Le résultat le
plus manifeste des élections européennes qui eurent lieu le week-end dernier
est le déclin spectaculaire de la social-démocratie.
De par l’Europe, les partis
sociaux-démocrates n’ont obtenu en moyenne que 22 pour cent des voix, six pour
cent de moins qu’aux élections européennes précédentes de 2004. Avec un taux de
participation s’élevant à peine à 43 pour cent, ceci signifie que moins d’un
dixième des électeurs a voté pour ces partis.
Ce faisant, la moyenne européenne fausse
l’étendue réelle du déclin. Dans les principaux pays industrialisés d’Europe de
l’Ouest où les partis sociaux-démocrates ont soit dirigé les gouvernements des
décennies durant soit été les principaux partis d’opposition, leurs pertes ont
été énormes, et ce sans tenir compte du fait que ces partis sont soit
actuellement au gouvernement soit forment l’opposition.
En Grande-Bretagne, où le Parti travailliste
(Labour Party) est au pouvoir depuis ces douze dernières années, le Labour a chuté à un niveau record de
16 pour cent, en dessous donc du score enregistré par le
l’UKIP d’extrême droite (United Kingdom Independence Party, Parti de
l’indépendance du Royaume-Uni). En Espagne, le parti socialiste au pouvoir a
perdu cinq pour cent des suffrages en arrivant derrière le Parti populaire
droitier. En Allemagne, le Parti social-démocrate (SPD) qui siège au
gouvernement depuis onze ans a enregistré son plus mauvais résultat avec 21
pour cent. Au Portugal, le soutien du Parti socialiste au pouvoir a dégringolé
de 45 à 27 pour cent.
En France, le Parti socialiste qui est
depuis sept ans dans l’opposition, a recueilli à peine 17 pour cent, soit 12
pour cent de moins qu’il y a cinq ans. En Italie, le Parti démocrate qui est
issu du Parti communiste et de nombreux autres partis de « gauche »,
a chuté de 31 pour cent à 26 pour cent. Au Danemark, l’opposition
sociale-démocrate a perdu 12 pour cent des suffrages et a terminé avec un total
de 21 pour cent. Le vote en faveur du Parti travailliste néerlandais a été
réduit de moitié en tombant à 12 pour cent et en Autriche il a chuté de 33 à 24
pour cent.
Ce déclin est d’autant plus remarquable si
l’on tient compte du fait que les élections se sont déroulées au milieu de la
crise économique mondiale la plus grave depuis les années 1930. Bien que le
chômage soit en train d’augmenter rapidement et que les conditions de vie de
vastes couches de la population se soient détériorées considérablement, les
électeurs sont en train de déserter, en grand nombre, les sociaux-démocrates.
La raison en incombe à la politique et au
caractère des partis sociaux-démocrates qui des années durant ont opéré comme
des partis bourgeois. Au cours de ces deux dernières décennies, ils ont usé de
leur influence, de concert avec les syndicats, pour appliquer le type
d’attaques sociales qui avaient provoqué une résistance massive quand elles
avaient été tentées par des gouvernements conservateurs.
En Grande-Bretagne, le Parti travailliste
dirigé par Tony Blair avait adopté le programme du Parti conservateur de la
« dame de fer », Margaret Thatcher, tandis que le SPD allemand mené
par Gerhard Schröder avait voté les lois Hartz antisociales en perpétrant plus
d’attaques contre les droits sociaux que ne l’avaient fait l’ensemble des
gouvernements conservateurs précédents.
