Le président sri lankais Mahinda Rajapakse a
fait un discours au parlement hier pour proclamer la victoire de l'armée sur
les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE.) Rajapakse a cyniquement
déclaré que l'armée avait « libéré » le peuple tamoul des griffes des
LTTE « terroristes », alors qu'il n'inflige que mort, destruction et
misère aux travailleurs, qu'ils soient tamouls, cingalais ou musulmans.
Rajapakse a dit avoir à coeur le sort des
civils et « respecter même l'ennemi qui s'est rendu », mais l'assaut
final de l'armée contre le dernier retranchement de combattants des LTTE lundi
a été un massacre perpétré de sang-froid. Le gouvernement était déterminé à
annihiler les principaux dirigeants des LTTE bien que ces derniers aient
annoncé être prêts à faire taire leurs armes.
La proposition des LTTE dimanche de mettre
fin au combat pour protéger la vie des civils et qui est parvenue de Norvège, a
été tout simplement ignorée. Palitha Kohona du ministère des Affaires
étrangères a dit aux médias : « La position du gouvernement est
claire. La Norvège n'est plus un facilitateur. Les LTTE ont voulu rendre
les armes un peu trop tard. » Lundi matin, l'armée a tué plus de 300
personnes, parmi lesquels les principaux dirigeants des LTTE.
Etant donné la présence au parlement des
chefs militaires du pays, la plus grande partie du discours de Rajapakse s'est
consacrée à féliciter les forces armées, dissimulant les crimes de guerre de
son gouvernement et justifiant sa guerre comme étant « une guerre contre
le terrorisme ».Vantant la victoire de l'armée, il a déclaré que
l'héroïsme de cette dernière était exemplaire pour le « monde entier
engagé dans la lutte pour éradiquer le terrorisme ».
Exagérant l'importance des LTTE au point de
le qualifier de « massive organisation internationale » Rajapakse a
déclaré : « Il n'existait pas d'école militaire dans le monde qui
puisse faire face aux stratégies militaires sauvages utilisées par les
terroristes des LTTE. Le monde ne connaissait pas la science militaire capable
de confronter l'association de mines terrestres, de mines Claymore, de petits
bateaux kamikazes, d'avions légers non détectés par les radars et même des
ceintures d'explosifs. »
En réalité, la guerre de 26 ans n'avait pas
pour but d'éradiquer le « terrorisme » mais de défendre le pouvoir et
les privilèges des élites cingalaises. Le programme séparatiste des LTTE, ses
attaques contre des civils cingalais et la répression impitoyable des opposants
tamouls a certainement aggravé les divisions communautaires et fait le jeu des
éléments les plus réactionnaires de l'establishment de Colombo. Mais la
responsabilité de la guerre incombe clairement aux gouvernements sri lankais
successifs qui ont exploité le chauvinisme anti-Tamoul pour diviser les
travailleurs et renforcer leur pouvoir.
La victoire sur ce qui n'était guère plus
qu'une armée de guérilla a été obtenue par l'utilisation de sang-froid de
l'écrasante supériorité numérique et d'équipement de l'armée afin de terroriser
la minorité tamoule du pays et d'écraser les combattants des LTTE. Rajapakse a
qualifié les soldats de « héros » et a loué le sacrifice de leur
mère, père et épouse, mais le gouvernement et les chefs de l'armée n'ont pas
hésité à sacrifier par milliers des jeunes gens qui se sont engagés pour des
raisons économiques dans des assauts frontaux sur des positions retranchées des
LTTE.
Tous les efforts ont été faits pour créer
l'illusion d'une jubilation populaire. Le ministère de l'Éducation a ordonné
que tous les établissements scolaires de l'île donnent la possibilité aux
élèves de regarder le discours du président. Allant un peu plus loin, certains
proviseurs ont encouragé leurs élèves à défiler dans les établissements
scolaires, drapeaux nationaux en mains. Le ministère de la Fonction publique a
publié une circulaire permettant aux travailleurs de regarder le discours sur
leur lieu de travail. Aujourd'hui a été proclamé jour férié.
En fait, à l'exception de manifestations
d'extrémistes cingalais, de larges sections de la classe ouvrière n'ont pas
exprimé la moindre allégresse concernant une guerre qui a coûté la vie à plus
de 70 000 personnes et gâché une génération entière. Nombreux sont ceux
qui sont soulagés et espèrent que la fin de la guerre améliorera leur vie mais
ne croient guère en ce gouvernement. Parmi les Tamouls, il existe une
inquiétude justifiée que la victoire militaire ne fera qu'intensifier le
harcèlement et la persécution dont ils sont victimes.
Les promesses de Rajapakse d'aider le peuple
tamoul « libéré » et de créer un « Printemps du Nord »sont
totalement cyniques. De vastes étendues de la région de Wanni au nord de l'île
ont été dépeuplées et sont transformées en friches. Près de 300 000
Tamouls sont considérés comme des prisonniers de guerre et retenus dans des
camps de détention surpeuplés et sordides. Depuis le début de l'année, quelque
8000 civils ont trouvé la mort et plus encore ont été blessés, principalement
du fait des bombardements aveugles de l'armée.
Le gouvernement sri lankais subit une
pression internationale pour trouver une « solution politique » à la
guerre et qui proposerait quelques concessions minimales à la minorité tamoule.
