En France, la campagne pour les élections au parlement
européen est particulièrement significative, car c’est la première campagne
électorale en France depuis le début de la crise économique mondiale de
septembre dernier. Malgré l’impopularité du président droitier Nicolas Sarkozy,
les sondages actuels suggèrent que les partis conservateurs arriveront en tête
de l'élection à venir.
Il y a aussi deux nouveaux partis en lice aux élections
européennes : le Parti de Gauche (PG) fondé en janvier dernier par
Jean-Luc Mélenchon suite à son départ du Parti socialiste (PS) et le Nouveau
Parti anticapitaliste (NPA) fondé en février et dont la personnalité en vue est
le facteur à temps partiel et célébrité médiatique, Olivier Besancenot.
Le Parti socialiste, plus grand parti bourgeois de gauche en
France, fait campagne au sein de la coalition du Parti socialiste européen
(PSE), qui a pour objectif de devenir le groupe le plus important au parlement
européen. Le PSE compte actuellement 217 sièges au parlement européen, tandis
que le Parti populaire européen (PPE, coalition de partis conservateurs) en
compte 288.
Les représentants du PS expliquent qu’ils considèrent que les
élections européennes sont essentielles pour prouver à la population que la
politique du PS peut apporter une réponse à la crise économique. Il appelle
aussi à une plus grande indépendance européenne sur les questions militaires.
Lorsque le PS avait commencé à établir ses listes électorales fin février, la
Première secrétaire du PS, Martine Aubry, avait appelé le PS à s’unifier pour
les élections, en mettant en avant la situation économique et sociale du pays
et les enjeux d'un changement de majorité au parlement européen.
Le PS a concentré ses critiques sur la manière dont le
président Nicolas Sarkozy et le commissaire européen José Manuel Barroso,
ancien premier ministre portugais et membre du PPE, font face à la crise
économique. Sur son site Internet électoral, le PS attaque Barroso pour son
« non interventionnisme », son manque de « politique
volontariste pour préserver les emplois, » et parce qu’il n’a pas organisé
de discussions sur l’avenir de l’industrie automobile en Europe.
Le parti conservateur de Sarkozy, l’UMP (Union pour un
mouvement populaire) n’a toujours pas annoncé ses listes pour les élections
européennes, apparemment du fait de difficultés rencontrées pour satisfaire les
critères de parité hommes-femmes et du fait de tensions politiques entre
Sarkozy et le puissant maire de Bordeaux et ancien premier ministre, Alain
Juppé.
De ce fait, Sarkozy a décidé de faire campagne pour l’UMP à la
place des candidats, faisant des discours sur des thèmes européens. En droite ligne
avec sa récente promotion de mesures droitières et sécuritaires, telles
l’interdiction de porter des cagoules dans les manifestations et l'interdiction
des « bandes » de jeunes, il a appelé à refuser l’entrée de la
Turquie dans l’Union européenne. Il a aussi saisi l’occasion pour faire l'éloge
de son propre bilan lorsque la France, à la présidence tournante de l’Union
européenne fin 2008, avait conduit les négociations entre les Russes et les
Géorgiens au moment de l’attaque de la Géorgie contre l’Ossétie du Sud en août
2008.
Les sondages prévoient un taux d’abstention important, de 49
pour cent voire plus. En France, la cote de popularité des institutions
européennes est passée du taux le plus élevé de 74 pour cent en 1987 à juste 49
pour cent aujourd’hui. C’est en partie parce que le parlement européen exerce
peu de pouvoir. Par exemple, il ne contrôle pas le budget de l’UE, ni ne nomme
le personnel exécutif de la Commission européenne.
Plus largement, la situation reflète la désillusion populaire
envers les institutions de l’Europe bourgeoise : Elles sont perçues comme
consolidant les intérêts patronaux aux dépens des dépenses sociales et des
intérêts de la classe ouvrière (notamment avec la directive Bolkenstein créant
un marché européen unique pour les services) et comme incapable de faire cesser
la guerre sur le continent européen, suite à l’expérience des guerres des
années 1990 en Yougoslavie
Selon le dernier sondage CSA pour Le Parisien et Aujourd’hui
en France, le président conservateur Nicolas Sarkozy arrive en tête avec 27
pour cent des voix, suivi par le PS avec 25 pour cent. Le MoDem conservateur
(Mouvement démocratique) de François Bayrou obtiendrait 12 pour cent des voix
et la liste Europe Ecologie, conduite par Daniel Cohn-Bendit et José Bové, 10
pour cent.