Le Financial Times britannique
signalait dans son éditorial de mardi l’anomalie des pertes électorales
massives subies dans des conditions d’une désillusion populaire grandissant
face au capitalisme par des partis historiquement associés au socialisme. Il
remarquait de façon absolument correcte qu’il n’existe en fait aucune
différence sérieuse entre la politique économique et sociale des partis
sociaux-démocrates et des partis conservateurs. Le journal écrit :
« A une époque où "la fin du capitalisme" est envisagée comme
une perspective sérieuse, les partis dont la mission historique était de
remplacer le capitalisme par le socialisme, n’offrent aucune philosophie comme
fil conducteur. Leurs politiques anti-crise diffèrent à peine de celles de
leurs adversaires. »
Aujourd’hui, l’on ne trouve plus de
travailleurs dans la direction des partis sociaux-démocrates et leur nombre
diminue dans les rangs de ces partis. Ceux qui adhèrent aujourd’hui, le font
non pas pour concrétiser des idéaux politiques, mais pour faire avancer leur
propre carrière. L’opportunisme, le manque total de principe et l’arrogance
envers la classe ouvrière sont les conditions préalables les plus importantes
d’avancement dans ces organisations.
En Allemagne, une carrière dans le SPD est
considérée comme un tremplin pour accéder à un poste bien doté dans la fonction
publique ou dans l’économie privée. L’ancien président du SPD, Rudolf
Scharping, est aujourd’hui conseiller en gestion d’entreprise et compte parmi
ses clients le fonds spéculatif (hedge funds) Cerberus et la milliardaire
Maria-Elisabeth Schaeffler. L’ancien chancelier Schröder qui a dirigé pendant
longtemps le SPD, occupe plusieurs postes dans des conseils d’administration,
notamment celui du géant gazier russe Gazprom, premier exportateur de gaz du
monde.
Lorsque des millions de travailleurs se
détournent de la social-démocratie en plein milieu d’une crise économique, cela
montre une chose : qu’ils n’attendent plus de ces partis qu'ils trouvent
une solution à leurs problèmes.
Les résultats électoraux montrent aussi un
vaste rejet du Parlement européen. Le travail du Parlement est de fournir une
couverture pseudo-démocratique aux institutions de l’Union européenne et au
mammouth que forment 40 000 bureaucrates bien rémunérés à Bruxelles et
qui, en échange, sont à l'entière disposition d’un nombre comparable de membres
de groupes de pression économiques.
Un grand nombre d’électeurs, avant tout de
la classe ouvrière, se sont abstenus de voter. Le plus grand parti dans cette
élection a été celui des abstentionnistes. A 43 pour cent, le taux de
participation a accusé une baisse de 2,5 pour cent par rapport au record
précédent de 2004. Aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ainsi que dans la plupart
des pays d’Europe de l’Est, la participation a été inférieure à 40 pour cent.
Le vide politique qui en a résulté a été
exploité par des partis conservateurs et de l’extrême droite. Ceci a incité de
nombreux commentateurs à parler d’un « virage à droite » en Europe.
Une telle conclusion n’est pas fondée et est superficielle. Les partis de
droite ont été en mesure d’exploiter l’effondrement de la social-démocratie et
le faible taux de participation. Dans la plupart des cas, toutefois, ces partis
n'ont pas pu améliorer leurs scores et ont même subi une baisse significative
de leur soutien.
Même des partis xénophobes d’extrême droite
qui ont remporté un succès notoire, tel le parti de Geert Wilders, le Parti de
la liberté (PVV) aux Pays-Bas (17 pour cent), l’United Kingdom Independence Party (17
pour cent) et le BNP (Parti national britannique, 6 pour cent), ont, sur la
base du faible taux de participation de 35 pour cent dans les deux pays, moins
de soutien que ne le suggèrent leurs résultats.
Ce qui est évident dans les élections
européennes c’est une forte polarisation sociale. Jusque-là, les classes
dirigeantes avaient pu s’appuyer sur les partis sociaux-démocrates et les
syndicats pour étouffer les luttes sociales. Le déclin de ces organisations
signifie que les futurs conflits prendront des formes plus ouvertes et plus
explosives.
Les travailleurs doivent se préparer à une
telle éventualité. L’initiative ne peut pas être laissée à la classe
dirigeante. Les gains électoraux remportés par les groupements d’extrême droite
sont un avertissement. La classe ouvrière européenne a besoin de son propre
parti fondé sur un programme socialiste révolutionnaire et international.