Le caractère insouciant de l’escalade militaire de
l’administration Obama au Pakistan a été souligné par les commentaires de
l’ambassadeur chinois faits à Islamabad jeudi dernier. En faisant pression sur
Islamabad pour qu’il mène une offensive militaire majeure contre les insurgés
islamiques dans la vallée de Swat et les districts voisins, Washington ne fait
pas que déstabiliser le Pakistan mais il augmente en plus les tensions dans une
région hautement instable.
S’adressant à d’importants hommes d’affaires pakistanais,
l’ambassadeur chinois Luo Zhaohui a ostensiblement fait part de ses inquiétudes
quant à la croissance d’une « influence extérieure » dans la région.
Ciblant les Etats-Unis en particulier, il a affirmé que la Chine était
soucieuse des politiques américaines et de la présence d’un grand nombre de
soldats en Afghanistan. Bien qu’exprimant à nouveau le soutien de la Chine pour
« la guerre contre le terrorisme », Luo a déclaré que les stratégies
américaines avaient besoin de « mesures correctives ». « Ces
questions inquiètent sérieusement la Chine », a-t-il ajouté.
Luo a fait ces remarques exceptionnellement directes un
jour seulement après l’entretien entre le président des Etats-Unis Barack Obama
et son homologue chinois, le président Hu Jintao. Bien que plusieurs questions
aient été abordées, celle de l’escalade de la guerre au Pakistan était
clairement prioritaire. Le premier appel téléphonique public entre les deux hommes
est survenu alors qu’Obama rencontrait les présidents de l’Afghanistan et du
Pakistan au sujet de la stratégie américaine dans les deux pays. Même si Hu
aurait offert sa coopération, les commentaires de Luo expriment les craintes de
la Chine quant au développement de l’influence américaine en Asie du Sud.
Le sommet trilatéral qui a pris place à Washington la
semaine dernière est le signal d’une importante intensification de la violence
militaire en Afghanistan et au Pakistan. Sous les pressions considérables des
Etats-Unis, l’armée pakistanaise a déclenché une offensive majeure contre les
militants dans la vallée de Swat. Déjà, des centaines de personnes ont été
tuées et des centaines de milliers de civils ont été forcés de fuir la région.
Au sommet, il n’a cependant pas été question que de coopération militaire, mais
aussi de plans détaillant l’intégration économique et stratégique plus étroite
des deux pays dans une zone d’influence américaine.
La Chine, qui entretient des liens de longue date avec le Pakistan,
est évidemment troublée par ces développements. Comme l’a affirmé Luo devant
son auditoire d’hommes d’affaires, plus de 60 compagnies chinoises sont
impliquées dans 122 projets au Pakistan. Il a souligné le « contact
étroit » avec le Pakistan concernant la sécurité des 10 000
ingénieurs et experts techniques chinois dans le pays. En fait, Pékin avait
menacé de représailles l’enlèvement et le meurtre de citoyens chinois par des
militants Pakistanais et d’actes militaires les séparatistes islamiques
ouïghours de l’ouest de la Chine trouvant refuge au Pakistan.
Plus fondamentalement, Pékin voit Islamabad comme un
partenaire crucial pour sa propre stratégie régionale. La Chine a investi
énormément pour faire du Pakistan un contrepoids à l’Inde après la guerre
frontalière sino-indienne de 1962. Le Pakistan est le plus important acheteur
d’armes chinoises et, selon le Pentagone, le récipiendaire de 36 pour cent des
exportations militaires chinoises entre 2003 et 2007. L’assistance technique de
la Chine a été essentielle aux programmes d’armes nucléaires et de missiles
balistiques du Pakistan.
En retour, la Chine a obtenu l’autorisation de construire
d’importantes installations portuaires, navales et commerciales, à Gwadar, un
village côtier du Baloutchistan. Ce port est à la base de la stratégie du
« collier de perles » de Pékin visant à développer l’accès pour sa
marine à une série de ports le long de voies maritimes à travers l’océan
Indien, avant tout pour protéger l’approvisionnement en pétrole et en gaz en
provenance du Moyen-Orient et de l’Afrique. Les Etats-Unis, qui voient quant à
eux la Chine comme un rival économique et stratégique qui gagne en importance,
sont déterminés à maintenir leur supériorité militaire et navale.
