Samedi
dernier eut lieu à Katowice le congrès pour l’élection européenne du Parti
polonais du travail (Polska Partia Pracy, PPP). Le PPP fait partie du
regroupement de la gauche européenne initié par le Nouveau Parti
anticapitaliste (NPA) et soutenu par le SWP (Socialist Workers Party)
britannique. Le porte-parole du NPA, Olivier Besancenot était venu
personnellement à Katowice. Il qualifia le congrès de pas important en avant
dans la « construction d’un parti européen de la gauche ».
Filmé
par une équipe cinéma du NPA, Besancenot expliqua les bases de ce nouveau
parti. Ce faisant, il n’omit pas seulement toute référence au trotskysme, mais
il évita encore de prononcer le mot de socialisme. En revanche, il philosopha
sur un « troisième modèle » qui se distinguerait tant du capitalisme
que du règne bureaucratique. La revendication que les capitalistes devaient
payer pour la crise constituerait l’axe de ce Parti de la gauche européenne.
Besancenot
souligna plusieurs fois la forte convergence entre le NPA et le PPP. Les deux
partis se trouvaient dans des luttes aux côtés des travailleurs. C’est ce qui
finalement constituait l’anticapitalisme. Il s’agissait maintenant, dit-il, de
réunir les luttes des travailleurs au niveau européen et de construire, de
cette manière, le nouveau parti.
Par
ce discours dénué de principes, le dirigeant du NPA justifia
l’alliance avec un groupement sans lien avec le socialisme et qui abrite même
des forces de droite. Le PPP est sorti en 2001 du petit syndicat Août 80,
fondé en 1992 sur une base purement syndicale. Celui-ci défendait à l’époque
des positions ouvertement nationalistes et collaborait avec le parti de droite
Confédération de la Pologne indépendante (KPN). Le KPN était dans la tradition
droitière, profasciste du maréchal Pilsudski.
Le
PPP et Août 80 étaient, pour ce qui était leurs relations extérieures, orientés
vers des partis d’extrême- droite. En 2002, des permanents du Front national
de Jean-Marie Le Pen ont soutenu une de leurs campagnes contre l’entrée de la
Pologne dans l’Union européenne dans le bassin charbonnier silésien.
Lorsque
dans les années suivantes, pendant le gouvernment mené par les
sociaux-démocrates, le camp de la droite se stabilisa et se structura en
plusieurs partis (Droit et Justice, Plateforme civique et Ligue des familles
polonaises) le PPP et Août 80 ont opéré un « tournant à gauche ».
Aujourd’hui,
ils ont pour tâche de ramener des travailleurs polonais de plus en plus en
colère vis-à-vis du gouvernement et des grands syndicats vers une perspective
syndicale.
Les
problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs dans toute l’Europe
atteignent un paroxysme en Pologne. Tandis que la polarisation sociale prend
des formes extrêmes et que des millions de travailleurs vivent dans la
pauvreté, l’ensemble des partis officiels et les deux grands syndicats sont
ouvertement du côté de l’élite dominante. Dès que les travailleurs
défendent leurs intérêts, ils se voient confrontés à ce cartel du pouvoir.
Seuls dix pour cent de travailleurs sont encore organisés dans des syndicats en
Pologne.
Dans
ces conditions, les actions radicales de travailleurs sont une occurence
quotidienne à Varsovie et dans les villes industrielles. Août 80 et le PPP
réagissent à ces évènements en se plaçant à la tête des protestations et des
diverses actions en reprenant des revendications syndicales radicales et en reléguant
à l’arrière-plan les questions de perspective politique et les leçons
politiques des luttes précédentes.
Durant
tout le congrès, la notion de socialisme ne fut utilisée qu’une fois et ce,
dans le discours de la candidate de tête du PPP à Wroclaw, Ewa Groszewska. Elle
parla avec beaucoup de pathos de la façon dont les hommes et les femmes
allaient construire ensemble une Europe socialiste, mais elle évita toute
référence à la situation concrète et toute critique de ceux qui avaient parlé
avant elle.
En
dehors de ça, le socialisme était un mot qu’on ne devait pas prononcer. Une
candidate de Lublin souligna expressément qu’elle n’était pas communiste,
mais qu’elle souhaitait seulement une société plus juste. Le président du PPP,
Boguslaw Zietek, expliqua au WSWS que pour lui, l’important n’était pas
le socialisme mais la « liberté, l’égalité et la fraternité ».
