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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Deux sommets en Russie : un défi circonspect lancé aux Etats-Unis

Par John Chan
23 juin 2009

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Quatre puissances économiques émergentes, le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, collectivement appelées le BRIC, ont tenu leur premier sommet dans la ville russe de Yekaterinburg le 16 juin. Un sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui est conduit par la Russie et la Chine et comprend le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kyrgyzstan s'était tenu dans la même ville juste la veille.

Selon le président chinois, Hu Jintao, les quatre pays du BRIC représentent 42 pour cent de la population mondiale et contribuent pour plus de la moitié de la croissance économique mondiale. La Chine et l'Inde sont les deux uniques grandes économies à avoir une croissance à des taux substantiels en pleine crise financière mondiale, malgré un ralentissement. Bien que la Russie ait été durement touchée par la chute des prix du pétrole, elle demeure la seule puissance disposant d'un arsenal nucléaire qui rivalise avec les Etats-Unis. Le Brésil est de loin l'économie la plus importante d'Amérique latine et est en train de développer rapidement des liens commerciaux avec la Chine.

Le président russe Dimitry Medvedev a qualifié Yekaterinburg de nouvel « épicentre de la politique mondiale » avec les sommets du BRIC et de l'OCS représentant un groupe d'économies émergentes cherchant à élargir leur influence internationale. En 2001, la Russie et la Chine avaient mis en place l'OCS pour contrer l'influence et la présence militaire américaine en Asie centrale. L'Inde, le Pakistan, la Mongolie et l'Iran sont observateurs de l'OCS tandis que le Sri Lanka et la Biélorussie  sont devenus des « partenaires de dialogue » cette année tout comme l'Afghanistan qui est régulièrement invité.

Le premier ministre indien Manmohan Singh a assisté à la réunion pour la première fois, alors qu'auparavant il se contentait d'y envoyer des responsables de l'industrie énergétique afin de maintenir ses distances du groupement russo-chinois. Le gouvernement Bush courtisait l'Inde comme partenaire stratégique et contrepoids à la Chine, politique qui se poursuit avec Obama. Mais la Russie tente de restaurer les relations étroites qu'elle entretenait avec l'Inde durant la Guerre froide en proposant à New Delhi l'accès au pétrole et au gaz d'Asie centrale et en vendant d'importantes quantités d'armes. La Chine et l'Inde se considèrent toujours comme des pays rivaux dans la région.

La simple présence de Singh a soulevé la question de savoir s'il se rendait à un « forum haro sur l'Amérique. »Le ministre des Affaires étrangères de l'Inde Shiv Shankar Menon s'est vu forcé de dire aux médias : « Haro sur l'Amérique est une expression extrême, il n'y a aucune raison de qualifier le BRIC de haro sur l'Amérique. Ces pays sont les quatre économies mondiales à croissance rapide qui se réunissent pour jouer un rôle positif et constructif. Et cela n'est dirigé contre personne. »

Néanmoins, la teneur anti-américaine de la réunion était évidente au vu de l'accueil réservé au président iranien Mahmoud Ahmadinejad qui est confronté dans son pays à une campagne  concertée remettant en question la validité de l'élection présidentielle qui s'est tenue ce mois-ci. Alors que les puissances américaines et européennes soutiennent tacitement les dirigeants de l'opposition en Iran, les membres du BRIC et de l'OCS ont félicité Ahmadinejad pour sa réélection.

Ahmadinejad a dit à la réunion de l'OCS que les Etats-Unis étaient une puissance sur le déclin : « Il est absolument évident que l'époque des empires a pris fin et qu'elle ne reviendra pas », a-t-il dit. « L'Irak est toujours occupé. L'ordre ne règne pas en Afghanistan. Le problème palestinien n'est pas résolu. L'Amérique est dépassée par des crises politiques et économiques et il n'y a rien à espérer de leurs décisions. Les alliés des Etats-Unis ne sont pas non plus en position de lutter contre ces problèmes. »

Ahmadinejad représente une section de la bourgeoisie iranienne qui considère la Chine, la Russie et leurs alliés comme des contrepoids utiles à la pression exercée par les Etats-Unis et l'Occident. La Chine est à présent le marché d'exportation le plus important d'Iran, auquel elle achète des quantités énormes d'énergie. Le 3 juin, Téhéran a laissé tomber l'entreprise française Total SA en faveur de l'entreprise chinoise CNPC pour un projet de champ gazier dans le golfe Persique d'une valeur de 5 milliards de dollars américains, ce qui n'est rien moins qu'un pied de nez aux sanctions, instaurées par les Etats-Unis, à l'encontre de l'investissement dans les ressources énergétiques iraniennes.

