Le président français Nicolas Sarkozy utilise la campagne de
l’élection européenne pour tenter de faire passer de nouvelles mesures sécuritaires.
Dans la dernière semaine de mai, la campagne électorale de son UMP (Union pour
un mouvement populaire), le parti conservateur au gouvernement, a été
réorientée entièrement sur les questions de sécurité.
De nombreuses mesures en apparence disparates ont ainsi été
annoncées pour « lutter contre la délinquance » dont certaines
étaient déjà en préparation depuis un certain temps. Se servant de problèmes
réels créés par une crise sociale qui s’aggrave et exacerbés par sa propre
politique, Sarkozy a entamé une campagne pour mobiliser les forces droitières
les plus extrêmes.
Dans un discours tenu le 28 mai au Palais de l’Elysée, Sarkozy
a placé cette « lutte contre la délinquance » dans le contexte des
conflits sociaux grandissants causés par la crise économique, en particulier
celui du danger d’une radicalisation sociale et politique de la jeunesse.
« Nous vivons une période particulièrement difficile,
marquée par une crise économique d’une ampleur sans précédent depuis la fin de
la Deuxième Guerre mondiale », dit-il.
« L’aggravation du chômage des jeunes risque d’avoir un
impact particulièrement néfaste sur les équilibres de notre société en
favorisant un sentiment de frustration et d’exclusion », a-t-il déclaré,
avant d’ajouter, « Et dans ce contexte nous devons plus que jamais assurer
la sécurité des Français qui ont besoin de se sentir d’autant mieux protégés
dans leur vie de chaque jour que sont grandes les difficultés économiques. Or
nous constatons ces derniers mois l’apparition de formes de violences
nouvelles, profondément traumatisantes pour nos compatriotes. Elles relèvent à
la fois de la violence urbaine, du banditisme classique, motivé par l’appât du
gain. »
Dans ce discours, il précisa aussi la base idéologique
vulgaire sur laquelle cette « guerre à la délinquance » devait être
menée. Répétant le credo de l’élite des hyper riches, il nia toute cause
sociale à la délinquance, lançant une attaque contre ceux qui seraient tentés
de se pencher sur de telles causes. Il fallait se défaire de l’« angélisme »
(l’idée que les hommes sont fondamentalement bons), dit-il. Il pressa son
auditoire composé de hauts responsables de l’Etat de ne pas se laisser
intimider par « la dictature des bons sentiments ». Les
« nouvelles formes de violence » avaient le potentiel de poser une
véritable menace à la sécurité de l’Etat français.
Les médias s’étaient ces dernières semaines concentrés sur un
certain nombre d’incidents violents envers des élèves et des enseignants ayant
eu lieu dans des écoles. Sarkozy reprit dans son discours les mesures fortement
controversées proposées quelques jours auparavant par son ministre de
l’Education, Xavier Darcos, et auxquelles s’opposèrent certains syndicats
enseignants et associations de parents d’élèves. Le personnel des établissements
scolaires aura le pouvoir de fouiller les sacs des élèves ; des détecteurs
de métaux seront installés à l’entrée des établissements et une « force
mobile d’agents » sera créée dans chaque académie pour intervenir
rapidement dans les lycées et collèges ; les établissements seront
« diagnostiqués » quant à leur potentiel de violence, un certain
nombre d’entre eux se retrouvant d'ores et déjà sur une liste de « points
noirs ». On prévoit aussi une vidéosurveillance systématique des
établissements.
Darcos avait même prévu d’imposer des sanctions financières
aux parents soupçonnés d’avoir « démissionné » de leurs
responsabilités, une proposition qui fut abandonnée par la suite.
Ce seront avant tout les banlieues paupérisées des grandes
villes, en particulier les anciennes cités-dortoirs et les zones victimes de la
désindustrialisation autour de la capitale qui seront visées.
Sarkozy proposa d’imposer aux banlieues qu’il décrivit comme
« rongés par la délinquance, le trafic
de drogue et le trafic d'armes » une présence massive et permanente
des « forces de sécurité », un terme général qui comprend aussi les
CRS (la police anti-émeute) et la gendarmerie (qui a des fonctions militaires).
Il ordonna l’usage renforcé et répété des « opérations coup de
poing » dans des cités déjà soumises à une présence policière agressive.
La sécurité dans chaque département sera supervisée par un « état-major de
la sécurité » composé des autorités concernées (police, justice, etc.)
