentation des taux d’intérêt pour la dette des « pays en
développement » parallèlement à l’absence totale de crédit disponible pour
certains pays. La crise économique a entraîné d’autres changements rapides sur
les marchés financiers, y compris l’assèchement des investissements directs
étrangers.
De nombreux pays plus
pauvres connaissent une forte baisse des transferts de revenus des migrants de
l’ordre de 5 à 8 pour cent. La FAO précise : « Qui plus est, les
transferts ont normalement résisté aux chocs et ont souvent même augmenté
durant les crises économiques dans les pays bénéficiaires. Il est improbable
que l’effet contre-cyclique de ces transferts se produise cette fois en raison
de l’ampleur mondiale de la récession actuelle. »
La FAO s’attend aussi
à ce que l’aide étrangère en faveur des 71 pays les plus pauvres chute de 25
pour cent. Le montant total de l’assistance officielle au développement (ODA)
de tous les pays s’élève à environ 100 milliards de dollars par an, comparé aux
milliers de milliards débloqués pour les plans de sauvetage des banques et le
budget militaire américain qui représente plus de 500 milliards de dollars.
Les pays qui sont
tributaires des exportations sont tout particulièrement durement touchés par la
crise économique et l’on s’attend à ce que le commerce mondial baisse de 5 à 9
pour cent cette année.
Les implications de
la dégradation rapide de l’économie mondiale et la baisse des niveaux de vie
qui s’ensuit pour des millions de gens ne sont pas passées inaperçues aux
responsables des Nations unies. Le Dr Jacques Diouf, directeur général de la
FAO, a déclaré : « Cette crise silencieuse de la faim… constitue un
risque majeur pour le maintien de la sécurité et de la paix dans le
monde. » Josette Sheeran, directrice du Programme alimentaire mondial a
dit, « Un monde affamé est un monde dangereux. »
De nombreux
commentateurs ont signalé la possibilité d’une répétition des émeutes de la
faim qui avaient éclaté en 2008. En début d’année, les pays du G8 s’étaient
réunis pour discuter de « l’urgence alimentaire ». Il n'était pas
sorti grand-chose de cette conférence si ce n’est l’expression d’une
préoccupation commune quant au danger d’une explosion sociale et d’une
révolution.