Alexander Dugin qui dirige l'influent Mouvement eurasien international en Russie a dit au Christian Science Monitor le 16 juin : « L'OCS est en train de se transformer en une sorte d'organisation pour les pays qui se sentent exclus du système mondial, qui se sentent victimes de l'ordre unipolaire dominé par les Etats-Unis. A présent ce monde unipolaire est secoué dans ses fondations par la crise économique et le déclin impérial et il est temps de définir un nouveau projet pour un monde multipolaire. »

Un thème majeur du sommet du BRIC était le remplacement du dollar américain comme monnaie de réserve mondiale. Un peu plus tôt en juin, la Russie avait annoncé son intention de réduire ses bons du Trésor américain et avait été en cela rejoint par la Chine et le Brésil. Tous trois se sont accordés pour acheter plutôt des bons du Fonds monétaire international (FMI). Collectivement le BRIC détient 1711 mille milliards de bons du trésor américain, soit 33 pour cent de l'ensemble de la dette fédérale américaine se trouvant entre des mains étrangères. Il est cependant peu probable que les pays du BRIC, notamment la Chine, se débarrassent brutalement de leurs avoirs en dollars, du fait qu'une telle démarche ferait potentiellement s'effondrer le dollar américain.

L'économiste américain Michael Hudson écrivait dans le Financial Times le 14 juin: « Ces gouvernements sont confrontés à un choix difficile : soit ils recyclent les dollars vers les Etats-Unis par l'achat de bons du Trésor américain soit ils laissent le « marché libre » augmenter la valeur de leur monnaie par rapport au dollar, mettant en péril leurs exportations du fait de prix élevés sur les marchés mondiaux, et provoquant ainsi dans leur pays le chômage et la faillite d'entreprises. Les marchés libres de type américain les ont raccrochés à un système qui les force à accepter un montant illimité de dollars. Maintenant ils veulent quitter ce système. »

Les conséquences sont de grande portée pour les Etats-Unis, a averti Hudson. « Le FMI, la Banque mondiale, l'Organisation mondiale du commerce et autres représentants de Washington sont considérés comme des vestiges d'un empire américain perdu qui n'est plus en mesure de régner par la force économique et à qui il ne reste plus que la domination militaire. Ils voient que cette hégémonie ne peut plus continuer sans des rentrées d'argent adéquates et ils cherchent à accélérer la faillite de l'ordre mondial militaro-financier américain. Si la Chine, la Russie et leurs alliés parviennent à leurs fins, les Etats-Unis ne vivront plus des économies des autres, ni ne disposeront plus de l'argent nécessaire à des dépenses militaires illimitées. »

La Russie soulève la question de la nécessité d'une monnaie « supranationale » fondée sur les droits de tirage spéciaux du FMI, un panier de monnaies qui comprendraient le yuan chinois et celles de producteurs de biens tels la Russie, l'Australie et le Canada ainsi que de l'or. Medvedev a dit lors de la réunion du BRIQUE : « Il ne peut y avoir de système monétaire mondial qui fonctionne si les instruments financiers utilisés se déclinent en une seule monnaie. C'est le cas aujourd'hui et cette monnaie est le dollar. »

La Russie et la Chine avaientt soulevé cette idée la première fois avant le sommet du G20 qui s'était tenu en Grande-Bretagne en avril dernier. Mais Beijing garde le silence sur le sujet depuis quelque temps, car tout affaiblissement du dollar américain impacterait directement ses 1,5 mille milliards d'avoirs en dollars américains. Interviewé par truthdig.com, Hudson a expliqué les conséquences explosives si le dollar américain perdait sa position de monnaie de réserve internationale. « Il nous faudra financer nos propres dépenses militaires, et l'unique manière de le faire sera de réduire de façon drastique les salaires. La guerre de classes est de retour. Wall Street le comprend bien. C'est pour cela que Bush et Obama lui donnent 10 mille milliards de dollars qui représentent une arnaque énorme afin d'avoir assez d'argent pour survivre », a-t-il dit.