Utilisant un vocabulaire d’opération militaire dans un pays
colonial, il appela les forces de sécurité à la « reconquête » des
banlieues. « Aucune rue, aucune cave, aucune cage d'escalier ne doit être
abandonnée aux voyous » lança-t-il. La police devait « fouiller
minutieusement » les immeubles, les appartements et caves « squattés ».
La vidéosurveillance sera accrue dans les zones socialement appauvries de
l’ensemble du pays et le simple fait d’appartenir à une bande sera punissable
d’une peine allant jusqu’à trois ans de prison.
Dans une phrase dont l’ironie lui échappa, il annonça qu’il
voulait mobiliser des agents du fisc afin de détecter les « signes de
richesse indue » afin de les taxer.
Une autre arme dans l’arsenal répressif du gouvernement est
l’extension de la Loi Loppsi (Loi d’orientation et de programmation pour la
performance de la sécurité intérieure) qui avait été introduite par le
gouvernement de Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin en 2003.
La nouvelle loi (Loppsi II) est un fourre-tout de mesures
visant différents types de crimes et délits – allant du terrorisme à la
violence domestique en passant par l’immigration illégale et des mesures
draconiennes contre les infractions au code de la route. Cette loi doit être
présentée au parlement bientôt.
Une des principales mesures de cette loi, annoncée la veille
du discours du président par la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot Marie,
est le recours généralisé et en grande partie incontrôlé, de l’espionnage des
ordinateurs. Cela s’accompagne de la création d’une banque de données qui
synthétisera l’information de diverses banques de données de sécurité de
l’Etat, et produira des « suspects » au moyen d’une analyse
électronique des données. Ces données seront collectées en dehors du processus
judiciaire.
Se prévalant d’une croisade contre la pornographie et les
sévices à enfants, cette loi imposera aussi aux serveurs internet de fermer des
sites que le gouvernement jugera offensants. Des sites basés à l’étranger
pourront aussi être bloqués depuis la France. Les critiques parlent d’un
« internet à la chinoise ».
Ces mesures créent aussi un amalgame juridique entre des
délits sérieux, ceux relevant de la délinquance, la désobéissance civile et les
simples écarts de conduite. L’effacement des limites entre ces catégories est
destiné à faciliter l’ingérence de l’Etat dans la vie des gens.
La campagne sécuritaire de Sarkozy est pour partie une
tentative d’attirer le vote des partis d’extrême droite. Le Monde
remarquait le jour où il prononçait son discours : « Nicolas Sarkozy
remet au cœur de la campagne des européennes le thème de l'insécurité. Un thème
qui, emmené au cœur de la campagne par Jacques Chirac en 2002, avait, entre
autres, porté Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle. »
L’offensive du président français sur la sécurité a été saluée
par les deux principaux partis d’extrême droite, le Front national de
Jean-Marie Le Pen et le MPF (Mouvement pour la France) de Philippe de
Villiers.
Les mesures annoncées ne sont cependant pas une simple
manoeuvre de circonstance ou une diversion dans le but de renforcer les chances
électorales de l’UMP, comme l’ont affirmé le Parti socialiste et le NPA
d’Olivier Besancenot. Le lendemain du discours de Sarkozy, Le Monde
publiait un article sur des exercices systématiques d’entraînement de la
gendarmerie. Il montrait concrètement comment celle-ci s’entraînait
quotidiennement au combat de rue contre des jeunes en grand nombre et au
comportement violent. Il est hors de doute que d’autres parties des forces de
sécurité effectuent des exercices du même type.
Le fait que Sarkozy réussisse à imposer un ordre du jour
politique encore plus droitier dans des conditions où son gouvernement fait
face à une vaste hostilité et une résistance de masse à ses attaques sociales,
est dû au fait qu’aucun parti ne permet à cette opposition de la population
laborieuse de s’exprimer.
Aucun des partis qui prétendent représenter les intérêts des
travailleurs ne propose de solution socialiste aux problèmes auxquels ceux-ci
sont confrontés ni ne cherche à les mobiliser contre le gouvernement, l’élite
dirigeante ou le système de profit. Au lieu de quoi, les syndicats et leurs
apologistes « de gauche » étouffent et trahissent toute opposition et
donnent à Sarkozy et à l’extrême droite un virtuel monopole politique.
L’« intersyndicale », qui regroupe les principaux syndicats, est
ainsi, en ce moment, en train de discuter de « solutions à la crise »
avec le gouvernement et le Medef, la principale organisation patronale.