Le NPA obtiendrait 7 pour cent des voix aux élections, devant
le Front de Gauche (PG et Parti communiste) et Lutte ouvrière (LO) qui
obtiendraient respectivement 3 et 2 pour cent, ce qui ferait un total de 12
pour cent pour « l’extrême-gauche ». Ce total représente une baisse
par rapport aux résultats de ces partis dans les sondages effectués à la
mi-février où ils obtenaient 18 pour cent des voix, le NPA obtenait alors 9
pour cent, le PG 6 pour cent et LO3 pour cent.
Cette baisse du soutien pour le PS et les autres partis de
« gauche » en France est un fait marquant étant donné que la crise
économique actuelle est vue comme une crise du capitalisme.
Les projections officielles évaluent le chômage en France à
plus de 10 pour cent pour l’année prochaine, selon une déclaration de l’OFCE
(Observatoire français des conjonctures économiques.) Plus de 20 pour cent des
moins de 25 ans sont sans emploi.
Sarkozy a promis de dépenser des centaines de milliards
d’euros pour sauver les banques, dont les patrons continuent de recevoir des
bonus, ce qui provoque la colère des travailleurs. Pendant ce temps, des
dizaines de milliers d’emplois sont supprimés chaque mois. Ces dernières
semaines, il y a eu des conflits acharnés et parfois violents dans certaines
usines françaises ou étrangères au sujet des suppressions d'emplois et des
indemnités de licenciement, dont des séquestrations de patrons soupçonnés de
planifier des licenciements en masse.
Le fait qu’une crise de cette ampleur et un regain de combativité
parmi les travailleurs produisent non pas un regain mais une chute du soutien
électoral pour les partis bourgeois de gauche souligne le fossé social qui
sépare ces partis et la classe ouvrière.
Le gouvernement de Gauche plurielle du premier ministre Lionel
Jospin (1997-2002), comprenant le PS, le PC et les Verts, avait mis en place
une série de mesures d’austérité, dont des licenciements de masse et la
privatisation de nombreuses entreprises publiques. La conséquence finale avait
été une défaite humiliante pour Jospin, éliminé au premier tour des élections
présidentielles de 2002. Les électeurs de gauche avaient abandonné le PS,
divisant leurs voix entre différents partis et votant pour
« l’extrême-gauche » dans des proportions jamais vues, ne permettant
pas à Jospin de participer au second tour du scrutin.
Jusqu’à l’avènement de la crise économique l’an dernier, le PS
était largement engagé dans des débats internes sur la manière de redevenir un
parti défendant « une économie de marché écologique et sociale »,
selon une déclaration de principes d’avril 2008. Cela revenait à ne pas
organiser d’opposition aux attaques contre les acquis sociaux proposés par une
succession de gouvernements de droite depuis 2002.
D’amères expériences similaires sous-tendent un large courant
en faveur des conservateurs de par l’Europe. Le Financial Times a
remarqué le 20 avril, « Dans aucun grand pays européen on ne trouve le
principal parti de gauche, qu’il soit au gouvernement ou dans l’opposition,
franchement en tête. La prévision Burson-Marsteller pour les élections
européennes de juin montre que le parti PPE de centre droit restera le groupe
le plus important au parlement européen, même si les conservateurs britanniques
et l’ODS tchèque mettent à exécution leur objectif de quitter le PPE. »
Le Financial Times a cité Olaf Cramme, directeur de
Policy Network britannique de centre droit : « Malgré l’envergure de
la crise du néolibéralisme, les propositions de gauche sur la manière de
refaire le capitalisme ne sont pas bien acceptées. Le centre gauche trouve
difficile de proposer une alternative crédible à la manière de garantir la
richesse et la sécurité. En fait, dans bien des pays les partis conservateurs
se sont montrés moins enthousiastes quant à la poussée du capitalisme financier,
et plus déterminés que la gauche à réglementer le secteur financier. »
La plus grande part de responsabilité pour ce tournant
droitier de la politique européenne retombe sur ce qu’on appelle
« l’extrême-gauche », et notamment le NPA. Tout en se présentant
comme l’incarnation d’une alternative révolutionnaire aux partis de gauche
bourgeois, notamment le PS et le PC, en pratique le NPA a démontré dans les
actes son accord fondamental avec la perspective de la gauche bourgeoise. Ceci
prive les électeurs de tout moyen d’exprimer une hostilité combative à la
politique poursuivie par les partis de la gauche plurielle.
