Ce jeudi, le président américain Barack
Obama a annoncé lors d’une conférence de presse que Chrysler, le troisième
constructeur automobile américain, était en faillite et se plaçait sous le
chapitre 11 de la loi américaine sur la faillite. Obama a déclaré que ce
processus permettrait de « sauver des emplois » et serait rapide et
sans douleur.
Il n’a fallu que quelques heures pour
que ses paroles se révèlent être mensongères. Toutes les usines de Chrysler
seront fermées pour la durée du processus de faillite et au moins six
d’entre elles sont définitivement fermées. Des analystes ont affirmé que
la faillite de Chrysler pourrait traîner en cour et que la compagnie pourrait
être liquidée. Beaucoup de travailleurs de Chrysler ne mettront plus jamais les
pieds dans leur usine.
Dans ses commentaires de jeudi dernier,
Obama a cherché à faire porter le blâme de la faillite à une poignée de fonds
spéculatifs et autres détenteurs d’actions qui ont refusé de diminuer la
dette de Chrysler. Cela est un écran de fumée. En fait, c’est
l’administration Obama qui a mis Chrysler en faillite.
L’administration, en accord avec les
Travailleurs unis de l’auto (United Auto Workers, UAW), Chrysler et Fiat,
a soulevé la menace de la faillite pour forcer les travailleurs de l’auto
à accepter d’immenses concessions. Une fois les concessions acceptées, Chrysler
a été soumis au chapitre 11.
Les UAW ont joué un rôle clé dans cette
conspiration en empêchant toute résistance des travailleurs.
Dans un communiqué de presse, les
dirigeants des UAW n’ont donné aucune explication sur le reniement de
leur promesse que l’acceptation de nouvelles et importantes concessions
empêcherait la faillite et protégerait les emplois. Ils ont toutefois annoncé
que les UAW chercheraient à utiliser les tribunaux de faillite pour
officialiser les concessions qu’ils ont réussi à arracher aux
travailleurs. « Les UAW vont se joindre au gouvernement américain, à
Chrysler et à Fiat pour demander à la cour des faillites des Etats-Unis que les
ententes contractuelles ratifiées par les membres des UAW soient immédiatement
approuvées », peut-on lire.
Lorsque Chrysler sortira de la faillite, si
même il en sort, les UAW en deviendront le principal actionnaire. Les UAW
pourraient aussi bientôt avoir 40 pour cent des parts de General Motors, un
autre grand constructeur automobile qui envisage déclarer faillite.
Ces événements démontrent que les UAW ne
sont plus un syndicat que de nom. Ils sont une entreprise qui tire la plus
grande partie de ses revenus de l’augmentation de l’exploitation de
ses « membres », en plus des cotisations déduites automatiquement des
chèques de paie du nombre décroissant de ceux qui travaillent encore.
La transformation des UAW en une entreprise
est le résultat d’un processus historique ayant débuté il y a des
dizaines d’années. Cette transformation tire sa source dans la
perspective politique de droite sur laquelle sont basés les UAW ainsi que le
reste du mouvement syndical officiel.
Dans leur lutte contre la destruction de
leurs emplois, conditions de vie et conditions de travail, les travailleurs de
l’auto ne trouveront pas d’adversaires plus acharnés que les UAW.
Il est essentiel que ces luttes, qui doivent commencer maintenant avec
l’organisation de comités de membres de la base indépendants des UAW,
soient basées sur les leçons politiques des événements ayant mené au désastre
actuel.
Plusieurs aspects de la perspective
politique des UAW ont mené à son effondrement et à sa transformation en
instrument d’exploitation des travailleurs.
* La défense du capitalisme et
l’opposition au socialisme : Dans les
luttes de masse qui ont mené à la création des UAW dans les années 1930, les
travailleurs les plus militants étaient animés par les idéaux du socialisme.
Mais la direction syndicale a très tôt rejeté toute lutte pour une
restructuration radicale ou une réforme démocratique de la vie économique
américaine, voire une transformation révolutionnaire sur la base de principes
socialistes. Après la Deuxième Guerre mondiale, de laquelle les Etats-Unis sont
sortis en tant que puissance capitaliste dominante, les UAW se sont ralliés à
la campagne de l’élite dirigeante américaine visant à obtenir
l’hégémonie mondiale. Ils ont ainsi soutenu la politique de la guerre
froide à l’étranger et de la chasse aux sorcières contre les communistes
aux Etats-Unis mêmes. Les UAW ont organisé une purge des éléments socialistes
et radicaux qui avaient joué un rôle clé dans la création du syndicat.
