Après une semaine de
récriminations acerbes entre la Central Intelligence Agency et la speaker démocrate
de la Chambre des représentants Nancy Pelosi au sujet de ce qu’elle savait sur
la torture, le directeur de la CIA Leon Panetta a tenté de mettre un terme à
cette discussion publique, employant un discours qui répétait la rhétorique de
l’administration Bush.
Dans son premier
discours public depuis sa nomination par Obama à la tête de la CIA, Panetta à
affirmé que les Etats-Unis étaient « une nation en guerre » et
insisté que les crimes de l’administration Bush ne devaient pas nuire aux
opérations actuelles de l’armée américaine et des services du renseignement.
« Je ne les prive
pas de la chance de tirer les leçons de cette période », a déclaré Panetta
devant le Pacific Council on International Policy à Los Angeles. « Mais…
nous devons faire très attention à ne pas oublier notre responsabilité envers
le présent et le futur. Nous sommes une nation en guerre. Nous devons faire
face à cette réalité tous les jours. Et bien qu’il soit important de tirer les
leçons du passé, nous ne devons pas le faire de sorte que cela puisse sacrifier
notre capacité de demeurer concentrés sur… ceux qui menacent les Etats-Unis
d’Amérique. »
« Nous sommes une
nation en guerre. » Cette phrase a été invoquée des centaines sinon des
milliers de fois par Bush, Cheney, Rumsfeld, Rice, Gonzales et d’autres pour
justifier les atrocités militaires en Irak et en Afghanistan, la torture, la
restitution extraordinaire, l’espionnage illégal de ses citoyens ainsi que
l’auto-attribution impériale par la présidence de pouvoirs sans précédent.
Plus tôt cette année,
des conseillers de la Maison-Blanche avaient communiqué aux médias que
l’administration Obama laissait tomber les références à la « guerre
mondiale contre le terrorisme », la justification passe-partout de
l’administration Bush pour ses guerres à l’étranger et son attaque contre les
droits démocratiques au pays.
Il devient de plus en
plus évident cependant que les méthodes amenées par Bush sont maintenues
pratiquement intactes par la nouvelle administration démocrate et que la rhétorique
malhonnête employée pour les justifier ressemble de plus en plus à celle de son
prédécesseur.
Qu’est-ce que cela
signifie que d’affirmer que les Etats-Unis sont « une nation en
guerre » ? Le Congrès américain n’a lancé aucune déclaration de guerre
contre un pays.
Les Etats-Unis sont une
nation en guerre seulement dans le sens où son armée est perpétuellement
utilisée pour mener des invasions illégales, des occupations néocoloniales, des
bombardements, des assassinats et d’autres actes de violence contre les peuples
qui ont le malheur de se trouver dans le chemin du capitalisme américain et de
son pillage des ressources et des marchés mondiaux.
L’identité de l’ennemi dans cette guerre
sans fin est laissée délibérément imprécise car les cibles de l’agression
militaire américaine changent constamment. Ainsi, Panetta ne fait référence
qu’à « ceux qui pourraient menacer les Etats-Unis ».
Dire que c’est un langage digne d’un roman
d’Orwell n’est pas exagéré. L’état de guerre perpétuel imposé aux citoyens
opprimés de l’Océania dans « 1984 » aurait pu être écrit comme une
allégorie pour la politique moderne de l’Etat américain tant sous Bush que
Obama.
Panetta n’a rien laissé à l’imagination sur
les implications de ce prétendu état de guerre.
Le directeur de la CIA a dit qu’il ne
« lui enlèverait pas », parlant ici du Congrès américain,
« l’occasion d’apprendre les leçons de cette période ». Toutefois, il
a averti que toute enquête doit être entreprise d’une façon « très
prudente ». Une enquête sur les crimes de guerre du passé ne doit pas
interférer avec les crimes de guerre présents et futurs.
