L’élection présidentielle du 9 avril en Algérie
s’est soldée par un troisième mandat pour Abdelaziz Bouteflika. On
annonça officiellement une participation record de 74 pour cent ; à
l’élection présidentielle de 2004 il y avait eu 55 pour cent de votants.
Bouteflika obtint plus de 90 pour cent des voix, selon les chiffres officiels,
au cours d’une élection fortement truquée.
Aucun des autres candidats prenant part à cette élection
n’a obtenu plus de cinq pour cent. Louisa Hanoune du PT (Parti des
travailleurs) arriva seconde avec 4,22 pour cent des voix. Elle dénonça diverses
formes de fraude électorale de la part du gouvernment. Moussa Touati, du FNA
(Front national algérien) arriva troisième avec 2,31 pour cent des suffrages,
suivi de Djahid Younsi du parti El Islah (un parti islamiste) qui obtint 1,37
pour cent. Cinquième fut Ali Fawzi Rebaïne, un candidat nationaliste, avec 0.93
pour cent, Mohammed Said, le candidat du PJL (Parti justice et liberté) une
organisation islamique, obtenant 0,92 pour cent des voix.
Les deux plus grands partis d’opposition, le FFS
(Front des forces socialistes) et le RCD (Rassemblement pour la culture et la
démocratie) qui ont tous deux leur principal électorat en Kabylie, avaient
appelé à boycotter l’élection, avançant l’absence de « conditions
d’un scrutin régulier et transparent ».
La réélection de Bouteflika ne faisait aucun doute. Le 12
novembre 2008, il avait réussi, à travers une modification de la constitution
algérienne qui limitait jusque-là le nombre des mandats présidentiels à deux, à
créer les conditions d’une présidence sans limites et il avait obtenu le soutien
d’une écrasante majorité du parlement. Le quotidien français Libération
écrivait le 9 avril : « Il faut remonter au printemps dernier pour
comprendre qu’un marché a été passé au sommet. D’un côté, les “décideurs”,
ces généraux qui dirigent le pays dans l’ombre, à commencer par Toufik,
surnom du général Médiene, dont on ne connait pas le visage et qui est à la
tête du DRS, les services de renseignements, depuis deux décennies… Le
marché passé a été : la présidence à vie pour Bouteflika, mais il
abandonne aux “décideurs” le soin de régler la succession. »
Toute la campagne électorale de Bouteflika était organisée
de façon à combattre l’abstention. On fit état de pressions exercées, en particulier
sur les fonctionnaires pour qu’ils aillent voter. La plus grande peur de
l’élite politique algérienne était celle d’une abstention massive.
Les doutes sur la conduite de l’élection sont renforcés encore par
l’annonce d’une participation de 64 pour cent dans la capitale
Alger où elle n’avait jusque-là jamais dépassé 35 pour cent.
Bouteflika qui a commencé sa carrière politique dans le FLN
(Front de libération nationale) avant d’en être exclu, avait été élu
président en 1999 en tant que candidat indépendant soutenu par les militaires
au cours d’une élection où tous les autres candidats s’étaient
retirés. Il est lié étroitement aux groupes les plus riches de la bourgeoisie
algérienne ainsi qu’aux sections dominantes de l’Etat algérien et
de l’appareil militaire. Le FCE (Forum des chefs d’entreprise),
l’association du patronat algérien, a soutenu sa campagne électorale.
Depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 1999 avec la
promesse de mettre un terme à une guerre civile sanglante, il a mis en oeuvre
un progamme destiné à créer des conditions permettant au capital international
d’investir en Algérie, ainsi que le demandaient les principaux pays
impérialistes. Cela signifiait un démantèlement supplémentaire de
l’industrie d’Etat qui, avec l’agriculture, avait été
nationalisé après l’indépendance.
Cette tendance fut en partie inversée au cours des 18
derniers mois. De récentes lois exigent que tout investissement étranger en
Algérie ait un partenaire algérien détenant une part majoritaire. Toutes les sociétés
qui importent doivent avoir au moins 30 pour cent de participation algérienne.
Les dures conditions de vie de la classe ouvrière et des
paysans pauvres algériens se sont encore aggravées. Les salaires sont extrêmement
bas et le chômage a encore augmenté. Les tensions sociales ont explosé de façon
répétée comme au cours du « Printemps noir » de 2001-2002 en Kabylie au
cours duquel 90 Berbères kabyles ont été tués et 5000 blessés.
Bouteflika s’est servi des prix élevés du pétrole de
la récente période pour réduire la dette extérieure et créer d’importantes
réserves d’or et de devises étrangères. Un argent qui ne fut jamais
utilisé pour améliorer le sort de la population algérienne. Bouteflika a fait
un certain nombre de promesses concernant le logement social et le chômage
durant sa campagne électorale, mais il a surtout annoncé un plan de 150
milliards de dollars d’amélioration de l’infrastructure et d’encouragement
à l’investissement étranger. Il a aussi annoncé un triplement du budget
de l’armée qui passerait de 2,5 à 6,25 milliards de dollars.