La bureaucratie syndicale qui s’est
consolidée sur cette base réactionnaire a identifié ses intérêts avec la rentabilité
des trois grands constructeurs américains. Cela signifie que les emplois et les
salaires des travailleurs dépendent entièrement de la suprématie économique et
industrielle sans partage des Etats-Unis. Lorsque cette suprématie a commencé à
s’éroder, les UAW ont adopté comme politique la collaboration avec les
compagnies pour renverser les gains que les travailleurs avaient obtenus dans
les luttes précédentes.
* Le nationalisme :
L’identification des intérêts des travailleurs avec ceux des patrons est
liée au nationalisme. Les UAW rejettent le principe fondamental que les
travailleurs de tous les pays sont unis dans une lutte commune et qu’ils
ne peuvent défendre leurs intérêts qu’en s’unissant internationalement
avec leurs frères et sœurs de classe. L’économie mondiale devenant
de plus en plus intégrée et dominée par des compagnies transnationales qui
mènent leurs opérations à l’échelle mondiale et cherchent les salaires
les plus bas sur la planète, il a été démontré que l’orientation
nationaliste des UAW est une impasse pour les travailleurs. Plutôt que faire
pression sur les compagnies de l’industrie automobile pour qu’elles
fassent des concessions aux travailleurs, les UAW ont plutôt commencé à faire
pression sur les travailleurs pour qu’ils fassent des concessions aux compagnies.
Les UAW ont cherché à monter les travailleurs américains contre les
travailleurs canadiens, mexicains, européens et japonais, insistant
qu’ils devaient accepter des salaires moins élevés et l’élimination
d’emplois pour que « leurs » compagnies américaines soient plus
concurrentielles. La spirale descendante des emplois et du niveau de vie qui en
a résulté a mené au désastre que l’on connaît aujourd’hui.
* L’alliance avec le Parti
démocrate : Lors des luttes de classe qui ont
établi les UAW, comme les grèves d’occupation de Flint et d’autres
villes, la direction des UAW a rejeté une lutte pour l’organisation
politique indépendante de la classe ouvrière, attachant plutôt les travailleurs
au Parti démocrate. C’était là l’expression au niveau politique de
sa défense du capitalisme.
Ce soutien a privé les travailleurs de tout
moyen de s’opposer de façon efficace à l’offensive que mène la
classe dirigeante depuis trente ans maintenant (offensive qui a commencé en
1979-80 avec le sauvetage de Chrysler), tant sous les gouvernements démocrates
que républicains.
Cette politique a abouti à l’élection
d’Obama, avec le soutien des UAW, et la mise en place d’un
gouvernement qui fonctionne comme l’agent direct de Wall Street.
L’alliance des UAW avec les démocrates prend aujourd’hui la forme
d’un front uni de l’administration Obama et des UAW pour imposer
des salaires et des conditions de travail de misère que l’on ne
connaissait plus depuis les usines non syndiquées des années 1930.
Il est urgent que les travailleurs tirent
les conclusions de toute cette expérience qui a mené à la faillite de Chrysler
et à celle imminente de General Motors.
Les travailleurs doivent revenir aux
traditions militantes des générations passées. Ils doivent lutter pour jeter
les patrons des UAW hors des usines, tout comme les pionniers des syndicats
industriels des années 1930 ont rompu avec l’AFL pour organiser la
résistance des travailleurs au despotisme industriel et aux conditions de
travail de misère. Ils doivent élire des comités d’usines pour organiser
des manifestations, des grèves et des occupations d’usine contre les
mises à pied, les fermetures d’usine et les concessions imposées par les
UAW. Ils doivent faire appel à tous les travailleurs de l’automobile aux
Etats-Unis, au Canada, au Mexique, en Europe et en Asie, pour qu’ils
s’unissent dans une lutte commune.
Cette lutte est avant tout une lutte
politique. Elle doit être guidée par une nouvelle perspective politique. Les
travailleurs doivent rompre avec le Parti démocrate et le système des deux
partis et lutter pour la construction d’un parti socialiste de masse de
la classe ouvrière. Ce n’est qu’avec son propre parti, un parti
luttant pour un gouvernement ouvrier que la classe ouvrière peut mettre de
l’avant sa solution à la crise économique.
Au cœur de cette politique défendant
les intérêts des travailleurs — des emplois stables et des salaires
décents, un système de santé, des retraites, la démocratie industrielle et des
conditions de travail décentes — se trouve la revendication que l’industrie
de l’auto et les banques soient nationalisées et placées sous le contrôle
démocratique de la classe ouvrière. Il faut lutter pour cette politique
socialiste aux Etats-Unis mêmes et à l’échelle internationale.
Il est nécessaire de retirer le contrôle de
l’industrie des mains des oligarques financiers pour l’organiser
internationalement selon les besoins humains, pas le profit privé.