La
peur du mot socialisme a sa raison d’être : le PPP abrite toute une
suite de forces pour lesquelles même une référence verbale au socialisme va
trop loin. Un des principaux orateurs à ce congrès fut Bogdan Golik, le
vice-président de la Chambre de commerce polonaise. Golik est tête de liste du
PPP à Lodz et figurait auparavant sur la liste de la SLD poststalinienne qui,
durant son passage au pouvoir, imposa de fortes réductions dans le domaine
social et prépara la Pologne à l’entrée dans l’Union européenne. En 2004, il
fut élu au parlement européen sur la liste du parti paysan populiste de droite,
Samoobrona. Samoobrona a depuis sa collaboration avec le gouvernemnt
conservateur de droite de Jaroslaw Kaczynski perdu tout soutien et ses chances
d’entrer une nouvelle fois au parlement européen sont réduites.
A
entendre le discours de Golik, il est clair que s’il a changé de liste, ses
conceptions politiques sont toujours les mêmes. Il y déclara qu’il était le
seul député européen à s’être mobilisé pour les intérêts polonais. Il avait,
ainsi, défendu l’agriculture et l’industrie de la pêche en Pologne. Son point
de vue polonais l’avait même conduit à soulever la revendication de subventions
de l’UE en faveur de la liquéfaction du charbon polonais. Celui-ci pourrait
alors être utilisé comme un carburant d’alternative.
Presque
tous les orateurs insistèrent pour dire qu’ils voulaient un « dialogue de
l’élite dirigeante avec la population ». Zietek souligna que c’était, là
aussi, le but de l’occupation des bureaux des députés de l’organisation
gouvernementale « Plateforme civique » (PO) par laquelle des
adhérents du PPP s’étaient fait remarquer récemment. « Nous voulions
parler avec [le chef du gouvernment] Tusk sur la situation des
travailleurs », dit-il.
En
lieu et place d’un programme électoral ou de déclarations politiques, ce
congrès ne discuta qu’un document contenant « 21 revendications ». A
l’opposé des 21 revendications historiques que les ouvriers des chantiers
navals de Gdansk avaient posées aux bureaucrates staliniens en 1980, la liste
du PPP ne contenait que des revendications économiques et aucune revendication
politique. Si les ouvriers de Gdansk exigeaient encore la liberté de la presse,
l’accès aux médias et la révélation de toute l’information sur la situation
sociale et économique, les revendications du PPP se lisent,
elles, comme
une liste de voeux syndicaux.
Les
auteurs de ce document ne semblent pas même avoir remarqué que la revendication
d’une hausse du salaire minimum légal y apparaissait trois fois sous diverses
formulations. La vingt-et-unième revendication reprend, une fois de plus, celle
d’un dialogue entre le gouvernement et la société.
Dans
l’ensemble, on n’a pas lésiné sur les références à l’histoire de Solidarnosc.
On a invoqué à maintes reprises les « héros de Gdansk » qui auraient
rendu possible la démocratie en Pologne.
Les
orateurs ne parlèrent pas du tout de l’issue tragique des protestations
ouvrières de cette époque. Ils ne parlèrent pas non plus du fait que c’est
l’orientation droitière et nationaliste des dirigeants de Solidarnosc qui a
rendu l’instauration de l’état d’urgence et la destruction de Solidarnosc
possibles en 1981. Ils ne mentionnèrent pas non plus la façon dont les
protestations des travailleurs en 1988/89 furent utilisées afin de restaurer le
capitalisme et de mettre ensuite en oeuvre les pires attaques contre les droits
sociaux des travailleurs.
Il
y eut en revanche à ce congrès de nombreuses références au patriotisme
polonais. Il fut introduit par un film sur le fondateur d’Août 80 et du PPP,
Daniel Podrzycki, mort en 2005 dans un accident de la route. A maintes reprises
le film fut interrompu par des images montrant les couleurs nationales
polonaises et l’aigle couronné. Dans un des passages du film, Podrzycki déclare
: « Le patriotisme est l’un des idéaux les plus importants ».
Lors
de son discours de clôture, Zietek remercia Olivier Besancenot d’avoir apporté
un « souffle nouveau » dans son parti. Jusque-là il avait pensé que
le PPP était isolé mais à présent celui-ci avait trouvé des compagnons de lutte
au niveau européen.
Le
congrès du PPP est l’expression d’un net tournant à droite du projet pour un
nouveau Parti de gauche européen tel que le veulent le NPA et le SWP. Au fur et
à mesure que la crise s’aggrave ces organisations abandonnent toute référence,
même purement verbale, au socialisme et elles sont prêtes à des alliances avec
des forces politiques de droite afin de prévenir un mouvement indépendant de la
classe ouvrière.
Il
est absolument urgent de s’y opposer par la construction de sections du Comité
international de la Quatrième internationale dans toute l’Europe. En Pologne,
cela exige une réflexion critique sur les expériences faite avec Solidarnosc et
une
lutte de principe contre toutes les formes d’un nationalisme qui a conduit plus
d’une fois la classe ouvrière polonaise à la perdition.