Etant donné les ramifications de grande portée de toute faiblesse du dollar américain, le communiqué du BRIC a gardé le silence sur cette question, se contentant de déclarer: « Les économies émergentes et en voie de développement doivent avoir davantage voix au chapitre et une plus grande représentation dans les institutions financières internationales. Le besoin est fort d'un système monétaire international stable, prévisible et plus diversifié. »

La Chine cherche progressivement à réduire sa dépendance du dollar. Le mois dernier, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a proposé un projet pour que sorte que le commerce sino-brésilien se fasse dans leur propre monnaie. Des accords similaires ont été scellés avec l'Argentine et plusieurs autres pays d'Asie. Cette année, la Chine a dépassé les Etats-Unis en devenant le partenaire commercial le plus important du Brésil. La Chine et la Russie se sont aussi mis d'accord pour utiliser leur propre monnaie pour le commerce. La Chine a dépassé l'Allemagne en tant que plus grand partenaire de Russie cette année. Ces deux pays ont signé des accords énergétiques d'un montant record de 100 milliards de dollars cette année. 

La Russie a appelé l'OCS à établir une monnaie unique initialement comme unité de compte au sein du groupe. « Rappelons-nous de l'ECU (European currency unit, unité de monnaie européenne] qui n'était pas précisément une monnaie supranationale, mais servait d'unité monétaire, d'unité de compte dans les pays de la Communauté européenne avant l'introduction de l'euro comme principale monnaie de réserve, » a fait remarquer Medvedev.

Les deux sommets de Yekaterinburg sont le signe que les relations entre les grandes puissances sont en train de subir une restructuration d'ampleur, la position mondiale des Etats-Unis étant minée par la crise financière mondiale. Ces changements dans les relations conduisent à une montée des tensions entre les grandes puissances.

Les deux regroupements, le BRIC et l'OCS, sont cependant loin d'être solides. Malgré un désir partagé d'affaiblir l'hégémonie stratégique et économique des Etats-Unis, la Chine, la Russie et l'Inde ont tous des intérêts conflictuels. Le Brésil reste en premier lieu une puissance régionale latino-américaine ayant peu d'intérêts géopolitiques en Asie centrale. Le bloc de l'OCS organise des exercices militaires conjoints, mais est loin de représenter une alliance militaire officielle.

La Chine a proposé un crédit de 10 milliards de dollars aux membres de l'OCS qui ont des difficultés du fait du resserrement mondial du crédit. Tout en acceptant l'argent, la Russie a insisté pour que ce financement soit « transparent » en Asie centrale, soit un avertissement à mots couverts à Beijing pour qu'elle ne mine pas l'influence de la Russie dans la région. Pour protéger son industrie automobile, la Russie a augmenté les tarifs douaniers, provoquant ainsi une chute brutale des exportations chinoises de voitures vers son marché étranger le plus important. En plein conflit sur les prix, Gazprom a reporté la construction prévue de deux pipelines vers la Chine.

La Russie veut encourager l'Inde à entrer dans l'OCS, mais la Chine soutient son propre allié, le Pakistan, rival de l'Inde. Moscou et Beijing ont encouragé le premier ministre indien Singh et le président pakistanais Asif Ali Zardari à se rencontrer pour la première fois depuis l'attentat terroriste de l'an dernier à Mumbai. Mais la rencontre a tourné court après que Singh a dit à Zardari : « Ma mission est de vous dire que le territoire du Pakistan ne doit pas être utilisé pour aider le terrorisme contre l'Inde. »

Les Etats-Unis ne vont pas sans réagir laisser la Chine et la Russie consolider un bloc rival sur le sol eurasien. Le gouvernement Obama accentue la guerre qu'elle a initiée en Afghanistan et encourage le Pakistan à intensifier les opérations militaires contre les insurgés anti-américains opérant dans le pays. En même temps, il cherche à consolider les liens stratégiques avec l'Inde. Ces rivalités grandissantes préparent le terrain pour des conflits encore plus importants à un moment où les grandes puissances rivalisent pour la domination économique et stratégique dans cette région clé du monde.

(Article original anglais paru le 22 juin 2009)


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