Bouteflika a reçu de chaleureuses et amicales félicitations de
la part du président français Nicolas Sarkozy qui s’est dit « attaché à
la construction d’un partenariat d’exception entre la France et
l’Algérie ». La France, l’ancienne puissance coloniale en Algérie,
considère toujours le bassin méditerranéen comme son arrière-cour et le projet
d’une union économique avec les pays producteurs de gaz naturel et de
pétrole de cette région, comme l’Algérie, est au coeur de ce projet.
Le FLN était la colonne vertébrale de l’Etat à parti
unique après l’indépendance obtenue en 1962 mais il commença à perdre le contrôle
du pays à la suite de la crise économique déclenchée par la forte chute des
prix du pétrole au début des années 1980. L’Algérie dépend encore pour 98
pour cent de ses recettes externes des exportations de pétrole et de gaz
naturel. Le gouvernement se tourna vers le FMI (Fonds monétaire international)
afin d’obtenir un prêt en 1988 et fut obligé d’effectuer un
programme de restructuration aboutissant à la privatisation et à la
dérèglementation de l’économie. Le mécontentement ouvrier augmenta et 500
ouvriers furent tués au cours d’une vague de protestations.
Aux élections législatives de 1991, le FIS (Front isamlique
de salut) obtint 188 sièges et 82 pour cent du vote populaire, réduisant le FLN
à 15 sièges. Ayant tout d’abord été actif parmi les étudiants, le FIS
s’était constitué une base solide parmi les pauvres à travers un travail
caritatif étendu.
L’armée intervint, dissout le parlement et interdit le
FIS en 1992, installant une junte militaire sous la direction des généraux Khaled
Nezzar et Mohamed Lamari. Le FIS fut poursuivi ainsi que toute autre opposition,
conduisant au massacre de 200.000 civils en l’espace de sept années. Le
FIS fut lui-même manipulé par les services secrets gouvernementaux (DRS) qui
incitèrent le GIA, le mouvement de guérilla du FIS, à commettre des atrocités
terroristes afin de justifier le règne dictatorial des militaires.
Bouteflika fut appelé à prendre les rênes par les militaires
en 1999 et il mit en oeuvre la loi de réconciliation nationale, exonérant
l’armée de toute responsabilité et déclarant une amnistie pour le FIS.
L’élite dirigeante prétend à présent être capable de
conduire le pays hors de la crise économique mondiale en se basant sur un
virtuel monopole d’Etat du système bancaire et sur la possession des troisièmes
réserves de pétrole en importance de l’Afrique. Cependant, la dépendance
pétrolière de l’économie, une ressource dont le prix a chuté dû à la récession
mondiale, remet en question les dépenses prévues pour le programme de travaux
publics. Le chômage représente 11,3 pour cent des 10 millions d’actifs et
atteint 75 pour cent chez les moins de trente ans.
Dans cette situation, Bouteflika, le FLN et les militaires
ne rencontrent aucune opposition de la part des partis de gauche ou des
syndicats.
L’UGTA (Union générale des travailleurs algériens) a
soutenu Bouteflika en 1999, en 2004 et dans la dernière campagne électorale.
Le PT dont la candidate Louisa Hanoune est arrivée seconde
et qui a 26 députés au parlement a voté en faveur de l’amendement à la
constitution voulu par Bouteflika et lui permettant de briguer un troisième
mandat. Pendant la campagne électorale, Hanoune a dénoncé les partis ayant boycotté
l’élection. Elle affirma que l’amendement à la constitution
apportait « plus de démocratie ».
Le PT est une organisation nationaliste petite-bourgeoise,
affiliée à l’Entente internationale des travailleurs et des peuples qui
se trouve sous la direction politique du POI en France (Parti ouvrier indépendant,
l’ancien PT de Pierre Lambert).
La charte du PT déclare qu’il « inscrit son
action dans la continuité du mouvement national algérien… Il combat
contre toute loi et accord qui remet en cause l’unité de la République,
la législation sociale nationale ou qui menace la production nationale
industrielle et agricole. »
Le discours nationaliste du PT avec son appel à une « souveraineté
nationale entière sur nos richesses naturelles » et son « rapatriement
de nos soldes en devises déposés à l’étranger afin de les protéger de la
crise qui secoue l’économie mondiale et les utiliser dans le cadre
d’une politique économique nationale que nous définirons en fonction de
nos besoins nationaux » ne le distingue pas du FLN.
En 1995, le PT fut signataire d’un document discuté
entre des partis d’opposition de droite et de gauche réunis en Italie
sous les auspices de la communauté catholique de Sant’Egidio. Ce document
appelait à des négociations autour d’un « contrat national » et
pour la non-ingérence de l’armée dans la politique. Rejetant
explicitement une lutte révolutionnaire contre les militaires et acceptant la
préservation des rapports de propriété capitaliste, ce document appelait au « rejet
de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir, [au] respect de
l’alternance politique à travers le suffrage universel et [à la] consécration
du multipartisme. »
Les militaires rejetèrent l’appel sans autre forme de
procès.