Cet avertissement de restreindre toute
enquête sur la torture, et avant tout ne pas permettre qu’un haut responsable ne
soit reconnu coupable d’un tel crime, vient après le déni par Panetta des
déclarations qu’a faites Pelosi la semaine dernière. Elle avait dit que la CIA
lui avait menti en 2002 en disant ne pas utiliser la simulation de noyade (waterboarding)
dans ses interrogatoires.
Il ne s’agit pas de passer sous silence la
complicité de Pelosi dans la politique de la torture. Mais il est un fait
extraordinaire que Panetta, un individu nommé à son poste par le président, n’a
eu aucune retenue à contredire publiquement la speaker élue de la Chambre des
représentants qui est, selon la constitution, la deuxième sur les rangs de ceux
qui remplacent le président, après le vice-président.
Lorsque Panetta avait été nommé directeur
de la CIA, les républicains et quelques démocrates ont souligné qu’il n’avait
aucune expérience dans le domaine du renseignement. Au bout du compte,
toutefois, il fut confirmé unanimement par le Sénat dans son poste.
Il est un individu en qui, très clairement,
l’élite dirigeante américaine a pleine confiance qu’il protégera ses intérêts.
Il a commencé sa carrière en tant qu’adjoint républicain dans l’administration
Nixon pour ensuite devenir un démocrate élu au Congrès et finalement premier
secrétaire du président Clinton. Après, il a profité de ses nombreuses
relations dans les centres du pouvoir de la finance et du monde des affaires,
tout en continuant à demeurer très impliqué dans la politique d’Etat. En 2006,
il s’est joint au groupe d’étude de l’Irak qui s’était fixé comme objectif de
faire adopter un changement de tactique quant à la politique de guerre des
Etats-Unis. En 2008, il a été payé plus de 830 000 $ en frais de
consultations et en honoraires par des compagnies comme BP Corportation, Merrill
Lynch et le Groupe Carlyle.
Panetta parle au nom de l’Etat dans l’Etat,
de l’appareil permanent des agences du renseignement et de l’armée qui dominent
le gouvernement américain peu importe quel parti est au pouvoir.
Ces couches rechignent après l’exposition
très limitée des crimes de l’administration Bush par la publication des mémos
sur la torture le mois passé. C’est ce qui a été indiqué dans un article qui a
été publié mardi passé dans le Washington Post par Walter Pincus, un
individu ayant des liens étroits avec la CIA. Il a parlé d’inquiétudes du
« personnel de l’agence » qui pense ne plus pouvoir « mener des
interrogatoires de façon efficace » étant donné les nouvelles règles sur
la torture et les « autres opérations en Afghanistan et au Pakistan qui
doivent être elles aussi revues ».
Les démocrates cèdent complètement lorsque
soumis à ce type de pression. L’attaché de presse d’Obama a refusé de prononcer
le moindre mot sur le différend entre Pelosi et Panetta alors que les
démocrates au Congrès craignent le débat sur la torture, le décrivant de plus
en plus souvent comme une distraction.
L’administration Obama agit de façon à
continuer et politiquement légitimer la politique criminelle mise en place par
l’administration Bush tout en protégeant les personnes qui en sont
responsables. Les deux guerres lancées pour affirmer l’hégémonie américaine sur
le golfe Persique et l’Asie centrale continuent de bénéficier du soutien des
deux partis. Obama est lui-même responsable de crimes de guerre, y compris le
bombardement qui a tué 150 civils ce mois-ci en Afghanistan. L’espionnage au
pays, la restitution extraordinaire et les commissions militaires ont été
maintenus par l’administration. La torture recommencera inévitablement et est
probablement même déjà recommencée.
Ultimement, tout ce processus révèle la
futilité des élections sous le système biparti des Etats-Unis. Ceux qui
prennent le pouvoir, Obama autant que Bush, ne sont pas responsables devant le
peuple américain, mais bien devant une mince couche de la population constituée
d’une oligarchie financière, du commandement militaire et des agences du renseignement :
ceux qui contrôlent véritablement les Etats-Unis.