Une résolution adoptée le vendredi 12 juin par
le Conseil de sécurité de l’ONU, imposant des sanctions alourdies à l’encontre
de la Corée du Nord pour son essai nucléaire réalisé le 25 mai et les menaces
ultérieures lancées par Pyongyang d’intensifier son programme d’enrichissement
de l’uranium, montre que la crise qui se prolonge sur la péninsule coréenne est
entrée dans une phase nouvelle et plus dangereuse.
La résolution 1874 des Nations Unies qui a été
élaborée par les Etats-Unis avec le ferme soutien du Japon, proscrit toute
vente d’armes à la Corée du Nord, à l’exception des armes de petit calibre. La
Chine a insisté sur l’exception et a rejoint la Russie pour exiger que le projet
de résolution soit modifié en ce qui concerne l’inspection des navires
nord-coréens dans les eaux internationales. Les deux puissances craignent que
les Etats-Unis et leurs alliés puissent exploiter de telles inspections pour
créer une provocation susceptible de déclencher un conflit militaire.
Les Etats-Unis ont accepté de changer la
formulation du texte du Conseil de sécurité de l’ONU en remplaçant
« autoriser » par « appelle » tous les Etats membres de
l’ONU à procéder à des inspections des navires en provenance et à destination
de la Corée du Nord et soupçonnés de transporter du matériel lié au nucléaire.
Tout Etat du pavillon qui refuse que ses navires soient inspectés devra se
rendre dans « un port approprié et adéquat pour les inspections requises. »
Le représentant permanent chinois auprès de
l’ONU, Zhang Yesui, a dit à la presse : « Nous pensons que des
sanctions telles l’inspection des navires seront très compliquées et un point
sensible et les pays concernés doivent agir avec prudence en se fondant sur des
motifs suffisants. » Néanmoins, la Chine a accepté la mesure qu’elle avait
refusée depuis 2006 à la suite du premier essai nucléaire nord-coréen.
Beijing a également accepté de sanctionner
toutes les transactions financières « susceptibles de contribuer au
développement des armes de destruction massive (ADM) ou programmes balistiques
de la Corée du Nord » et d’interdire toute aide financière à la Corée du
Nord, sauf à des fins humanitaires et d’assistance pour mettre fin à ses
programmes nucléaires.
La Chine redoute que les actions plutôt
téméraires de Pyongyang ne fournissent un prétexte au Japon et à la Corée du
Sud pour renforcer leurs armées, y compris par l’acquisition d’armement
nucléaire qui menacerait non seulement Pyongyang, mais aussi Beijing. Dans le
même temps, le gouvernement chinois ne souhaite nullement un effondrement
politique de la Corée du Nord qui pourrait être exploité par les Etats-Unis et
leurs alliés.
Mardi, le porte-parole du ministère chinois
des Affaires étrangères, Qin Gang, a appelé toutes les parties concernées à
« garder leur calme et à faire preuve de modération afin de régler les
problèmes grâce au dialogue et à des consultations en s’abstenant de prendre
des mesures qui pourraient aggraver la situation ». Beijing a insisté pour
un retour des six à la table des négociations, soit la Chine, les Etats-Unis,
le Japon, la Russie et les deux Corées dans le but de sortir de l’impasse sur
les programmes nucléaires de la Corée du Nord.
Pyongyang a toutefois déclaré ne pas vouloir
reprendre les pourparlers avec les six. La Corée a renvoyé les inspecteurs de
l’Agence internationale de l’énergie atomique et repris l’ensemble des
processus sur le site de Yongbyon. Après le vote de la résolution de l’ONU, la
Corée du Nord a, pour la première fois, reconnu l’existence d’un programme
d’enrichissement d’uranium servant à alimenter en combustible ses réacteurs.
Elle a également affirmé vouloir transformer en armement le plutonium restant
et a averti que toute tentative d’aborder ses navires sera considérée comme un
acte de guerre. Les responsables des Etats-Unis et de la Corée du Sud affirment
que la Corée du Nord est aussi en train de préparer un nouvel essai de tir de
missile à longue portée.
Une telle attitude, adoptée par le régime
stalinien secoué par la crise, n’a rien à voir ni avec une lutte authentique
contre l’impérialisme ni avec une défense renforcée du petit Etat assiégé. Elle
a pour but de replâtrer les fissures apparentes au sein de l’élite dirigeante
nationale tout en exerçant une pression, qui l’arrange d’une manière ou d’une
autre, sur les Etats-Unis et leurs alliés.
Selon le communiqué du 15 juin du National
Intelligence américain, le second test nord-coréen a été estimé « à
quelques kilotonnes. » Le premier test effectué en 2006 avait été estimé à
à peine une kilotonne. Le faible rendement, même comparé aux bombes atomiques
américaines larguées sur le Japon en 1945, indique probablement que les
armements de la Corée du Nord sont primitifs et les essais seulement en partie
réussis.