Mais le président a rejeté « les nombreuses propositions de divers pays et
institutions… qui nous demandent de bien nous occuper de notre propre peuple
tamoul » et dit que le Sri Lanka est « un pays ayant montré de façon
unique par le passé » qu'il prenait soin des vaincus.
Tout en acceptant qu'une solution militaire
n'était pas la solution finale, Rajapakse a ajouté de manière significative que
« nous pouvons nous rendre compte qu'un document apporté sur un plateau
comme solution politique pourrait aussi ne pas être la solution finale ».
En rejetant tout document officiel, le président donne le message qu'il n'y
aura pas de changements dans la constitution du pays, qui inclut le bouddhisme
comme religion d'Etat, ni dans les nombreuses formes de préjugé anti-tamoul qui
font partie intégrante du système administratif.
Rajapakse est complètement redevable aux
couches extrémistes cingalaises de l'establishment politique et de
l'appareil d'Etat, notamment de l'armée. Le président avait mis en place, il y
a deux ans et demi, une conférence représentative de tous les partis, pour
soi-disant proposer des réformes constitutionnelles afin de répondre aux
doléances des minorités. Elle s'est réunie 144 fois sans parvenir à un
quelconque accord, principalement parce que le Freedom Party sri lankais de
Rajapakse et ses alliés chauvins, le Jathika Hela Urumaya et le National
Freedom Front, s'opposent avec véhémence à ce que l'on fasse quelque concession
démocratique qui soit aux Tamouls.
L'aspect le plus sinistre du discours de
Rajapakse est lorsqu'il a déclaré que la fin de la guerre marquerait le début
d'une ère nouvelle de « construction de la nation. » « L'époque
soulève à présent un nouveau défi, » a-t-il dit. « C'est le défi de
construire la mère patrie. A partir de maintenant, chacun devrait changer
conformément à la nécessité de faire face à ce défi aussi. Tout comme j'ai
accepté le défi précédent, j'accepte ce nouveau défi aussi. »
Le gouvernement et le patronat sont tout à
fait conscients que le coût de la guerre, ajouté à l'impact de la récession
mondiale, ont créé au Sri Lanka une crise économique qui va s'aggravant.
« La construction de la nation » veut tout simplement dire que de
nouveaux fardeaux économiques draconiens vont être imposés aux travailleurs.
Déjà le gouvernement a gelé les augmentations de salaire et les recrutements du
secteur public et fait des coupes dans les subventions afin d'obtenir un prêt
du FMI d'un montant de 1,9 milliard de dollars américains.
Après avoir demandé aux travailleurs de se
sacrifier pour la guerre, Rajapakse insiste maintenant pour que la classe
ouvrière « confronte » ce nouveau défi de « construction de la
nation ». La même éthique militariste s'appliquera à cette nouvelle tâche.
Il a déclaré que la victoire appartenait à ceux qui avaient rejoint le Drapeau
national, sacrifié leurs fils à la guerre et « pensé non à leur estomac
mais à leur pays ».
Annonçant que la guerre avait à présent
« retiré de notre vocabulaire le mot “minorités” » Rajapakse a
déclaré : « Il n'y a que deux peuples dans ce pays. L'un, c'est le
peuple qui aime son pays. L'autre comprend les petits groupes qui n'éprouvent
pas d'amour pour leur pays natal. Ceux qui n'aiment pas leur pays sont
maintenant un groupe de moindre importance. »
Ces paroles ne signifient qu'une chose.
Quiconque se plaint de n'avoir pas assez de nourriture pour remplir son estomac
ou qui proteste contre les demandes de sacrifices à venir au nom de la
« construction de la nation » sera considéré comme un traitre. Les
remarques de Rajapakse soulignent le fait que ces « deux peuples »
dont il parle sont d'un côté les élites riches qu'il représente qui n'ont
jamais à s'inquiéter pour les besoins fondamentaux de la vie et de l'autre la
vaste majorité de la population qui se bat pour survivre au jour le jour.
Le Socialist Equality Party (SEP, Parti de
l'égalité socialiste) prévient que le gouvernement Rajapakse poursuivra sa
« guerre économique » de façon tout aussi impitoyable qu'elle a mené
son offensive contre les LTTE et les civils tamouls. Durant ces trois dernières
années, ceux qui ont critiqué Rajapakse ou sa conduite de la guerre ont été
soumis à des menaces, des détentions arbitraires ou des
« disparitions » entre les mains d'escadrons de la mort
pro-gouvernementaux. Avec la complicité des bureaucraties syndicales et des
partis de « gauche », Rajapakse et ses ministres ont dénoncé les
travailleurs qui faisaient grève et dit qu'ils aidaient les « terroristes
des LTTE ».
Travailleurs, jeunes, étudiants et
intellectuels doivent rejeter cette nouvelle « guerre économique »
qui défend les intérêts de l'élite patronale et organiser une contre-offensive
politique en vue de lutter pour leurs propres droits, besoins et aspirations
fondamentaux. Cela ne peut se faire que sur la base du programme de
l'internationalisme socialiste, pour unifier la classe ouvrière du Sri Lanka et
de toute la région contre les exigences prédatrices de la classe capitaliste.
Le SEP est l'unique parti qui lutte pour cette perspective.