Les tensions entre les Etats-Unis et la Chine sur le
Pakistan montrent le rôle très déstabilisant de l’intervention agressive de
Washington, tout d’abord lorsqu’il a envahi l’Afghanistan et aujourd’hui alors
qu’il cherche à contrôler plus directement le Pakistan. Le conflit montant au
Pakistan est le produit direct de l’invasion de l’Afghanistan menée par les
Etats-Unis, invasion pour laquelle il a exigé le soutien du Pakistan sous peine
de devenir lui-même la cible de son armée. L’opposition générale au Pakistan et
en Afghanistan aux actions des Etats-Unis nourrit une insurrection croissante
qui menace non seulement l’occupation américaine de l’Afghanistan, mais la
guerre civile au Pakistan même.
L’impérialisme américain, sous l’administration Obama, est
déterminé à exploiter les désastres qu’il a lui-même créés pour défendre ses
intérêts dans la région, particulièrement en Asie centrale qui est riche en
pétrole. En agissant ainsi, Washington vient altérer de façon fondamentale
l’équilibre stratégique, déjà précaire, et menace d’entraîner avec lui d’autres
grandes puissances.
La Chine n’est pas la seule à craindre les visées des
Etats-Unis en Asie centrale et la présence de nombreux soldats en Afghanistan.
Depuis que l’URSS s’est effondrée en 1991, les Etats-Unis ont cherché à établir
des alliances militaires et des liens économiques avec les républiques d’Asie
centrale nouvellement fondées. Washington a exploité son invasion de
l’Afghanistan pour la première fois établir des bases militaires en Asie
centrale. L’Afghanistan et le Pakistan offrent aussi la possibilité de
construire des pipelines pour acheminer les richesses énergétiques de la
région. En réponse, la Chine et la Russie, qui considèrent toutes deux cette
région comme leur arrière-cour, se sont réunies dans le Groupe de coopération
de Shanghai pour contrer l’influence grandissante des Etats-Unis dans la
région.
L’Inde surveille aussi les événements au Pakistan avec
trépidation. Bien qu’elle applaudisse tranquillement la pression que fait
Washington sur Islamabad pour qu’il entreprenne la guerre contre le
« terrorisme », New Delhi est inquiète que l’incorporation plus
étroite du Pakistan sous le parapluie américain puisse mener à une dégradation
du partenariat stratégique entre les deux pays, un partenariat qui ne s’est
développé que depuis la fin des années 1990. L’affaiblissement de son rival
pakistanais, avec qui l’Inde a eu trois guerres, est sans l’ombre d’un doute
accueilli à New Delhi. Mais si c’est pour en faire un Etat client des
Etats-Unis, ou pire encore, s’il s’effondre dans le chaos, l’establishment
indien fera face à de grandes incertitudes.
Toute la région peut exploser. Les certitudes de la Guerre
froide qui ont divisé le monde entre le bloc soviétique et le bloc occidental
ont été remplacées par de nouvelles tensions et rivalités. Les tentatives de
l’Inde et du Pakistan de résoudre leurs disputes de longue date,
particulièrement sur la question du Cachemire, sont maintenant embourbées. Les
efforts de la Chine et de l’Inde pour améliorer leurs relations avancent
péniblement. Chacun des deux pays continue à se méfier de l’autre et à tramer
des intrigues pour affaiblir la position de son rival au Népal, au Sri Lanka et
en Birmanie.
L’ingrédient le plus explosif dans ce mélange volatil est
la tentative de l’impérialisme américain d’utiliser sa supériorité militaire
pour contrecarrer son déclin économique de longue date. Loin de signifier une
diminution des tensions, l’arrivée au pouvoir de la nouvelle administration
Obama a plutôt signifié un nouveau virage vers la guerre en Afghanistan et au
Pakistan en ligne avec les ambitions américaines. Les commentaires qu’a faits
l’ambassadeur de la Chine la semaine passée sont un autre signe que les gestes
de Washington rencontreront de l’opposition.