Le gouvernement Obama a profité du communiqué
de la Corée du Nord pour adopter une attitude plus agressive. Le message
émanant du sommet qui a eu lieu entre le président Obama et le président
sud-coréen Lee Myung-bak en visite aux Etats-Unis est que les négociations à
six et l’accord conclu en 2007 ne sont quasiment plus d’actualité.
Obama a déclaré mardi : « Il s’est
instauré un schéma dans le passé où la Corée du Nord se conduit de manière
belligérante et, si elle attend suffisamment longtemps, se voit récompensée par
de la nourriture et du carburant, des crédits ainsi que tout un éventail
d’avantages. » Il a averti en disant : « Le message que nous
faisons passer, et je dis “nous”, et pas seulement les Etats-Unis et la République
de Corée mais, je pense, la communauté internationale, est, “nous allons briser
ce schéma”. »
Un communiqué commun a catégoriquement
mentionné l’engagement continu des Etats-Unis et de la Corée du Sud pour
« une attitude de défense solide… y compris le parapluie nucléaire
américain », une référence évidente à la supériorité écrasante de
l’arsenal nucléaire américain. Lee a déclaré aux journalistes : « Les
Coréens du Nord, quand ils considéreront le solide partenariat et l’alliance
qui existent entre nos deux pays, y regarderont par deux fois avant de prendre
toute mesure qu’ils regretteront. » Dans un entretien la semaine dernière
avec le Wall Street Journal Lee, qui fait partie du Grand Parti national
(GNP, droite), a écarté un retour aux pourparlers à six en disant que Pyongyang
s’était tout juste servi d’eux pour « gagner du temps » et construire
des armements nucléaires.
Les commentaires faits par le vice-président
américain Joe Biden, étaient même encore plus révélateurs quand il a dit
dimanche, lors de l’émission « Meet the press » de NBC :
« Nous allons appliquer la résolution de l’ONU… Il s’agit pour nous de
maintenir la pression sur eux [Corée du Nord], même s’ils disent que c’est un
acte de guerre. » En d’autres termes, Washington poursuivra l’application
des sanctions même si cela signifie un éventuel conflit militaire avec la Corée
du Nord. Biden a ajouté : « C’est un régime qui dit énormément de
choses… C’est une force de déstabilisation dans la région. »
En fait, ce sont les Etats-Unis qui portent la
principale responsabilité dans la crise actuelle. En 2002, le président Bush
avait placé la Corée du Nord dans l’« axe du mal » aux côtés de
l’Iran et de l’Irak. En octobre de la même année, le gouvernement Bush sous le
prétexte d’un prétendu programme nord-coréen d’enrichissement de l’uranium,
laissa tomber l’accord-cadre signé en 1994 par le précédent gouvernement
Clinton. En réaction, la Corée du Nord se retira du Traité de non-prolifération
nucléaire(TNP) et redémarra son petit réacteur nucléaire et son usine de
production de plutonium.
Tout comme Bush, Obama a déclaré qu’il ne
continuera pas à « récompenser » la mauvaise conduite de la Corée du
Nord. Toutefois, c’est précisément le manquement de gouvernements américains
successifs de respecter leur côté des termes des accords signés avec Pyongyang
qui a mené à cette situation. Le président Bill Clinton n’avait pas débuté la
construction de deux réacteurs à eau légère qui étaient prévus dans
l’accord-cadre. Ce n’est qu’à contrecœur que Bush avait rayé la Corée du Nord
de la liste noire du terrorisme du département d’Etat américain, une démarche
que le gouvernement Obama menace de révoquer. Washington n’a rien fait pour satisfaire
les priorités figurant tout en haut de la liste de Pyongyang, à savoir la
normalisation des relations et la levée du blocage économique maintenu depuis
la fin de la guerre de Corée en 1953.
L’attitude du gouvernement Obama exerce une
forte pression sur la Chine pour qu’elle remette son alliée, la Corée du Nord,
au pas. Beijing est certainement frustré de l’échec des pourparlers à six dans
lesquels ils avaient investi une grande part de leur prestige. La Chine dispose
également des moyens de mettre le pays à genoux économiquement étant donné que
la Corée du Nord dépend de la Chine en énergie, en nourriture et biens de
consommation. Toutefois, en supprimant ces denrées, Beijing pourrait bien
déclencher une crise en Corée du Nord qui ouvrirait la voie à un Etat
pro-américain à ses frontières tout en ayant un effet déstabilisateur en Chine
même.
Ce qui paraît plus probable, c’est une
intensification des tensions en Asie du Nord-Est qui renferme toujours le
danger d’une erreur de calcul de la part des grandes puissances et qui pourrait
ainsi dégénérer en un conflit ouvert.