Leurs appels à des grèves bien suivies se fondent sur la
prémisse, adoptée aussi par le PC et certaines sections du PS, que les grèves
et des appels à la réglementation nationale peuvent introduire une nouvelle ère
de solidarité sociale, sous le contrôle de l’Etat. Avec l’intensification de la
lutte de classe et le soutien au PS qui faiblit, la crédibilité de cette
perspective décline rapidement.
L'indication la plus claire de l'existence de rapports étroits
entre « l’extrême-gauche » et la gauche officielle sont les curieuses
négociations entre le NPA, le PC et le PG.
Après avoir passé plus de trois décennies dans le PS et occupé
des postes ministériels sous Jospin, Mélenchon a crée le PG pour mettre en
avant des illusions sur la capacité de la gauche officielle française à se
réformer. Après sa fondation en novembre dernier, le PG a proposé un
« Front de gauche » pour les élections européennes, comprenant le PC
et plusieurs autres plus petits partis petits-bourgeois. La fondation du PG
avait aussi pour but d’exercer une influence et de faire pression sur le
NPA : avant le congrès fondateur du NPA, Mélenchon avait proposé que le
NPA rejoigne le Front de gauche.
Cette proposition avait placé le NPA dans une situation
difficile. D’un côté, pour gagner des membres il doit projeter une image
radicale et ainsi maintenir un minimum d’indépendance organisationnelle par
rapport au PS. Mais d’un autre côté, ses membres sont engagés dans une
« lutte unitaire » avec les partis de la gauche officielle contre les
partis conservateurs et sa direction travaille en étroite coordination avec les
directions du PS et du PC.
Cyniquement, le NPA a résolu cette difficulté en proclamant
son indépendance par rapport aux partis du Front de gauche, tout en continuant
dans la pratique à travailler avec eux. Ceci s’est accompli au cours d’une
division du travail entre Besancenot et Christian Picquet, membre de longue
date de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, prédecesseur du NPA)
Le 20 janvier, Besancenot fit la contre-proposition du
NPA : Le NPA s’allierait au Front de gauche, uniquement si l’alliance
durait non seulement le temps de la campagne pour les élections européennes,
mais aussi le temps de la campagne pour les élections régionales de 2010. Il
expliqua : « Si c'est pour faire un coup aux Européennes et qu'au
moment des régionales (en 2010), la moitié du front retourne au bercail avec le
PS, ça n'aura servi à rien et ça aura été destructeur. »
Besancenot signifia clairement qu’il n’avait pas d’objection
de principe à travailler avec les partis du Front de gauche. Mais il présenta
le problème comme étant la volonté de maintenir une certaine indépendance par
rapport au PS. Le 1er février sur France 5 Besancenot réitéra sa proposition,
insistant pour dire « n'avoir pas d'ennemis dans ce camp-là. Il faut que
ce soit un front durable » et il ajouta que la « question essentielle
d'indépendance vis-à-vis de la direction du PS soit également actée de façon
durable. »
Le 2 mars, le NPA rencontra des délégations du PG et du PC
pour discuter d’une possible alliance. Le PG et le PC refusèrent de s’engager à
faire des listes pour les élections régionales séparées du PS. Le 9 mars, le
NPA annonça officiellement qu’il se présenterait séparément aux élections, sans
alliance avec le Front de gauche, « En cause le refus du Front de gauche
d’exclure toute alliance définitive avec le Parti socialiste pour les élections
à venir et notamment pour les régionales. »
Le 8 mars, le dirigeant de la fraction minoritaire du NPA
Christian Picquet annonça qu’il rejoindrait le Front de gauche pour les
élections européennes, tout en restant membre du NPA.
Durant les négociations, la fraction de Picquet indiqua, à
plusieurs reprises, s’intéresser à une alliance avec le Front de gauche et
insista auprès du NPA pour qu’il rejoigne le Front de gauche. Picquet avait
expliqué que « les sondages et la popularité de M. Besancenot ne suffisent
pas à faire une alternative crédible à gauche. »
Pour justifier sa décision, Picquet dit qu’il était
« inenvisageable d'accepter que des intérêts de parti prévalent sur
l'intérêt général du peuple de gauche ».Il ajouta
qu'il prenait la décision de participer au Front de gauche « en toute
responsabilité et en toute conscience » et assura que sa fraction du NPA
serait des « partenaires actifs et exigeants » pour le Front de
gauche.
Picquet agit avec le soutien tacite de la direction du
NPA : Bien que Picquet soit ostensiblement en train de défier la décision
du parti sur la question de la participation au Front de gauche, il n’a pas été
expulsé du parti ni n’a subi d’action disciplinaire.